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Les centres d’appels du sexe vus de l’intérieur

Publié le 27 mars 2012 à 12:34 par Magazine En-Contact
Les centres d’appels du sexe vus de l’intérieur

Quand le Nouvel Obs parle des centres d’appels, ce ne peut être que pour des sujets « légèrement » racoleurs. Site internet du newsmagazine a ainsi repris un témoignage d’une certaine Daria Marx, blogueuse affiliée qui raconte son expérience en tant que chef de production dans un centre d’appels spécialisé sur les « câlins au téléphone ». Où l’on apprend que comme les prostituées en somme, ces professionnelles ont pour fonction sociale d’offrir un défouloir à l’expression des fantasmes et névroses de certains citoyens assez étranges… Mais l’honneur est sauf : « on reste propre, on ne rencontre personne, c’est comme un jeu ». Même si en rentrant du turbin, on ne regarde plus les hommes dans le métro avec le même regard.

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Envie d’un câlin au téléphone ? Mon expérience dans un centre d’appel du sexe

Le plus. On ne sait jamais où l’on arrive lorsque l’on répond à une annonce d’emploi un peu mystérieuse. Daria Marx, chroniqueuse et blogueuse, est allée dans un centre de téléphone rose. Elle raconte comment cela se passe sur place.

C’est un call-center comme il en existe tant. Des rangs de box vitrés, des câbles et des superviseurs vissés à leurs casques pour écouter les conversations en cours, une pendule massive au bout de la pièce qui donne le rythme des entrées et des sorties, des pauses clopes ou pipi.

Derrière les portes transparentes, une trentaine de femmes travaille dans une ambiance monacale, un bureau impersonnel, une lampe et un ordinateur qui clignote et affiche le temps qui défile. Des femmes, et puis moi, pour un entretien d’embauche.

L’annonce était brève “Service Audiotel recherche chef de production” sans autre indications. On pourrait être dans un service client, dans un centre de réservation de voyages ou chez un opérateur téléphonique. Mais en tendant l’oreille, si vous passez les cloisons vitrées, attendez-vous à être surpris. Pas de scripts de télémarketing, pas de formations ou de montées en compétences pour ces opératrices d’un nouveau genre, seul objectif affiché : garder le client le plus longtemps au bout du fil, une prime est donnée à celles qui assurent plus de 8 minutes de conversation.Vous êtes dans un centre d’appel du sexe.

Multiplier les offres

A l’heure d’Internet et de la pornographie accessibles partout, sur les téléphones mobiles comme sur les tablettes, à la maison ou dans le train, on peut s’interroger sur le business toujours florissant des numéros surtaxés pour adultes consentants. Si le marché du sexe est fortement impacté par l’offre gratuite disponible, celui de la conversation érotique se porte toujours bien.

Dans cette entreprise du sud de Paris, cela fait plus de 15 ans qu’on se spécialise dans l’amour au téléphone. Pas d’opératrices à domicile, lascivement installées dans leurs boudoirs fleuris, pas de dominatrices en cuir le fouet à la main, pas de jeunes filles graciles à la recherche du grand amour, seulement des téléopératrices qui changent de personnalité et de scénario d’appel selon le code qu’affiche l’ordinateur avant de décrocher.

Ce qui permet à cette société de prospérer, c’est de multiplier les offres et les spécialités. Ainsi, ce sont plus de 40 numéros qui aboutissent sur ce plateau d’appel, de la rencontre matrimoniale classique, aux pratiques les plus extrêmes de féminisation ou de domination. Le mélange des genres surprend d’abord les nouvelles employées, qui doivent savoir s’adapter rapidement, et rendre crédible les informations qu’elles donnent.

