“C’est une grande joie de servir le Président”. L'ex-cantine de Nicolas Sarkozy
Depuis la rédaction et publication de cet article, le restaurant Honoré, rue Bosio a fermé, vendu par Christophe Lormand. De grands travaux y sont en cours. A plus de soixante ans, bon pied bon oeil, qu'a-t'on envie de faire : prendre sa retraite ( j'ai toute mes annuités, j'ai commencé à travailler jeune) , se faire embaucher ailleurs ( je dépose et j'envoie des candidatures, j'en ai même envoyé chez Paris Society, tu crois qu'ils prennent des vieux ) ?
En attendant de découvrir la suite du parcours professionnel de Christophe, dans un prochain numéro d'En-Contact ou des Cahiers de l'Expérience Client, découvrez son interview, réalisée durant la Covid 19.
Un célèbre journal a décrit un jour son établissement comme la cantine préférée d’un des candidats à la présidentielle. En réalité, Honoré est un restaurant de quartier, situé dans le petit village d’Auteuil, créé et tenu par un ex-joueur de piano et trompette passionné de musique, incroyablement zen malgré trois mois (15 mars-15juin) de halte forcée. C’est avec son « tenancier*», Christophe Lormand, que nous débutons notre série : toute première fois.
Votre première fois… dans la restauration, dans le métier puis à la tête de son restaurant ?
J’étais passionné de musique plus jeune et pas vraiment par les études. J’ai d’ailleurs été élève au collège Octave Gréard, un collège à Paris qui permet de ne suivre des cours que le matin. On y rencontre donc quantité de musiciens, de sportifs, tous ceux qui ont besoin d’avoir leurs après-midis libres pour pratiquer leur sport, leur instrument ou vaquer à d’autres occupations. J’ai arrêté les études avant le baccalauréat mais j’ai eu l’occasion, lors de jobs d’été, de travailler régulièrement dans le restaurant familial, dans les Pyrénées Orientales. Lorsque j’ai pris conscience que la musique ne me permettrait pas forcément de gagner ma vie, j’ai opté pour ce métier ; j’y ai débuté comme serveur, au Louis XIV, puis au Café de la Jatte à Neuilly, ai gravi les échelons de façon classique : premier maitre d’hôtel au sein de Altitude 95, le restaurant situé au 1er étage de la Tour Eiffel, directeur salarié, jusqu’à ouvrir et créer Honoré, ici rue Bosio. Il y a seize ans. Je crois que lorsqu’on effectue ce parcours, on sait à quoi on s’attend. On connait les difficultés et les contraintes du métier.
Votre première fois… dans un grand studio d’enregistrement ?
Ah, c’est un beau souvenir. J’étais copiste de partitions, pour un éditeur de musique. L’arrangeur ou le compositeur d’un morceau imagine souvent une chanson ou une musique qui nécessite ensuite que toutes les partitions soient ensuite écrites pour chaque instrument. Je gagnais un peu ma vie en faisant ça alors, un jour, je me suis rendu au studio Davout pour remettre à Michel Legrand ces partitions. C’était très grand et impressionnant comme lieu.
Quand le Président de la République vient dîner… pour la première fois ?
Un jour, j’ai reçu un appel du service de la Présidence de la République au cours duquel on me prévient que le président est susceptible de venir dîner. Comme tout le monde le sait désormais, Nicolas Sarkozy habite tout près, dans la Villa Montmorency, avec sa femme. Une équipe de la sécurité est donc venue visiter l’établissement, a vérifié toutes les issues, consulté le registre du personnel, pour voir si j’employais depuis peu de nouveaux salariés. M’a questionné et imaginé à quelle table le président prendrait place, à quelle table les policiers se placeraient… Je me rappelle que lorsqu’il est entré dans le restaurant, il y a eu un grand silence et puis ensuite, des applaudissements. Nous étions au début du quinquennat.
Quand le président et son épouse reviennent-ils diner, ensuite ? souvent ?
Il est revenu ensuite fréquemment mais les clients se sont habitués. Et j’ai vu l’intensité des applaudissements disparaitre petit à petit au cours du quinquennat. L’habitude, la baisse de popularité ? Je ne sais pas. Par contre, lorsque Carla Bruni, sa femme, a un jour sorti sa guitare et chanté, devant des caméras qui étaient présentes, ce fût un grand moment.
