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EDF contre Bruno Le Maire : 2-0. Démarchage téléphonique autorisé

Publié le 28 novembre 2023 à 15:48 par Magazine En-Contact
EDF contre Bruno Le Maire : 2-0. Démarchage téléphonique autorisé

Oui, c'est oui.

Le démarcheur par téléphone qui appelle un prospect qui a dit oui.. n'a rien à voir avec un Gabriel Matzneff reconverti sur une plateforme téléphonique. Benjamin Declas ( Pdg d'EDF ENR) et son équipe juridique viennent de remporter une bataille décisive dans l'univers du lead intentionniste et de la téléprospection.

Pour la première fois, une Cour d’appel valide la possibilité de démarcher par téléphone des prospects intéressés (« leads intentionnistes »)  par des travaux de rénovation énergétique. Le 10 novembre 2023, la Cour Administrative d'appel de Lyon a jugé que le consentement du consommateur prime l’interdiction de l’appeler.

Maître Pierre Weinstadt, avocat au Barreau de Paris.

Dans sa décision du 10 novembre 2023, la Cour Administrative d'appel de Lyon vient de transformer l’essai en confirmant la position du tribunal administratif de Lyon (EDF contre BRUNO LE MAIRE : 1-0). Le ministre de l’Économie demandait à la cour d’annuler le jugement du 29 mars 2022 du tribunal administratif de Lyon. Celui-ci avait annulé la décision de la DGCCRF locale (DDPP du Rhône) enjoignant EDF Renouvelables de cesser d’appeler des consommateurs qui avaient pourtant communiqué leurs coordonnées téléphoniques.

Pour le tribunal, ce n’est pas de la « prospection commerciale » au sens de l’article L223-1 du code de la consommation. Ce texte interdit toute « prospection commerciale » de consommateurs par voie téléphonique en vue de la réalisation d'économies d'énergie ou de la production d'énergies renouvelables.

Cette approche a été confirmée par les juges d’appel. Dans son arrêt du 10 novembre 2023, la Cour considère que « la pratique commerciale de la société EDF ENR, qui consiste uniquement à contacter par téléphone, dans un court délai fixé à 48H, des consommateurs lui ayant préalablement explicitement demandé de le faire, en communiquant volontairement leurs coordonnées téléphoniques, dans le but précis de répondre à une demande d’information concernant un projet photovoltaïque ne saurait être assimilée à de la prospection commerciale téléphonique au sens et pour l’application des dispositions précitées de l’alinéa 3 de l’article L. 123-1 du code de la consommation ».

En résumé : pour la première fois, une cour d’appel valide la pratique et la licéité des leads en rénovation énergétique. Cette décision judiciaire très attendue est une victoire décisive pour le démarchage téléphonique dans le secteur de la rénovation énergétique. Un mot valise qui comprend l’amélioration de l’habitat, les économies d’énergie, la lutte contre les passoires thermiques et les énergies renouvelables. En somme, l’avenir de la planète.

Retour sur le parcours chahuté d’une interdiction légale avec Maître Pierre Weinstadt, avocat au Barreau de Paris, anciennement Directeur Juridique de la Fédération de la Vente Directe.

Interview 

Pourquoi cette décision judiciaire est-elle si essentielle pour le secteur ? 

Pierre Weinstadt : Pour mesurer l’importance de cette victoire judiciaire, il faut revenir aux conséquences, dramatiques pour les entreprises, de l’adoption par le Parlement en juillet 2020 de la loi Naegelen. Ce texte interdit d’appeler les consommateurs pour leur proposer des offres ou même de simples rendez-vous à domicile au sujet des économies d’énergie ou des énergies renouvelables. Les entreprises ont alors développé un marketing alternatif avec un coût de production de l’appel sortant bien plus élevé qu’avant l’interdiction : sites internet où l’on peut laisser son numéro, achats coûteux de leads, etc. Or, la mauvaise surprise est venue de l’interprétation par le ministre de l’Économie de cette interdiction. Pour Bruno Le Maire, celle-ci était absolue : même le consentement du consommateur à être appelé ne permettait par la prospection téléphonique (voir la réponse du ministre en 2021 à une question écrite de la députée Marie Tamarelle-Verhaeghe, publiée au JO du 7.9.21, page 6717).

La position de Bruno Le Maire n’a-t-elle pas évolué depuis dans un sens plus favorable aux professionnels ? 

