Sébastien Zins, dans le rôle du Cid (Ce que j'ai appris chez Teleperformance)
Ce que j'ai appris chez Teleperformance, épisode 3 : Sébastien Zins, dans le rôle du Cid.
« Gérer les premiers appels reçus au service client chez Wanadoo a été quelque chose d’unique. J’avais 24 ans, il y avait tout à faire d’un point de vue technique et je n’y connaissais rien ». Lorsqu’il rentre chez Teleperformance, en 1997, Sébastien Zins rejoint le 1er Centre de Service client en France. Passer de 35 à 600 personnes en 18 mois a été très formateur, sans oublier quelques autres aventures mémorables ensuite. Il est désormais VP chez Salesforce, Head of Marketing Cloud.
1er septembre 1997, Wanadoo reçoit son 1er appel de service client. Place de Catalogne…
Sébastien Zins : « J’avais 24 ans et quasi pas d’expérience professionnelle, sinon un petit passage dans une société de télématique après une formation technique, en informatique. Xavier Blanchot était en charge de recruter l’équipe qui allait créer et faire fonctionner le premier centre de Customer Care en France, pour Wanadoo.
Christophe Allard, qui prenait la décision finale de recrutement, m’avait demandé de débuter le 1er août, mais j’avais raconté un pieux mensonge : que je devais partir en voyage avec ma future femme. En réalité, c’est avec des potes que je partais et au Mexique. Le cabinet de conseil avait bien voulu être complice de ce petit mensonge et me voilà IT Manager de ce site, qui devait prendre les appels de hotline du premier FAI en France. J’avais 24 ans, je n’y connaissais rien mais je me rappelle le 1er appel reçu parce, que forcément, ces premiers kits de connexion ne marchaient pas trop bien; ça a été un moment formidable, d’abord en raison de la croissance qu’a connue le site et parce qu’il y avait tout à faire et que j’en avais la responsabilité totale pour la partie technique. En septembre 1997, il y avait 100 000 abonnés et 500 000 en décembre, un million quelques mois plus tard. On a débuté avec 35 télé-acteurs, il y en avait 600 un an et demi plus tard !
Parallèlement, comme c’était le premier centre de ce type en France et au sein de Teleperformance, je l’ai fait visiter à tous les patrons de filiale qui venaient en France pour les séminaires internationaux que Daniel Julien organisait, à l’Hôtel Lutétia. Comme je me débrouillais bien en anglais, on m’avait chargé de ces visites. »
Quel est votre travail à l’époque et pourquoi vous a-t-on recruté, confié cette mission assez stratégique ?
J’étais en charge et responsable de tout ce qui est technique : ACD, badges, liaisons télécom, informatique. J’étais « backé » par l’ACD Manager de Belgique mais au tout début, à vrai dire, j’ai dû tout découvrir. Le génie de TP, à l’époque était précisément d’oser prendre des jeunes étudiants, souvent bien formés, dans le grand bassin d’emploi que constitue Paris et de leur confier ces responsabilités, tout en sachant qu’au moment où ça allait tanguer, on gèrerait les incendies qui surviendraient. On travaillait tout le temps, je me rendais souvent sur site le samedi ou le dimanche ; de toute façon, je n’avais que ça à faire ! Il faut comprendre que le Teleperformance de l’époque - et notamment ce site - sont un véritable incubateur de talents, comme on dirait maintenant, dans lequel Christophe Allard et ses équipes mettent en situation des jeunes, leur confient les clés de presque tout et viennent éteindre les incendies lorsqu’ils surgissent.
C’est souvent arrivé ?