Votre premier selfie avec des clients célèbres ?
Il n’y en a pas. Ni de cadres au mur, avec des photos d’acteurs ou de personnalités qui ont fréquenté et apprécient le restaurant. Ce n’est pas mon truc d’aller déranger des clients pour leur demander de faire une photo ou un selfie. Michel Bouquet, Vincent Perez, Anne Gravoin et son ex-mari (Manuel Valls) ou encore Alain Afflelou, qui habitait Villa Montmorency, sont venus souvent mais je m’occupe de les servir et d’anticiper. Je gère avec mon équipe afin qu’ils se sentent bien, point. La seule chose un peu extraordinaire que j’aie faite a consisté, lors des visites du président, à affecter un collaborateur à l’unique mission de surveiller sa table. Pour anticiper toute demande, de loin, après un seul regard.
Le premier article qui évoque Honoré dans la presse ?
C’était lors de la campagne de 2012. L’article (voir plus bas) évoquait les cantines des candidats. Qu’est-ce qu’on a eu comme monde ensuite, même si ça s’est ensuite calmé ! J’ai découvert alors la puissance et l’impact des médias et de la presse écrite.
La première interruption forcée… de votre activité ?
Comme tout le monde et tous les restaurateurs, j’ai dû fermer ces derniers mois. Alors j’en ai profité pour me consacrer à ma famille, à d’autres projets. Dans notre métier, la plus grande difficulté, je crois, tient aux horaires et à la difficulté de concilier ce métier avec une vie de couple. Il faut avoir un conjoint solide et tenter de laisser les soucis au travail. Là, nous avons été carrément… coupés de tout. Aucune raison de venir au restaurant. Je me suis reposé et ça fait beaucoup de bien. Et j’ai eu également l’occasion de découvrir ce que signifiait l’expression Tous risques et perte d’exploitation pour mon assureur. Je suis assuré chez AXA, depuis la création et « équipé » donc d’un contrat multirisques avec perte d’exploitation. J’ai découvert les petites lignes dans mon contrat…hi, hi.
La première commande par téléphone et livraison à domicile ?
C’est drôle que vous évoquiez ceci. Comme tous les restaurateurs, je me suis demandé comment maintenir l’activité et ai réfléchi donc à mettre en place du click-and-collect. Mais c’est assez loin de ma vision de mon métier, peut-être de façon assez bête parce qu’il ne me viendrait pas à l’idée de me faire livrer un repas. Et pourtant, c’est bien ce que je fais souvent en réalité pour notre ex-président. Il m’appelle, lui ou Carla, alors qu’elle peut être à l’autre bout du monde. Elle me dit : « Il n’a rien à manger ». Alors je lui indique ce que nous avons comme plat du jour. Et je vais livrer le repas à domicile.
Ça a été et c’est une grande joie de servir le Président et en général les gens qui sont chaleureux, qui aiment discuter. On fait également ce métier pour cette raison.
Ce qu’il apprécie dans l’exercice de son métier :
Christophe Lormand gère son établissement avec une caisse et les logiciels fournis par l’Addition, dont il se déclare très satisfait : « De temps à autre, bien sûr, il y a des bugs mais la hot-line répond vite et ils gèrent vite le problème ». Pas tout à fait comme certains concurrents du marché.
Parfois, je me rends chez Metro tard le soir, vers minuit. Ils sont encore ouverts, il y a peu de monde sur le trajet et je peux donc faire une partie de mes achats sereinement.
Les cantines des candidats à la présidentielle
(…) Le président de la République et la première dame ne rechignent pas non plus devant une virée en chaussons dans une bonne adresse du quartier. Il y a tout ici pour les séduire : le cadre cosy, le feu qui crépite dans la cheminée, une table dressée rien que pour eux, juste devant, et une autre, à quelques mètres, pour les gardes du corps (…) Bravo : le service attentionné. Les prix raisonnables, surtout pour le quartier. Pas mal de vins au verre et l’ouverture six jours sur sept. Honoré : 13 rue Bosio, Paris 16. 01 42 88 12 12.
Le Figaro du 26 Mars 2012. François Simon et Hugo de Saint-Phalle.
Par Manuel Jacquinet
*Tenancier : Personne qui gère un établissement soumis à la surveillance des pouvoirs publics et dont l’ouverture est soumise à autorisation.