IA, réseaux sociaux, Tech. Les Pionniers et les Gens peu recommandables
Sheryl Sandberg, Mark Zuckerberg, Meredith Whittaker, Sam Altman, Philippe de Gibon.. Des Pionniers ou Des gens peu recommandables ? Qui sont vraiment les PDG des entreprises de la technologie, de l'IA, du télémarketing, devenus si importants et parfois intrusifs dans nos vies ? Deux livres permettent de les approcher, dont la lecture sera très profitable. A Nice, l'un d'entre eux est décédé récemment. Il n'avait pas écrit de livre mais ce qu'il a réalisé laissera des traces.
Les ventes de Pionniers, le livre à lire et offrir à Noël, ont dépassé les 6119 exemplaires. Ce n'est pas suffisant
Vous pourriez le parachuter sur une île peuplée de cannibales et revenir cinq ans plus tard : il en serait devenu le roi (Paul Graham) (..) Je me souviens de notre première rencontre, en 2016, alors que Sam Altman dirigeait Y Combinator, l’accélérateur de start-up californien (..)

Guillaume Grallet est tout sauf un journaliste de bureau. Le rédacteur en chef Tech et Sciences au magazine le Point suit la tech et a, en quelques vingt ans de carrière, gagné la confiance des PDG les plus inabordables de la technologie, les américains, les français, les chinois et notamment ceux qui sont à la manoeuvre en matière d'intelligence artificielle.
Dans son ouvrage Pionniers, édité chez Grasset, il nous emmène à la rencontre des mavericks de cet univers. De San Jose à Paris, à l’hôtel Saint Lambert, toujours avec malice et audace, l’auteur a su trouver les failles temporelles pour questionner ces VIP discrets et archi sollicités. Sam Altman, Meredith Whittaker, Pelonomi Moiloa, Demis Hassabis, Mark Zuckerberg etc. Pour essayer de mieux les cerner, de comprendre ce qui les anime. “Ce qui m'intéresse, ce sont les êtres humains qui, à un moment de leur vie, ne se satisfont pas de l'ordre établi”.
Pour répondre à la question essentielle, souvent oubliée et que l'incite à poser, dès la préface du livre, Howard Rheingold : "Ce qui compte vraiment, c'est ce que nous faisons de cette technologie". Car c'est bien l'interrogation essentielle, dont chacun désormais comprend l'importance. Si de nouvelles frontières sont visibles, incroyablement porteuses d'espoir grâce à la tech et aux avancées de l'IA, elles sont également très anxiogènes pour le commun des mortels. A chacune des personnes rencontrées, l'auteur a posé les trois mêmes questions : quelle personnalité du présent ou du passé aimeriez-vous rencontrer ? Comment vous voyez-vous, et la société dans laquelle nous vivons, dans dix ans ? Que faut-il apprendre à nos enfants?
Le livre est rédigé par l’un des rares journalistes français qui connaisse bien San Jose, Station F ou les domiciles personnels de ces ex-échappés de Stanford ou Harvard, Polytechnique. Car il lui a fallu parfois des années d'attente et bien des circonvolutions pour parvenir à ses fins: caler une rencontre, obtenir une interview.
Le propos et l'objectif de l'ouvrage sont bien résumés en page 16 :
(..) percevoir quelques ressorts cachés de personnes qui ne satisfont pas du statu quo. Et qui pour certaines, vont avoir une influence considérable sur notre vie et celle de nos enfants. L'un des mérites du livre Pionniers est bien de questionner l'époque et les impacts qu'aura l'IA et ce qui est dans la tête des chercheurs et entrepreneurs.

Grâce aux 270 pages de ce livre bourré d'anecdotes, embarquez dans le Van qui conduit Sam Altman à Station F, visitez le bunker de Hawaii où Mark Zuckerberg attend la fin du monde. Comprenez les craintes et les doutes de Reid Hoffman, le fondateur de Linkedin, nostalgique d'une ère de doute constructif ou ceux de Meredith, un ovni dans le monde des big tech.
