Le magazine indépendant et international du BPO, du CRM et de l'expérience client.

«Je suis toujours heureuse d’arriver en studio». Rencontre avec Françoise Hardy

Publié le 22 août 2024 à 11:00 par Magazine En-Contact
«Je suis toujours heureuse d’arriver en studio». Rencontre avec Françoise Hardy

Lors de l'enregistrement de Je suis moi, Michel Berger a du mal à accepter que Françoise Hardy s'absente du studio et des sessions qu'il conduit pour aller dormir. La jeune maman profite de la plage horaire minuit-six heures du matin, pour dormir un peu.Entre les deux biberons qu'elle donne à son jeune fils, Thomas. Décédée en Juin, l'égérie des années 60 nous avait accordé une interview, en 2020, sur les studios d'enregistrement qui l'avaient marquée: CBE, Plus XXX, Guillaume Tell ou le Poste Parisien, plus méconnu, voire le Labomatic. 

Vous avez fréquenté et enregistré dans de nombreux studios parisiens fameux, connus ou pas : celui du Poste Parisien, Guillaume Tell, Plus XXX, celui de Michel Berger ou du bas de la maison de Louis Chedid. Lesquels vous ont laissé des souvenirs mémorables ? Pourquoi ?
Dans l’ordre chronologique, les studios d’enregistrement qui auront été les plus importants pour moi sont le studio CBE de Bernard Estardy, extraordinaire ingénieur du son ; le studio Plus XXX ; et Labomatic avec le grand magicien Dominique Blanc-Francard et sa femme Bénédicte Schmitt, grande magicienne elle aussi, qui lui a en partie succédé à la console. Les souvenirs mémorables tiennent aux enregistrements et aux ingénieurs du son. Avec Bernard Estardy, le retour de voix dans le casque était exceptionnel au point que les chanteurs passés par lui ne voulaient plus travailler qu’avec lui. C’est à CBE que j’ai enregistré, entre autres, l’album avec mon amie Tuca, l’un de mes meilleurs.

Françoise Hardy en 1963 © Jean-Marie Périer/Photo12

Plus XXX, j’en ai essuyé les plâtres avec Gabriel Yared et Claude Sahakian, autre très grand ingénieur du son, qui a créé ce studio quand il a eu des problèmes d’oreille qui l’obligeaient à changer d’activité. J’ai enregistré cinq albums avec Gabriel et trois avec Claude, mais pas tous à Plus XXX, un seul : Tirez pas sur l’ambulance. C’est un grand privilège de travailler avec des artistes de cette dimension. C’est à Plus XXX que pour l’enregistrement de sa chanson Mazurka, tous les musiciens qui faisaient les cordes se sont levés à la fin de l’enregistrement pour applaudir le travail de Gabriel.

Quant à Labomatic, je savais par Serge (Gainsbourg) qu’il considérait Dominique Blanc-Francard comme le meilleur ingénieur du son qui soit ; et Roland Guillotel avait fait appel à lui en 1988 pour rattraper le très mauvais son et les très mauvais mixes de mon album Décalages, dus à l’incompétence totale du pseudo-réalisateur et pseudo-ingénieur du son anglais. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de Dominique et je ne l’ai plus lâché. De plus, il est particulièrement agréable, drôle, il a toutes les qualités en fait !