Oui, mais on avait quelques pompiers de talent. Car la compétence dans ce métier n’était pas chez le client mais bien chez nous. Il faut savoir que l’entreprise, à cette époque, rédige un book de recommandations et formalise les process après chaque opération, mission, nouveau métier entrepris ou rôdé. Tous ces documents sont ensuite remis aux clients. Il faut également avoir en tête que Christophe ainsi que les autres membres de l’équipe ont une expérience et une vision très précise de ce qui doit être fait et savent la délivrer, parfois sur un mode très assertif. Je me rappelle une réunion de crise, avec un client et son équipe au grand complet, au cours de laquelle, après l’exposé des problèmes notamment par la direction marketing du client, il a pris la parole et dit : « Non, on ne va pas faire comme proposé ; on va faire comme ci, comme ça, et voilà pourquoi et ce qui va se passer. » Et personne n’a trop bronché, car Christophe avait raison. C’était quelqu’un qui pouvait faire peur, avec un regard de tueur parfois, mais cette super exigence était associée à une super compétence. Dur mais juste.
Certification à la norme Iso et quart de finale France-Italie…
On avait “vendu” à FTI (France Telecom Interactive) le projet que nous allions passer la certification 9100, une promesse un peu folle : en 1998, la norme ISO 9000 est une norme industrielle, qui n’emprunte rien encore aux services. On travaille comme des fous et vient l’audit de certification, un moment clé, l’aboutissement de semaines de travail. Je m’en souviens, c’était pendant le quart de finale France-Italie. J’avais dit à Brigitte Daubry « Es-tu certaine d’avoir besoin de moi ? » car je voulais voir le match, comme tout le monde. Et du coup, elle m’indique que forcément, ma présence est indispensable ; alors j’avais apporté ma télévision. Tout se déroule bien mais on n’a rien vu de la partie. Lorsque tout s’achève, c’est la fin du match, prolongations. On tente de joindre Christophe pour lui dire que tout s’est bien passé. Son assistante nous répond : « il ne peut pas être dérangé : il regarde le match ! »
« On va probablement racheter Noble Systems. Tu pars à Salt-Lake City »
Mais, moins de deux ans après son arrivée chez TP, le jeune responsable technique, qui a vécu en moins de dix-huit mois ce que d’autres cadres peuvent mettre dix ans à découvrir ou expérimenter, s’ennuie déjà :
« On avait beaucoup grandi mais ça tournait, on gérait et l’ennui pointait. A peine avais-je annoncé cela à Christophe qu’il me répond : tu ne bouges pas, je reviens vers toi. Et voilà comment je me suis retrouvé au siège où se créait une équipe Teleperformance International, qui avait vocation à mener des projets groupe. Là, j’ai travaillé en étroite proximité avec Christophe et Daniel Julien (fondateur et président) sur toute sorte de chantiers. Je revois ce dernier rentrer dans le bureau, tout agité, tournant comme une hélice. L’une de nos filiales à l’étranger utilisait comme logiciel d’appels sortant Noble Systems et en était très satisfaite au point qu’on envisageait d’acquérir l’éditeur. « Tu fais quoi la semaine prochaine ? » me demande Daniel. « Et bien euh… » « Bon, tu pars à Salt Lake City » Me voilà donc parti en visite dans notre filiale US pour comprendre ce que nous faisons de cet outil, rédigeant un mémo, avec, sur le chemin du retour, un stop à Atlanta pour y rencontrer Jim Noble, le fondateur. On parle d’un achat à plusieurs dizaines millions de dollars. « Je me rappelle son visage et la surprise que j’y lis quand il ouvre la porte et se trouve nez à nez avec un jeune gars de 25 ans, en jean, peut-être bien troué. Bien sûr, je n’étais pas celui qui allait prendre la décision finale de cette acquisition mais mon avis et ma synthèse seraient des éléments clés, il le savait. Or, le visiteur qu’il a accueilli ce jour-là ne correspondait pas du tout à ce qu’il s’était figuré. Plus tard, en 1999, j’ai eu l’occasion de travailler sur un autre projet qui m’a marqué : l’ouverture du 1er centre d’appels au Maghreb, en Tunisie. Christophe nous annonce ceci un matin. Et me voilà en charge du montage technique du site, dans un ancien garage automobile, pas du tout conçu ni adapté à un centre d’appels et surtout, confronté à une difficulté majeure : le transport de la voix. Il n’y avait pas de voix sur IP à l’époque. Et le gouvernement craignait beaucoup de nous ouvrir des LS spécialisées, ce qui était absolument nécessaire. On a rencontré de grandes difficultés à acquérir des demi-circuits, je négociais avec France Telecom en France mais en Tunisie, ça n’avançait pas. Il a fallu que Jacques Berrebi intervienne, que nous nous fendions d’une visite au plus haut niveau de l’État, avec tout le cérémonial pour débloquer le sujet. Ça aussi, c’était TP : l’opportunité de créer et de découvrir de nouveaux défis techniques, loin de chez vous, avec, comme point commun, une seule exigence : il faut que ça marche ! Imaginer à chaque fois de nouvelles solutions, qui seront ensuite utilisées par d’autres, ailleurs. Pas de faux plafonds ni de planchers techniques en Tunisie à l’époque, dans ce garage…
Quand les filiales disent non
Addict à cette adrénaline que provoquent tous ces projets plus nouveaux et stimulants les uns que les autres, le jeune Sébastien va pourtant buter plus tard sur une arête tenace et qui reflète l’organisation du groupe de l’époque.
« J’étais parvenu et m’occupais à l’époque de projets non opérationnels, qui impliquaient des filiales dans lesquelles le groupe ne possédait à l’époque que 51%. Quand il fallait y modifier quelque chose, investir sur un outil ou dans des projets plus radicaux, forcément le patron local-qui avait souvent créé l’entreprise avant qu’elle ne soit rachetée- me regardait d’un air qui voulait dire : même pas en rêve, mon gars. Je n’avais aucun pouvoir pour imposer de décision. Et je pense d’ailleurs que ça a coïncidé avec une période de crise de valeurs dans le groupe. L’entreprise, qui avait été un temps seule sur son marché à délivrer certains services, à posséder la compétence sur certains métiers, s’est retrouvée avec une vraie concurrence et des acteurs qui ont commencé à porter un autre discours, à d’autres interlocuteurs dans les entreprises. Elle a ensuite bien résolu ce problème mais ça s’est combiné alors avec mon envie de découvrir d’autres environnements. Je pensais par exemple que l’analytics, l’utilisation des données recueillies pendant les conversations, pouvait constituer la prochaine frontière à franchir.
La force de l’entourage, très féminin au demeurant : « Il ne pouvait rien nous arriver »
Le pari qui consiste à l’époque à prendre des jeunes et à les jeter dans la mare était-il une vraie stratégie, l’avez-vous réutilisée ensuite dans des entreprises où vous avez travaillé ?
C’est à l’époque une vraie culture d’entreprise, qui n’était peut-être pas d’ailleurs dénuée de considérations financières : les jeunes sont forcément moins chers que des profils plus expérimentés ; mais elle s’assortit également d’une autre réalité. Au siège, de vrais professionnels étaient là et avaient anticipé qu’il y aurait, à un moment ou à d’autres des soucis, de grosses pannes ou difficultés. Et là, comme je l’ai évoqué plus haut, Christophe ou d’autres arrivaient, considéraient le problème et décidait de la bonne façon de les solutionner. On avait le sentiment que rien ne pouvait nous arriver, même si nous avions bien conscience des enjeux. J’ai vécu, grâce à cette période, des moments, des joies et ai été confronté à tant de sujets passionnant mais surtout, j’ai appris que la technique en tant que telle ne sert à rien si elle n’est pas au service du métier. Chez Salesforce, où je travaille désormais, nous ne vendons pas en réalité des logiciels, jaune bleu ou vert : les dirigeants s’en fichent de la couleur de votre outil : ils désirent et attendent de vous que vous les aidiez à résoudre leurs problèmes, à faire coïncider vos outils, solutions et leurs enjeux.