PW : Absolument. Une Instruction du 18 novembre 2022 (non publiée mais citée dans la décision de la cour d’appel de Lyon) du Cabinet de la ministre en charge des PME a demandé à la DGCCRF une tolérance dans ses contrôles. Des amendes déjà prononcées ont même été annulées [voir à ce sujet l’article publié le 23 janvier 2023 dans Magazine En-Contact].

Mais l’Administration a très peu communiqué (sauf à un endroit peu visible sur le site de la DGCCRF) sur cette tolérance administrative. Il n’y a pas un mot à ce sujet dans les deux foires aux questions (FAQ) sur le site de Bloctel qui est pourtant la source d’informations par excellence pour les consommateurs et les professionnels. Cette retenue contraste avec la publicité faite sur l’interdiction ou sur les sanctions postées sur le site de la DGCCRF. 

Si l’Administration est restée très discrète sur l’interprétation souple imposée par sa ministre de tutelle, Olivia Grégoire, c’est sans doute parce qu’elle attendait le verdict judiciaire. Une décision de la cour d’appel faisant primer l’interdiction sur le consentement aurait sans doute fait tomber la tolérance. Au contraire, l’excellent résultat obtenu par EDF devrait maintenir la primauté du consentement sur l’interdiction. Espérons que la DGCCRF diffuse à présent largement l’information.

La décision de la cour d'appel de Lyon est-elle définitive ? 

PW : le ministre de l’Économie a deux mois pour saisir le Conseil d’État. Il n’est pas certain qu’il le fasse car toutes les juridictions inférieures (dont le tribunal administratif de Rouen qui, dans un jugement définitif du 20 septembre 2022, a adopté la même position que la cour d’appel de Lyon) ayant examiné la question ont tranché contre l’État. 

Les conséquences de l’arrêt sont-elles limitées à la rénovation énergétique ? 

PW : Non. Une lecture souple concernant la rénovation énergétique (l’alinéa 3 de l’article L223-1 du code de la consommation) existe déjà, sous forme d’une autre tolérance administrative : celle au sujet des personnes inscrites sur la liste d’opposition au démarchage téléphonique (dite liste Bloctel). Selon l’alinéa 2 du même article du code, il est interdit de démarcher téléphoniquement un consommateur inscrit sur la liste Bloctel. Or, la DGCCRF a accepté depuis des années qu’un professionnel puisse appeler un consommateur qui y a consenti après s’être inscrit sur la liste Bloctel. L’arrêt de la cour d’appel devrait renforcer la primauté du consentement, y compris pour la prospection commerciale téléphonique des titulaires d'un compte personnel de formation (interdite depuis le 11 juin 2023 : article L6323-8-1 du code du travail). 

La primauté du consentement n’est-elle pas le signe d’une évolution vers le régime de l’opt in 

PW : Le régime français est celui de l’opt out qui ne nécessite pas le consentement préalable du consommateur : celui-ci peut être appelé tant qu’il ne le refuse pas. Dans la mesure où le régime de l’opt in repose sur le consentement (un consommateur ne peut être appelé sauf s’il est d’accord pour l’être), on peut effectivement voir dans les deux tolérances administratives et l’arrêt de la cour d’appel une forme d’opt in mais limitée à la rénovation énergétique ou aux appels vers des personnes inscrites sur la liste Bloctel. Pour tous les autres secteurs économiques ou pour les personnes non inscrites sur la liste Bloctel, c’est le régime général de l’opt out qui s’applique. 

Que pensez-vous des conditions posées par la DGCCRF pour l’obtention du consentement ? 

PW : Dans les 2 FAQ sur le site de Bloctel (Q/R n° 4.1.1 de la « FAQ Professionnels » et Q/R n° 9 de la « FAQ consommateurs ») comme dans la FAQ concernant l’encadrement des jours, horaires et fréquence du démarchage téléphonique, les 4 conditions du consentement vont plus loin que celles fixées par les articles 4, par. 11 du RGPD et L34-5, al. 2 du Code des postes et des communications électroniques. Ainsi, la DGCCRF exige que le rappel du consommateur ait lieu dans un « délai raisonnable » et que le consommateur soit informé « de manière lisible » (donc par écrit) de la possibilité d’être rappelé par une société identifiée ou pour son compte. 

Selon moi, des échanges devraient avoir lieu à ce sujet avec le Cabinet de la ministre et l’Administration. À défaut de simplification de ces FAQ, des recours pour excès de pouvoir peuvent être envisagés. Enfin, dans le domaine des assurances, le consentement peut être recueilli au début de la conversation (article L112-2-2 du code des assurances) tandis que dans les FAQ précitées, le consentement doit être préalable à l’appel. Là aussi, il faudrait faire évoluer les textes ou leur interprétation. 

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