Françoise Hardy avec Michel Berger © Catherine Rotulo

Dans lesquels avez-vous été heureuse et pourquoi ?
Je suis toujours heureuse d’arriver en studio car c’est un lieu magique où les chansons sur lesquelles on a tellement travaillé, seule chez soi, vont voir le jour. Parfois, la réalisation musicale est ratée et je souffre beaucoup de passer à côté du potentiel d’une chanson, mais quand elle est réussie, j’éprouve un bonheur total. Les studios où j’ai été la plus heureuse, je dirais : CBE, principalement pour l’album avec Tuca (La Question), en 1970-1971. Il reste l’un de mes meilleurs albums et a été l’un des plus faciles à enregistrer car Tuca m’avait fait travailler ses chansons chaque jour pendant le mois qui précédait l’entrée en studio. Labomatic, pour l’album L’amour fou, l’un de mes meilleurs aussi, en 2011-2012. C’est un beau souvenir car la bonne entente avec les compositeurs-réalisateurs, et l’harmonie qui a régné du début à la fin dans le studio, m’ont permis de chanter plus facilement et mieux que d’habitude, et puis chaque mélodie était belle et chaque texte profond. C’est aussi à Labomatic que j’ai enregistré en 2003 ou 2004 plusieurs titres avec Thomas qui n’avait jamais rien produit et assura la réalisation de plusieurs de mes chansons, dont La folie ordinaire, sublime mélodie de Ben Christophers où la guitare de Thomas est géniale. C’est dans ce même studio que j’ai enregistré des duos extraordinaires avec Alain Bashung et Alain Delon, entre autres : grands et merveilleux souvenirs ! Il y a aussi Le Bateau-Lune à Sceaux, qui n’existe plus, pour l’enregistrement de Tant de belles choses en 2004, où j’ai travaillé pour la première fois avec Erick Benzi, un réalisateur et un homme formidable qui travaille très rapidement et fait tout pour que le chanteur se sente bien.

François Hardy à Londres en 1965. © Photo 12/Mirrorpix

On lit dans votre autobiographie que certaines sessions furent compliquées parfois ; est-ce parce que vous désiriez rentrer chez vous pour passer du temps avec votre fils (Message personnel) ou parce que les musiciens de studio ou l’ingénieur du son ne travaillaient pas comme espéré ?
Lors de l’enregistrement de Message personnel, j’étais enceinte. Quand, un peu plus tard, j’ai enregistré sa chanson Je suis moi avec Michel Berger, je ne pouvais pas dépasser 20 h car Thomas était bébé et je devais rentrer au plus tard à cette heure-là pour pouvoir dormir assez. Le dernier biberon étant à minuit et le premier à 6 h du matin, cet horaire avait été convenu entre nous. Hélas, ayant appris la chanson seule dans mon coin, je commettais dans le très joli pont une faute rythmique qui a beaucoup impatienté Michel. Je lui ai rappelé qu’il fallait que je rentre et il m’a mal jugée à ce moment-là. Il devait avoir des problèmes personnels car le contexte a été particulièrement difficile et je n’aime pas m’en souvenir. Mais ça n’a en rien entamé mon admiration pour lui et nous sommes restés en contact amical jusqu’à la fin de sa vie.

Qu’est ce qui rend mémorable un studio ?
Les albums qu’on y a enregistrés, les artistes (les compositeurs, le réalisateur, l’ingénieur du son) qui y ont participé. C’est un tout.

Vous avez enregistré à ICP, à Londres et traversé les années qui virent exister, puis mourir, quantité de studios légendaires en France : Davout, le Château d’Hérouville, Plus XXX, etc. Un studio, est-ce finalement plus important qu’un compositeur ou mélodiste tel Jean-Noël Chaléat ?
On ne peut pas comparer un lieu et une personne ! Un lieu de travail vaut par les personnes qui s’y trouvent. Le plus important, c’est la chanson: sa mélodie en tout premier lieu. Il va de soi qu’elle doit être inspirée et non fabriquée. Puis le texte, qui doit en exprimer l’esprit tout en respectant les contraintes mélodiques et rythmiques. La dernière étape, celle de la réalisation, est plus hasardeuse, et on peut toujours se tromper sur le choix du réalisateur, de même que ce dernier peut ne pas être assez inspiré par une belle chanson pour être en mesure de la magnifier autant qu’elle le mérite.

L'interview ci-dessus est extraite du livre: Studios de légende, secrets et histoires de nos Abbey-Road français. 

Françoise Hardy en 1963 © Jean-Marie Périer/Photo12

A lire aussi

Profitez d'un accès illimité au magazine En-contact pour moins de 3 € par semaine.
Abonnez-vous maintenant
×