Marchand de couleurs à Montparnasse, libraire rue de la Pompe, graveur au Palais Royal: Jérôme Elmalek
Quand il ne vend pas des couleurs ou des livres, on peut l'apercevoir opérer à la caisse, un samedi de Décembre, mais à la caisse de commerces qui sont autant d'institutions parisiennes. Portrait d’un papetier et libraire, devenu également gentil organisateur de signatures et qui croit encore au SBAM et au sur mesure, une tradition chez Adam et Lavrut : Jérôme Elmalek
Le sur mesure, dans les baskets ou les sacs Hermès, les cuisines, participe de l’expérience client et de l’enchantement que les grands distributeurs désirent créer chez leurs clients. Ce phénomène n’est pas une nouveauté : en plein cœur du quartier de Montparnasse, dès 1898, ADAM, un marchand de couleurs, ouvre ses portes et propose à ses clients artistes, dès les premières années de son commerce, d’autres fournitures que des peintures et des fournitures pour dessiner. Il sait répondre à des demandes spécifiques. Grâce au petit-fils du fondateur, Edouard, l’enseigne connait un essor important et va marquer l’histoire : Edouard crée pour Yves Klein le medium sans lequel l’IKB 76 n’existerait pas et fournit à Soulages… son noir bientôt très connu. Du moins les matières pour le composer. Calder et Tinguely seront également des clients servis et satisfaits, notamment pour les vernis mats qu’ils demandent. Alors, si vous n’avez pas encore fait vos achats de Noël et vous demandez encore où trouver du conseil et du stock, prenez le chemin de l’une des enseignes qui composent les Établissements Lavrut, une PME au sein de laquelle un patron impliqué, grâce à des trésors d’ingéniosité, un esprit un peu frondeur et des équipes engagées parvient à tenir tête aux Goliaths du secteur. Ce n’est pas un hasard qu’il ait pris le relais d’Edouard Adam à Montparnasse, on le comprend vite en l'écoutant.
Tout le monde commande sur internet de nos jours. Racheter des boutiques, n’est-ce pas inconscient aujourd’hui ?
Jérôme Elmalek : Ça relève du lieu commun, mais face à l’avènement d’Amazon et du e-commerce, il a fallu se réinventer et imaginer des lieux toujours plus accueillants, toujours plus plaisants. Nous faisons donc en sorte qu’on puisse trouver en magasin une expérience d’achat différente de celle vécue en digital. Notre parti pris consiste à reprendre, maintenir, développer de vieilles institutions parisiennes, plus que centenaires parfois, et très spécialisées. On les a donc remis à niveau sans grands moyens mais avec des idées. Pour commencer, nous avons revu l’offre, mis en place une stratégie de merchandising plus adaptée aux standards actuels. En sus l’humain s’avère primordial évidemment : la qualité de l’accueil et des conseils.
Chez Lamartine, Stanislas Rigot et ses libraires ont une particularité: ils ont souvent lu les livres exposés qu'ils sont donc en mesure de conseiller et d'adapter aux goûts de leurs lecteurs et clients. La carte de fidélité, un pré-requis, incite ces derniers à revenir en magasin.
Vous vous spécialisez surtout dans le matériel artistique ?
JE : Nous avons en fait deux enseignes très connues : Il y a Adam à Montparnasse, spécialisée dans les Beaux-Arts, qui existe depuis 1898 – le bleu Klein ou le noir de Soulages viennent de là – et Lavrut, rue Réaumur et Choiseul, qui est plutôt dédié au monde des arts appliqués. Les clients y sont plutôt des architectes, designers, bijoutiers, des gens qui travaillent dans la mode. Forcément il y a eu un changement structurel dans le métier : la digitalisation a changé pour beaucoup de ces professionnels la façon de travailler. Alors il a fallu élargir l’offre, se développer sur d’autres segments de produits, afin de compenser les pertes de chiffre d’affaires.
Le client qui veut toujours venir palper les objets, juger sur pièce, achète-t-il toujours, encore ?
Le showrooming est un vrai problème dont on pâtit un peu : des gens viennent en magasin, se font conseiller, disent qu’ils vont réfléchir et partent sans acheter. Toutefois on sent poindre un mouvement depuis quelques années qui défend vigoureusement notre parti pris et qui nous permet de fidéliser un certain nombre de clients. Ça passe également par une politique de prix souple et agile. On cherche enfin à améliorer nos collections de produits, notre visibilité sur les réseaux sociaux, pas à pas, car on ne dispose pas de gros moyens d’investissement. Ou de travailler sur des niches. Édouard Adam, petit-fils du fondateur éponyme du magasin, et avec lequel on a édité un livre, me racontait qu’il était le premier à avoir importé de l’acrylique en France. On peut toujours défricher mais incontestablement un autre monde s’est installé.
Le recrutement est-il une difficulté dans votre secteur ?
JE : La librairie est un secteur assez bien structuré où il est plus facile de recruter que dans d’autres métiers. Et le fait que nous soyons assez connus à Paris aide. C’est plus difficile pour un vendeur beaux-arts ou dans l’imprimerie (l’entreprise possède également une enseigne imprimeur-graveur avec Boisnard & Stern)
Les signatures organisées en librairie sont-elles un must-have ? Quels ont été les plus gros succès dans ce domaine ?
JE : C’est en tout cas quelque chose qui ne se faisait pas lorsqu’on a repris la librairie Lamartine et qu’on a mis en place, en initiant le mouvement auprès des éditeurs. Maintenant ce sont eux qui pensent à nous car on a de la chance d’avoir beaucoup d’espace et parce qu’on parvient à attirer en moyenne 70-100 personnes par signature. Sarkozy, forcément, a attiré beaucoup de monde. Pierre Lemaitre est venu récemment. Il y a Karine Tuil qui passe ce soir. Nous organisons deux sortes d’événements : des dédicaces et des rencontres. Celles-ci ont lieu le soir, le magasin étant fermé : on pousse les chaises et s’ensuit un échange entre le libraire et un auteur, puis les questions du public et enfin une séance de dédicaces. Ça fonctionne très bien et l’on se rend compte que l’humain et les relations humaines sont quand même importants et que tout le monde prend du plaisir à se retrouver lors de ces rencontres. Et pour cette raison également, on parvient à faire venir du monde pour des auteurs moins connus.
Si je vous dis CRM, base de données qualifiées et RGPD, marketing automation et envoi de notifications (SMS, WhatsApp), cela est-il du chinois pour vous ?
JE : Notre base de clients chez Lamartine est importante n’est pas encore exploitée car on reste une PME. Mais c’est quelque chose qu’on cherche à activer, via notre newsletter récemment, et plus activement une fois qu’on aura entrepris un assainissement de ces bases de données. De telle sorte qu’on puisse prévenir par exemple les amateurs de Joël Dicker lorsqu’il il passe faire une dédicace à la librairie. J’ai voulu moderniser nos news, donner une vraie cohérence et identité visuelle à nos librairies par exemple. Et on s’est mis à travailler sur ces sujets avec une société spécialisée, Sendethic, avec laquelle on vient de lancer une petite mission.
Propos recueillis par la rédaction d'En-Contact. L'interview a été réalisée voici quelques mois, le jour de la signature organisée sur place avec Karine Tuil.
Photo de une : Lamartine au fil du temps : dans les années 70/80 - crédit © DR