Concilier rémunérations modestes et motivation des jeunes salariés… existe-t-il une martingale ?
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L’intégration de la jeunesse dans le monde du travail est une question d’actualité dans le monde des centres d’appels tant le secteur fait un large recours aux jeunes, diplômés ou non, à Paris, à Aurillac ou à Casablanca. Recruter les bons profils, fidéliser les meilleurs… A ces difficultés propres à tous les secteurs s’en ajoutent bien d’autres liées aux spécificités de notre industrie : le différentiel entre le niveau de formation initiale et les tâches confiées, entre les salaires attendus et les rémunérations pratiquées, « l’usure » précoce des jeunes recrues (parce qu’elles seraient peu résistantes ou parce que le métier serait usant ?), l’adaptation nécessaire d’un management de proximité qui doit concilier motivation, fidélisation et sens de la rigueur… En-Contact a choisi de s’intéresser particulièrement en ce numéro de rentrée à ces questions RH pour poser les problèmes et identifier quelques pistes de travail. Vos commentaires et suggestions sont les bienvenus si vous avez la martingale… (Définition littérale de la martingale : il s’agit d’une technique permettant d’augmenter les chances de gains aux jeux tout en respectant les règles du jeu)
Comment motiver les salariés aux faibles rémunérations ?
L’équation n’est pas simple, mais pas insoluble pour autant. A la grande question : «Comment motiver les salariés qui se situent au bas de l’échelle salariale ?», les réponses sont diverses. Les payer mieux, évidemment : heures supplémentaires, possibilités de formation ou perspectives d’évolution. Mais ce n’est pas le seul credo. Pour beaucoup d’employés, le contexte professionnel et la motivation personnelle comptent.
La question du pouvoir d’achat est devenue centrale depuis quelques mois en France. Et pour cause : les salaires stagnent, les prix augmentent, et la morosité ne cesse de gagner du terrain. Mais lorsqu’on se penche sur la situation des 2,3 millions de salariés français qui doivent faire comme ils peuvent avec un SMIC à la fin du mois, les choses se corsent encore un peu plus. Se loger, manger, payer les factures : tout cela est une chose. Mais comment aller au travail la fleur au fusil et le sourire aux lèvres ? Eh bien, tout dépend de chacun.
Elisabeth, chargée d’accueil dans une fondation privée qui vient en aide aux femmes en difficultés (Françaises comme Etrangères), relativise le côté bas salaire de sa fonction : « Bien sûr que j’aimerais gagner plus, dit-elle. Qui ne le voudrait pas ? En même temps, je ne suis pas là pour faire fortune. L’activité sociale fait partie de moi, j’aide les gens, je leur apporte un réconfort quand c’est possible. Certes, cela n’ajoute pas d’argent à ma cagnotte, mais je me sens utile à quelque chose, j’existe d’une autre façon. »
Le discours est un peu moins enthousiaste chez Serge. Agent contractuel dans l’Education nationale, il a un contact direct avec d’autres salariés revenus sur les bancs de la Fac : «Franchement, le salaire est bas. Avec 1.100 euros par mois, le Pérou, c’est pas pour demain. Heureusement que je vis en couple, ça limite les dé-gâts !». Et d’ajouter : «Dans mon cas, il y a des choses qui pourraient faire passer la pilule (sourire en coin pour saluer la pertinence de sa métaphore). Pour moi, il faut aussi un rapport hiérarchique sain et respectueux, une bonne ambiance au travail, et même un côté «chez soi» pour ne pas avoir envie de prendre la poudre d’escampette.»
Prendre la poudre d’escampette ! Voilà une expression bigrement intéressante, et mille fois interprétable avec un peu d’imagination. Se former, par exemple. Certes, cela prend du temps, et on n’en sort pas forcément vainqueur. Mais c’est une possibilité, une opportunité pour tirer son salaire vers le haut, évoluer dans sa carrière ou dans une nouvelle, celle qu’on se sera choisie. Et ceci ne concerne pas seulement les salariés peu qualifiés ou ayant suivi un cursus universitaire classique, parfois peu compatible avec le monde du travail. Tout le monde peut y arriver : «Il suffit de le vouloir, reconnaît Véronique, fonctionnaire. Mais pour ma part, c’est trop d’investissement, et incompatible avec une vie de famille.»
Les employeurs essaient de trouver des solutions pour fidéliser leurs salaries
Chez Empruntis, courtier en ligne en crédit immobilier et en surendettement, 220 salariés sur les 320 que compte l’entreprise sont des chargés de clientèle qui travaillent sur une plate-forme téléphonique. Leur salaire de base en net est de 1.150 euros par mois. Mais ils peuvent aspirer à mieux gagner leur vie en retour de leurs efforts auprès des clients.
