Procès Call Expert : trois ans et demi de prison ferme requis contre son ancien dirigeant Bertrand Delamarre

 A Amiens, le parquet a requis, début juillet, quatre ans de prison dont six mois de sursis et cinq ans d'interdiction professionnelle à l'encontre du fondateur du spécialiste en relation client, Call Expert, jugé avec huit autres ex-cadres de la société à Amiens pour faux, usage de faux, abus de bien social et escroquerie. A l'encontre de l’ancien dirigeant, Bertrand Delamarre, le ministère public a également requis 10 ans d'exclusion des marchés publics ou encore une confiscation de 17 000 euros. 

AD Marketing, fondé par deux experts du métier

Fondé au tout début des années 2000 par Bertrand Delamarre et Claude Briqué, qui se retirera ensuite de l’entreprise*, (et initialement sous le nom de AD Marketing), Call Expert a été l’une des entreprises météorites et couronnées de succès de la période un peu folle des années 2000, dans le secteur des centres de contacts. Au faîte de son succès, Voyages SNCF, Rue du Commerce, Canal Plus, American Express, Last Minute et bien d’autres entreprises collaboraient, à Alès, Abbeville et au Maroc avec les équipes montées par Bertrand Delamarre. Le groupe pratiquait également des activités de modération de sites média ou de sites de charme, en Roumanie et dans des locaux, ouverts 24H/ 24, sur Paris. Il a employé jusqu’à 700 personnes dont presque 500 à Abbeville, dans la Somme. Les dettes sociales et fiscales ont avoisiné les 18 millions d’euros lors de la mise en RJ du groupe qui affichait 24 millions d’euros de CA dans sa dernière année.

« Il faut une peine à la hauteur de la gravité des faits. On ne peut pas laisser un dirigeant d'entreprise spolier une société », a argué le procureur Nicolas Souffrin. Il a également demandé des peines de six mois de prison avec sursis pour trois autres anciens cadres de la société, notamment pour faux et usage de faux, et la relaxe totale ou partielle des autres prévenus. Prévu en novembre 2020, le procès dans lequel sont parties civiles des salariés, l'État, la métropole européenne de Lille (Mel) et la CGT, avait été renvoyé en raison de la crise sanitaire du Covid-19. Dans un contexte de crise économique, Call Expert, qui faisait office de success story avec le choix de nombreuses implantations françaises, avait bénéficié d'importantes subventions publiques. Mais son fondateur Bertrand Delamarre avait été mis en examen en 2014 pour usage de faux, présentation de faux bilans et abus de biens sociaux pour des faits présumés sur la période 2011-2013. « Si on fait une lecture très caricaturale de ce dossier, on pourrait dire que le Bertrand Delamarre de 2011, 2012 et 2013 est un homme qui délaisse sa femme et ses quatre enfants pour une relation adultérine (...) et qui utilise l'argent de la société pour mener la grande vie au mépris des salariés », a précisé la présidente Delphine Raeckelboom, à l’ouverture du procès. 
Après qu’il fût placé en redressement judiciaire, en octobre 2013, 2 plans de cession ont permis à l’époque de sauver 233 emplois sur les 638 des sites d'Abbeville, Roubaix et Paris. IPG Contacts fût l’un des repreneurs d’une partie du personnel et n’a pas connu un grand succès avec cette reprise, le second repreneur étant Relaytion, à Abbeville. 

L’héritage de Call Expert

Didier Rus (ex-Comdata), Yann Lebreton (Callweb-Adm Value By Tessi), Aymeric Flamand (DSI), de très nombreux cadres ou opérationnels encore en poste dans le secteur ont réalisé une partie de leur carrière ou apprentissage, souvent accéléré, chez Call Expert. Dont celui du danger à frôler souvent la ligne jaune. Virginie Darmaillacq (Voyages SNCF) témoigne, dans la vidéo qui suit, de l’attractivité du modèle économique qui était proposé à l’époque par le prestataire à ses clients et accélérait les signatures de contrats. Prestations spécialisées dans le tourisme et back office spécialisé, télévente, modération de contenus illicites, on retiendra de l’époque et du savoir-faire de Call Expert que l’entreprise et son fondateur ne disaient jamais non à aucun projet, aucune demande et qu’il démontrait un talent certain en marketing et écoute de la voix du client. Option Images, Call Expert Réunion, la SEPT (spécialisée dans le traitement des incidents bagages et demandes de remboursement des passagers aériens), les différentes marques sous lesquelles le groupe commercialisait ses prestations ont d’ailleurs intéressé des leaders du secteur, lors de sa mise en redressement : Webhelp fit à l’époque une offre de reprise de la SEPT, non couronnée de succès. 

« J’ai collaboré, sur des sujets de formation, de création d’une école interne sur le métier de modérateur, avec Call Expert, indique Manuel Jacquinet, fondateur et président à l’époque de Colorado Conseil ; je suis à cet effet parti en Roumanie voir ses centres de contacts et les activités qui y étaient développées et produites ; certaines étaient originales. Bertrand Delamarre menait ses activités à un rythme soutenu, avec une véritable vision et je comprends comment il a pu emmener avec lui toute son équipe et des clients ensuite. On était parfois proches d’une ambiance de film d’action américain. L’essor des call centers, dans ces années-là, a permis à de nombreux entrepreneurs d’exploser lorsqu’ils avaient un réel talent commercial. Certains, qui ont frôlé la correctionnelle parfois, sont ensuite rentrés dans le rang, pas lui. »

L’issue du procès devrait être connue dans les prochaines semaines et soulagera sûrement une partie des anciens salariés, dont certains ont même prêté des sommes conséquentes à son ancien dirigeant. Ce dernier leur faisait miroiter un statut d’associés afin de les inciter à investir une partie de leurs économies dans le groupe. 

Par la rédaction d’En-Contact

Relire notre article Du call center aux portes du pénitencier.

Pour aller plus loin, découvrez notre série : la fin des call centers à la papa.