(..) En mars 2025, à la conférence SXSW, Meredith Whittaker s'attaque au concept d'agentic AI, ces IA dites autonomes censées prendre des décisions pour nous. Utiliser une IA agentique, c'est comme mettre son cerveau dans un bocal. Ce qu'on appelle IA aujourd'hui n'est pas un un concept technique, c'est un slogan marketing ( page 151)
Dans Pionniers, l'auteur reste à une place remarquable et appréciable : celle de l'observateur curieux, qui pose des questions pratiques et nous permet, grâce à la rencontre de quelques visionnaires, disrupteurs, de mieux comprendre ce qui se joue, maintenant. “En réalité, l'intelligence artificielle ne tuera l'intelligence humaine que si nous le permettons. Il est temps de ne plus le permettre”. Cette place est aussi partiellement une limite: quand on est invité à partager l'intimité, un rare moment de disponibilité, on ne gratte pas trop les plaies.
Un autre ouvrage le fait sans détour.
Le livre que Facebook aurait voulu interdire: Careless People
Certains médecins “people”, qui ont écrit vingt livres ou plus sur la santé, la diététique ou la nécessité de faire de l'exercice :) sont invités sur les plateaux TV lors de chacun de leurs nouveaux forfaits imprimés. Buchet. Chastel, un éditeur indépendant, a publié la version française d'un best-seller d'utilité publique, dont on a moins parlé. A tort.
Morsures de requin, avidité, maternités gérées à coups de millions de dollars et de phalanges de nounous, compromissions, la visite de Meta et la fréquentation de ses dirigeants auxquelles l'ex-chargée des relations publiques de Facebook nous invite est saisissante et drôle. La prise de conscience intervient pour l'auteure en page 191. Et les suivantes sont encore plus inquiétantes.
Extraits
(..) On ne change pas les tâches du pelage d'un lépoard. Aujourd'hui, Meta est l'une des entreprises les plus puissantes au monde. Et nous vivons désormais dans un univers façonné par ces personnages et leur mortelle insouciance (..). Nous devons comprendre la relation que Facebook entretient réellement avec la Chine, sa deuxième source de revenus après les Etats-Unis (..)

Pourtant Facebook parait jouer sur la défensive, affirmant que personne en Corée-ni le gouvernement ni la police n'a de pouvoir sur eux. Il semble que ce soit la position de choix du réseau social dans tous les pays hors Etats-Unis et Irlande où se situe son siège social international. L'entreprise conteste leur pouvoir de réglementer en ce domaine, à moins qu'ils n'aient promulgué des lois spécifiques ciblant notre activité et qu'ils n'aient légiféré sur les champs de compétence. (..) Les dirigeants de Facebook estiment qu'en cas de conflit, leurs valeurs telles qu'ils les définissent peuvent l'emporter sur les lois nationales. (Page 184)
La Corée n'est pas la seule à sévir contre Facebook. D'autres nations ont ouvert des enquêtes pour toutes sortes de raisons. Nos bureaux internationaux ont reçu des visites et subi des descentes armées ou non, au Brésil, en Corée, en Inde et en France. J'en entends généralement parler lorsqu'un appel téléphonique ou un e-mail me parvient de notre chef de bureau local. Saaalut ! Je suis devant un type armé qui veut savoir quand nous paierons nos impôts au Brésil. Cela se produit désormais assez régulièrement pour que nous ayons mis en place des procédures d'urgence en cas de raid (..)