Nathalie Rublon, DRH chez Empruntis, témoigne : «Entre 7 et 8% de nos chargés de clientèle dépassent les 1.000 euros de prime par mois. C’est moins qu’il y a deux ou trois ans, c’est vrai. A l’époque, certains arrivaient jusqu’à 2.000 euros, voire 3.000».
Nathalie Rublon évoque d’autres arguments pour motiver ses salariés : un programme de formation professionnelle, passerelle vers d’autres métiers (la banque, notamment), une revalorisation de la grille des salaires en cours, et la situation géograhique de l’entreprise. «Nous sommes installés dans le centre de Paris. C’est une finalité indirecte mais qui, psychologiquement, a son importance.»
Chez Saint-Maclou, grande chaîne de magasins spécialisés dans les revêtements (sols et murs) et la décoration de la maison, on fonctionne un peu différemment. Pour un vendeur fraîchement recruté, par exemple, le salaire fixe mensuel est de 200 euros, mais les commissions sur les ventes de produits permettent de dépasser allègrement le SMIC. Nathalie Montagne, responsable du personnel, précise toutefois : «Même si la rémunération fixe est faible, nous assurons un salaire minimum garanti à nos salariés. C’est un complément à hauteur du SMIC. Evidemment, plus la performance du salarié est bonne, plus il gagne sa vie.»
D’autres solutions…
Il existe d’autres remèdes pour compenser les basses rémunérations. Le premier d’entre eux concerne le paquet fiscal du gouvernement dans lequel on a inséré un dispositif sur les heures supplémentaires défiscalisées. Mais encore faut-il que les carnets de commandes soient pleins, ce qui n’est pas forcément le cas à toutes les périodes de l’année selon les secteurs. Reste aussi la fibre sociale des employeurs eux-mêmes. Un exemple, McDonald’s finance chaque année une trentaine de bourses d’études pour ses salariés-étudiants.
Mais attention, le premier acteur de réussite et d’ascension sociale reste le salarié lui-même. Motivé, intéressé, et pourquoi pas «mercenaire» dans l’âme, il peut faire des miracles à condition de le vouloir. Cependant, il ne doit pas oublier l’existence d’un facteur que nul ne maîtrise vraiment : la conjoncture économique. C’est d’abord elle qui permet de rêver à des fins de mois meilleures en affichant une belle santé.
Les jeunes salariés sont motivés, mais sur une durée limitée
C’est ce qui ressort d’une étude publiée récemment par Euro RSCG, C/O et TNS Sofres.
Pour comprendre de quoi il retourne, peut-être faut-il d’abord balayer les préjugés sur les jeunes dans le monde professionnel ? Ceux-ci ne sont pas si individualistes, cyniques ou traîne-savates qu’on les décrit. Et ce serait même plutôt le contraire.
L’étude montre d’abord que les jeunes sont en général satisfaits de leur travail et qu’ils s’y sentent bien. 85% estiment qu’on leur fait confiance, 85% encore à apprécier l’ambiance (12% de plus que l’ensemble des salariés). Par ailleurs, 82% jugent leur job intéressant et une courte majorité (51%) se disent contents de leur salaire. Si on fait une sorte de moyenne de toutes ces données, il ressort que 59% des jeunes salariés sont même disposés à travailler plus, en contrepartie d’une rémunération à la hausse, faisant ainsi écho au désormais célèbre «travailler plus pour gagner plus» cher à Nicolas Sarkozy.
Il y a toujours un mais…
L’étude montre également qu’après trois années passées dans l’entreprise, la lassitude guette, et l’engagement des jeunes décline fortement. Comme dans une passion dévorante, la désaffection pointe inévitablement le bout de son nez. Alors, à qui la faute ? La question de l’évolution de carrière est centrale : 64% des jeunes salariés se disent insatisfaits sur ce plan, et 67% estiment que leur DRH ne se soucie guère de leur progression professionnelle au sein de l’entreprise. Ils craignent de se retrouver «sur une voie de garage» ou d’être confrontés, à terme, à «un travail moins intéressant». 61% des jeunes ont d’ailleurs déjà changé d’employeur quand 80% se disent «en veille» par rapport au marché du travail. La mobilité semble ne pas les effrayer. Au fond, la seule alternative est la suivante, presque aussi simple qu’un bonjour – ou qu’un au revoir : «progresser ou partir».
Des valeurs à traduire en actes
Souvent dépeints comme individualistes, sinon narcissiques, les jeunes salariés se montrent pourtant très attachés à des éléments et des valeurs de type collectif. Ce qui prime pour eux, c’est le comportement de l’entreprise vis-à-vis de l’ensemble des personnels. Or, sur cette question, ils considèrent à 49% qu’on est loin du compte : la société qui les emploie n’est «pas assez attentive» à leurs «états d’âme». 37% pensent en outre que l’entreprise ne leur offre pas «les valeurs dans lesquelles ils pourraient se reconnaître». Les jeunes souhaitent notamment voir s’instaurer un pacte social interne à leur société, plus paternaliste que syndicaliste – question de génération. A cet effet, plusieurs souhaits sont exprimés : cohérence entre la parole sociale de la direction et le passage à l’acte, réseau interne pour un meilleur dialogue dans l’organigramme (on pense en particulier aux managers de proximité), et redistribution des richesses créées par l’entreprise dans le cadre de son activité commerciale. La question, désormais, est de savoir si l’on se dirige vers une nouvelle donne sociale. Aux DRH, syndicalistes et communicants d’apporter des réponses à toutes ces aspirations d’une jeunesse active, motivée, mais tout à la fois inquiète pour ses perspectives d’avenir.
