Instagram ou Lidl peuvent-ils sauver Le Slip Français?
Ne m'appelez plus jamais France. Enquête.
Il y a quatre-vingt neuf ans, la première apparition d'un slip d'un genre nouveau ( du premier slip ?) en boutiques s'avéra un coup gagnant. C'était aux Etats-Unis, à Chicago. 600 ventes en quelques heures, alors que le produit menaçait d'être retiré de la vente par la direction du magasin. Un produit innovant trouve-t-il toujours sa place ?
Le slip est comme le panneau solaire, il y a un prix de marché et les entreprises à mission, c'est sympa mais pas super nouveau.
Le secteur du prêt-à-porter peine face à l’inflation. Le Slip Français, malgré son pari marketing du « made in France » et du haut de gamme, opère un virage à 180 degrés dans ce contexte économique difficile. Pour ce printemps 2024, la marque rompt avec sa politique de prix premiums et sort une nouvelle gamme de slips aux prix bradés. On ne les trouve pas encore chez Lidl.
Créé en 2011 par Guillaume Gibault, alors tout juste sorti d’HEC, Le Slip Français fait certainement partie des marques iconiques qui ont surfé sur la vague du « made in France » dans les années 2010. Sans jamais avoir atteint la rentabilité, la marque est pourtant parvenue à générer un chiffre d’affaires en lent déclin, se maintenant au-dessus des 20 millions d’euros depuis plusieurs années : 24 millions d’euros en 2019 et 2020, 22 millions d’euros en 2021 et 21 millions d’euros en 2022. Malgré ce succès marketing et son irruption dans l’imaginaire collectif, la perte nette de la société se creuse d’années en années, atteignant 3,4 millions d’euros en 2022.
Ce sont peut-être ces comptes difficiles à tenir sur le long terme qui ont justifié le revirement de stratégie annoncé récemment par Guillaume Gibault. Finis les slips haut de gamme vendus à environ 40 euros, le 3 avril dernier, Le Slip Français annonçait le lancement de trois nouveaux modèles à 25 euros l’unité. « Pour les packs de trois, on est à 18 euros l’unité, ce qui signifie une division du prix par plus que deux », souligne Guillaume Gibault. Le fondateur détaille sa nouvelle stratégie : « D’habitude, nous engageons des volumes de 5000 à 10.000 pièces par gamme. Là, nous avons passé commande pour 400.000 pièces. » La marque entend stimuler les ventes par cette baisse de prix et dégager plus de bénéfices à la fois grâce à un volume plus important de commandes, mais aussi grâce à quelques économies réalisées sur la fabrication : « Nous avons enlevé une opération de broderie, simplifié le montage, mais sans toucher à la qualité du produit » explique Guillaume Gibault.
Le fondateur revient peut-être à son mot de 2012, avant l’ouverture des dix-neuf boutiques que compte aujourd’hui Le Slip Français. Il était alors convaincu que la vente en ligne et le volume constituaient les clefs du succès pour dégager des marges et expliquait aux InRocks : « Ce qui coûte cher, c’est d'entrer dans les circuits de distribution classiques. Si tu fabriques plein de produits et que tu les vends par internet, ça coûte moins cher. Ce qui coûte cher, c’est d’avoir des boutiques et donc des marges à payer. »
Jockey, le slip américain dont les ventes explosent en boutique… le 19 janvier 1935 :
Il y a 89 ans, un slip innovant a pourtant cartonné en boutique. Le Jockey, conçu par Arthur Kneibler, est vendu à Chicago dans le magasin Marshall Field & Co. Dès les premiers jours, les ventes explosent. L’inspiration lui fut donnée par un ami français. Dans un article du 19 mai 2006, The Independent raconte cette histoire :
« Pour les habitants de Chicago, l’importance de cette journée se résumait aux grosses tempêtes de neige de l'hiver. Ce qu'ils ignoraient, c'est que ce jour allait marquer l’une des plus importantes dates de l'histoire du sexe masculin. Du moins, en ce qui concerne la façon de s'habiller.
Pour les hommes, le 19 janvier 1935 est l’équivalent du jour où Mary Jacob a breveté le premier soutien-gorge en 1913, ou du moment, en 1959, où Glen Mills a eu l'inspiration pour les collants. Ce jour-là, les slips Jockey d'Arthur Kneibler sont apparus pour la première fois et mis en vente dans un grand magasin.
Ce fut un lancement angoissant. Bien que les slips aient été exposés en vitrine du grand magasin Marshall Field & Co, la direction jugea ridicule de tenter de vendre de tels articles minimalistes par un temps si froid qui réclamait plutôt des caleçons longs, alors la forme dominante de sous-vêtements masculins. Elle ordonne donc le retrait des slips de la vitrine. Avant que les ordres ne puissent être exécutés, 600 slips Jockey avaient été vendus. Et 30 000 exemplaires sont vendus dans les trois mois suivants.