Chez Facebook, on s'attend à ce que la maternité soit invisible, et plus on a de compétences, plus elle doit être invisible. Des mois plus tard, lorsque notre bébé doit être transporté d'urgence à l'hopital en ambulance, pendant des jours au bureau je n'en parle pas (..) Toutes les histoires du livre de Sheryl En avant toutes sur le fait de quitter le travail à 17H30, en confiant à ses collègues qu'elle doit rentrer chez elle auprès de ses enfants. Pourtant, en réalité, il y a une grande différence entre ce que racontent les gens de Facebook et ce qu'ils font particulièrement en ce qui concerne les enfants (..) Toutes ces fables sur la maternité veillent bien à gommer le rôle joué par la phalange de nounous et autres soutiens qui se chargent généralement de la majeure partie du travail consistant à éléver des enfants. La maternité dans la forme, pas dans la fonction. Elles ne parlent pas du véritable secret qui leur permet de maintenir l'équilibre entre leur vie professionnelle et et eur vie privée, de vivre leur maternité comme si elles n'avaient pas de gamins: c'est grâce à leur salaire de plusieurs millions de dollars qu'elles y parviennent. (Page 167)
C'est une prise de conscience gênante du peu de cas qu"ils font des autres, ces gens avec lesquels je travaille, soixante, soixante-dix, quatre vingts heures par semaine. Les dirigeants de Facebook ne sont pas ce que j'espérais. Rétrospectivement, j'aurais dû y réfléchir beaucoup plus sérieusement que je ne l'ai fait. (Page 191)
Careless people (titre original du livre)
Sarah Wynn-Williams, ancienne diplomate devenue cadre dirigeante chez Facebook, révèle l'envers du décor de l'entreprise qui a bouleversé nos vies. L'insider décrit, avec moult anecdotes et récits, l'envers du décor de Meta, capable du meilleur et souvent du pire. L'ambition calculatrice de Sheryl Sandberg, la toute-puissance capricieuse de Mark Zuckerberg, obsédé par la croissance à tout prix. Avidité, cynisme, mépris des lois, compromissions politiques, rien n'est suggéré, tout est raconté avec humour et détails éloquents.
On comprend pourquoi Meta a tout fait pour empêcher la sortie de ce témoignage, ce qui a provoqué l'effet inverse: le livre est devenu un best-seller mondial, symbole d'une bataille éternelle, celle de la différence entre la vérité et les machines de communication.
Avocate néo-zélandaise de formation, l'auteure a travaillé pour l'ONU et été en charge des relations publiques mondiales de Facebook, de 2011 à 2017. Cambridge Analytica n'a pas servi de leçon.
Ne passez pas à côté de ce livre, qui que vous soyez. Buchet-Chastel, l'éditeur qui l'a fait traduire et en a acheté les droits pour la France, appartient au groupe Libella.
nb: Libella rassemble aujourd’hui en France les éditions Buchet/Chastel, Phébus, Libretto, Les Cahiers dessinés, Delpire ainsi que la Librairie polonaise de Paris. Né en Suisse, à l'initiative de Vera et Jean Michalski, le groupe a également grandi en Pologne et regroupe maintenant les Éditions Noir sur Blanc et Favre à Lausanne, Oficyna Literacka Noir sur Blanc à Varsovie et Wydawnictwo Literackie à Cracovie. Mathieu Cosson en est l'actuel directeur général.
Philippe de Gibon, co-fondateur de Convers Télémarketing est décédé
Agé de soixante-dix ans, le PDG de Converse a écrit, avec ses associés, quelques belles pages du phoning à Nice, près de l'aéroport. Avant les autres, il a cru au travail des seniors, à l'innovation RH et sociale dans les call-centers. Autodidacte, le natif d'Oran était passionné de judo, des plaisirs de la vie, généreux. A lui seul, il était un parc d'attractions, un secteur dans lequel il avait été directeur des opérations. Jean Charpa, un sexagénaire qui fut recruté chez Convers, après quelques accidents de la vie, à plus de soixante ans, a raconté son expérience d'apprenti télévendeur pour Orange, ou les Mutuelles du Sud. Lire ici.
Plus bas, une photo collector, celle de la directrice de production de Opération 118 318 sévices clients, Deborah Chiarella.
Lorsque nous avons écrit et tourné ce film, Deborah avait désiré aller visiter et écouter des appels de télévente, sur un plateau. Pour tenter de filmer des choses réalistes. Un call-center auvergnat , en déroute, qui ne doit pas mourir et fermer avant les élections municipales et sera sauvé par des télévendeurs béninois, c'est possible ?
Pour raconter l'envers de la tech, de l'IA, immersion obligatoire. Ne vous arrêtez pas à la devanture
Manuel Jacquinet.