Une carte de France punaisée devant leur poste de travail, elles cherchent les villes proches de celles de leur interlocuteur, et voyagent ainsi toute la journée, tantôt parisiennes ou marseillaises, rurales ou urbaines, jeunes ou vieilles, modelées au désir du client. Les plus anciennes modèrent les numéros spécialisés dans la rencontre, et écoutent les annonces vocales déposées afin de s’assurer de leur légalité et de l’âge supposé du client qui la laisse.

Ces numéros sont en effet accessibles par tous, et s’ils sont interdits au moins de 18 ans, il suffit de composer son âge sur le clavier du téléphone pour accéder au service. De nombreux mineurs consultent donc ces services payants, et les réclamations de parents irrités s’entassent sur les bureaux du personnel administratif.

A la pause, les filles parlent de tout sauf de sexe 

“On n’en peut plus au bout d’un moment, on écoute des gens parler de leurs fantasmes et de la taille de leur sexe toute la journée, au début on rigole, on raconte les histoires les plus dingues à nos amis, mais on se fatigue. On sort du boulot et on regarde les mecs dans le métro en se demandant s’ils nous appellent et ce qu’ils nous demandent. On a du mal à s’imaginer qu’il existe des hommes qui n’ont pas des envies étranges ou qui ne trompent pas leurs femmes.”

Le turn-over est très important, les employées restent en moyenne trois mois en poste avant de changer de métier. D’abord parce que les horaires sont compliqués, les services de téléphone rose ne connaissent pas d’arrêt, et elles doivent donc assurer une présence en 3/8, les obligeant parfois à prendre leur poste à 5h du matin. Quant au salaire, celles qui travaillent le mieux gagnent 1500 euros net avec un système de prime compliqué, alors que les moins douées plafonnent au Smic.

Il y a aussi la lassitude et la violence de certains appels :

“Parfois on passe d’un appel très sexe, très chaud, à un monsieur âgé qui cherche une compagne pour ses vieux jours et qui se met à pleurer pendant la conversation. J’ai l’impression que, pour beaucoup, on est les seules personnes à qui ils parlent de la journée. Quand ils racontent leur vie, on sait pas trop quoi faire, on a envie de raccrocher parce que ça leur coute, mais on a les objectifs de prime en tête.”

Et puis il y a les appels inquiétants, les hommes qui promettent de retrouver la localisation des opératrices et de “s’occuper d’elles”, ceux qui demandent à jouer le rôle d’un instituteur pervers, ceux qui racontent des scènes ignobles, sans qu’elles puissent deviner ce qui est réel ou non.

Elles sont l’oreille de la solitude, de l’animalité, des perversions et des déviances : “on est toujours contentes quand on a un mec normal au téléphone qui nous parle juste de sexe sans en rajouter ou sans faire des choses sales.” Les contrats sont toujours des CDD, preuve que les gérants ont bien conscience de la difficulté et de la précarité des emplois proposés.

Malgré les conditions difficiles et la réputation étrange de ce métier, les sessions de recrutement sont toujours pleines. Le téléphone rose est perçu comme quelque chose de drôle, une activité mi-coquine mi-comique, qu’on pratique un moment pour se sortir d’un mauvais pas financier, parce qu’elle paraît facile. Les femmes qui se présentent sont impossibles à ranger dans une seule catégorie, elles ont pour seul point commun d’être pour la plupart en rupture ou en difficulté : fin de droit d’allocations chômage, rupture sentimentale ou familiale. “Le téléphone rose, ce n’est pas comme la prostitution, on reste propre, on ne rencontre personne, c’est comme un jeu au début, et puis il suffit de ne pas être trop coincée pour réussir à y arriver.”

Certaines arrivent d’autres entreprises de services Audiotel, elles ont prétendu être médium, voyante, ou coach en diététique avant de se tourner vers le téléphone rose. Elles sont habituées à s’inventer un personnage pour travailler : “c’est un peu comme si on était des comédiennes, on ment toute la journée, on fait des bruitages, on crie, on chante, c’est du sport.” Je ne me sens pas l’âme du chef de troupe, je renoncerai donc à ce poste.

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