M. Kneibler était un "ingénieur en habillement" pour une société appelée Coopers, initialement créée pour vendre des chaussettes aux bûcherons, mais qui avait été durement touchée par la récession. Alors qu'il cherchait une idée pour aider l'entreprise, il a reçu une carte postale d'un ami en vacances dans le sud de la France, qui montrait un homme portant un maillot de bain raccourci. »
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« Les slips sont devenus tellement populaires qu'ils se sont vendus dans tous les magasins presque immédiatement. Coopers a envoyé son avion "Mascu-line" pour assurer des livraisons spéciales de slips Jockey à "soutien masculin" aux commerçants désespérés à travers les États-Unis.
A leur arrivée en Grande-Bretagne en 1938, chez Simpsons à Piccadilly, ils se vendent à hauteur de 3 000 exemplaires par semaine. En 1948, chaque athlète masculin de l'équipe olympique britannique a reçu une paire de Y-fronts gratuite. Aujourd'hui, Coopers est connu sous le nom de Jockey International et est la plus grande référence en matière de slips dans le monde entier.
Cela aurait sans doute réjoui M. Kneibler d'apprendre que cette semaine, une paire de Y-fronts (qui est le terme argotique britannique pour désigner les slips) en coton vieille de 37 ans a été vendue sur eBay pour 127 livres. Ils appartenaient à John Clarke, qui avait acheté une sélection de débardeurs en fil et de slips chez Marks & Spencer, en 1969 ou 1970. Ils ont été abandonnés dans le grenier lorsque sa femme exprima son aversion pour eux. La fille de John Clarke pensait qu'il y avait un marché pour cette lingerie antique et les a donc mis aux enchères sur eBay, à raison »
Les historiens de l'intimité ou du sous-vêtement observeront, avec justesse, qu'en 1927, l'entreprise Gillier, basée à Troyes, crée elle aussi un slip à poche sous la marque JIL, le slip kangourou. Ils n'en fabriquent plus désormais, tandis qu'Eminence, dernier ou quasi-dernier fabricant installé en France, en produit encore dans ses deux usines du Gard. L'entreprise a été rachetée en 2018 par un industriel israélien: Delta Galil.
En 1903, on trouverait un premier slip dans le catalogue Manufrance.
Qu'a apporté, dans son univers, la marque Le Slip Français ?
Sans aucun doute, un savoir faire consommé en termes de communication, d'utilisation des réseaux sociaux.
Côté service client, bien qu'équipée de Zendesk, la marque semble pâtir des mêmes écueils que nombre de start-up : automatisation peu pertinente, injoignabilité téléphonique, réponses lentes alors que les erreurs dans les commandes digitales sont assez nombreuses. Le colis reçu ne contient pas les produits commandés, les remboursements seraient lents, tels sont les griefs qu'on lit fréquemment.
Peter Thiel (je crois me rappeler que c'est lui) expliquait voici des années dans la presse que si la valeur perçue d'un nouveau produit, service, qu'un entrepreneur s'apprête à lancer dans un secteur concurrentiel n'est pas identifiée comme six à sept fois supérieure à celle de ses concurrents, la bataille sera rude. Or, au Monoprix, le prix moyen d'un slip pour homme s'établit à 6,66 euros pour un slip blanc uni, en coton. Sur l'emballage, je suis informé que le produit contient de l'élasthanne et que ce slip est fabriqué en Europe. Chez Eminence, le pack de deux slips mentionnés comme fabriqués en France est proposé à 36 euros.
Michel Sardou n'a pas chanté que des bêtises.
Honnis par certains pour leurs chansons populaires ( Les Lacs du Connemara etc) Michel Sardou et ses acolytes (Jacques Revaux, Pierre Delanoë etc..) n'ont pas écrit ni chanté que des bêtises. Ne m'appelez plus jamais France, chantait Sardou déjà, en 1976. Il en irait du slip comme du panneau solaire ou du service client: le prix final proposé importe plus aux clients français que l'origine du produit ou un quelconque patriotisme.
Ne m'appelez plus jamais France, enquête sur LSF et ceux qui produisent en France, des slips, des logiciels, des panneaux solaires ou des pompes à chaleur. Numéro 132 du magazine En-Contact.
Photo de une : Matthieu Coquelin, fournisseur du Slip Français (avec Confection du Coglais) et Guillaume Gibault. Crédit: Edouard Jacquinet.