« Des jeunes et des femmes Gwenaelle, Sandrine, Brigitte et Sophie »
Vous avez travaillé et collaboré avec Brigitte Daubry, qui fera partie et montera la cellule qualité de Teleperformance International, mais y a-t-il d’autres femmes à l’époque dans l’entreprise ?
Quantité, et pour celles que j’ai eu l’occasion de côtoyer : Gwenaelle Roussel, Sandrine Knesellen, plus tard Sophie de Menthon ou Brigitte Daubry ; il y avait une très forte féminisation de l’encadrement peut-être et, sans être phallocrate, peut-être parce que dans la fin des années 90, les métiers du téléphone sont associés aux voix féminines et que quantité de femmes, de talent, vont affluer dans le métier et y faire carrière. Celles que vous citez et d’autres ont été essentielles au succès de l’entreprise. Dans la société au départ, il y a des jeunes et des femmes. Plus tard, au fur et à mesure des rachats à l’international, le groupe va s’agrémenter de profils plus expérimentés.
« J’ai appris en deux ans ce que j’aurais vécu et découvert ailleurs en dix ans et encore »
A vingt-quatre ans, comme l’indique Sébastien : « on se met dans des situations de risque, on les accepte ou on les recherche parce qu’on sort de l’école, qu’on est avide d’apprendre, de découvrir et qu’on n'a en plus rien d’autre à faire qu’apprendre. Mais ce que j’ai connu Place de Catalogne et rue Firmin Gillot a été unique pour trois autres raisons : l’hyper croissance que vivait l’entreprise et le secteur sur lequel elle intervenait ont créé des opportunités uniques, exigeantes, constitué des phases d’accélération où ça pousse tellement fort que tout ne peut pas être prévu ou maitrisé. Mais le soutien existait, était rapide à se déployer, avec une alchimie unique d’hyper exigence et de confiance. Enfin, j’ai eu la chance de travailler en hyper proximité avec l’équipe des fondateurs, de sentir l’agitation qui montait lorsque Daniel avait une idée, qu’il tournait dans la pièce comme un tigre de Tasmanie ; ou de sentir une odeur de cigare. On savait alors que Jacques Berrebi était là.
Plus tard, le BPO est devenu en partie un métier où il s’est agi d’aligner, chez certains, des gens derrière des ordinateurs et qui ne coutent pas trop cher; mais à l’époque où j’ai découvert ce métier, la compétence et le savoir-faire qui y étaient associés se trouvaient à un seul endroit: chez Teleperformance. Et on nous a permis de la découvrir et de l’enrichir. Ça a été unique, tout comme l’était l’entreprise de la fin des années 2000.
Je me suis en effet souvent demandé d’ailleurs pourquoi le cabinet de conseil qui avait conseillé France Telecom avait émis cette recommandation et pris un tel risque. « On savait que ça allait être compliqué, mais Teleperformance était à l’époque la seule entreprise dans son secteur en capacité de scaler, d’accompagner cette croissance »
On songe, en quittant Sébastien, à ces entreprises qui savent et osent confier à de jeunes gens l’occasion d’éprouver leurs talents, de grandir ; à un certain vers de Corneille : « Je suis jeune, il est vrai mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années»
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Diplômé de l’Université Paris 12 Créteil, Master en informatique et Multimédia, Sébastien Zins rejoint Teleperformance en 1997, après une courte 1ère expérience professionnelle.
Il rejoint différentes entreprises de technologie ou de software dont Touchbase, Nice Systems. Il occupe désormais des fonctions de management chez Salesforce dont il est désormais le Area Marketing Vice President pour la division Marketing Cloud.
Ils ont entouré ou collaboré avec Sébastien Zins, à l’époque : Bertrand Derasey, Patrick Dubreil, Brigitte Daubry, Xavier Blanchot.
Par Manuel Jacquinet et la rédaction d'En-Contact
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Photo de Une : Sébastien Zins - © Edouard Jacquinet