Les secteurs qui séduisent les jeunes diplômés
Pour la 22ème année consécutive, l’institut TNS Sofres a interrogé les étudiants des grandes écoles de commerce et d’ingénieurs afin de connaître leurs attentes à l’égard de l’entreprise et évaluer l’attractivité de leurs futurs employeurs.
Le secteur bancaire arrive en tête des aspirations, en particulier BNP Paribas et la Société Générale qui se placent dans les cinq premières places pour l’attractivité aussi bien chez les commerciaux que chez les ingénieurs. Spontanément, les commerciaux plébiscitent également les entreprises du secteur agro-alimentaire et du luxe : Danone, L’Oréal et LVMH ont la vedette.
Le secteur de l’énergie, lui, a le vent en poupe chez les ingénieurs, singulièrement EDF qui recueille 16% des réponses citées. Autre secteur convoité, celui de la grande consommation. Apple, par exemple, est la société la plus « désirée » : elle fait rêver 88% des commerciaux et 62% des ingénieurs. Nestlé, Canal Plus et Air France font également partie des chouchous.
A noter enfin que les ingénieurs semblent de plus en plus exigeants au regard de cette étude. Certains de leur valeur sur le marché, ils n’hésitent pas à noter sévèrement les entreprises, pas assez attractives à leurs yeux dans la majorité des cas.
Quand les combinés téléphoniques ont des oreilles… Suspension d’un système d’écoute des téléopérateurs à France Telecom
L’affaire remonte à 2006, mais elle reste, même deux ans après les faits, un bel exemple de ce qu’il ne faut pas faire si on souhaite motiver et surtout fidéliser ses salariés.
Tout commence lorsque le syndicat Sud Telecom Paris assigne la direction parisienne de France Telecom devant les tribunaux. Motif: on reproche à la direction régionale d’avoir mis en place un système d’écoute téléphonique de ses téléopérateurs. En soit, un tel dispositif n’est pas interdit par la loi, mais il convient de respecter un certain nombre de règles relatives à l’information et à la transparence. Or, et c’est tout le nœud du problème, la CNIL – Commission nationale Informatique et Libertés – n’a jamais été mise au courant. C’est pourtant elle qui garantit la bonne utilisation des fichiers ou des écoutes, mêmes légales. Suite à l’assignation, le Tribunal de Grande Instance de Paris, sans remettre en cause le système d’écoute lui-même, a néanmoins suspendu la mise en œuvre du dispositif et imposé à France Telecom la saisie de la CNIL sous peine de 3.000 euros d’astreinte par jour de retard.
Respect du droit de la personne
La question des écoutes téléphoniques de salariés est particulièrement sensible car elle touche à la fois la vie privée mais aussi le droit du travail. Or, elle risque de se poser de plus en plus souvent à l’avenir car les systèmes d’écoute, donc de surveillance, ont tendance à se développer au sein des entreprises. Une fois de plus, la réglementation n’interdit pas l’usage de ces méthodes, mais elle les soumet à de nombreuses formalités préalables (dont la fameuse déclaration auprès de la CNIL). Mais avant tout, les salariés concernés doivent être informés qu’ils seront écoutés, et prévenus les premiers. La moindre des politesses, diront ces derniers. Cette obligation résulte en partie des dispositions du Code pénal et du Code du travail. L’un prohibe la collecte d’informations relatives aux salariés à leur insu ; l’autre impose une consultation du comité d’entreprise préalablement à la mise en œuvre de moyens techniques de contrôle de l’activité des salariés.
Vigilance des tribunaux
Dans le cas de France Telecom, les responsables de la mise en œuvre du programme d’écoute ont expliqué son intérêt dans un but de formation des téléopérateurs. Mais dans la pratique, les juges ont pu apprécier le problème sous une « autre couture ». Ils ont constaté que les documents de synthèse de l’écoute permettaient d’affecter un coefficient diminuant ou augmentant le montant de la part variable de vente (PVV) concourant à la détermination de la rémunération des salariés. Ce faisant, les juges ont considéré que la grille d’écoute constituait une collecte de données – données conservées et justifiant donc une déclaration auprès de la CNIL. Ce qui n’a pas été fait, entraînant donc la suspension du programme des écoutes. D’une façon générale, désormais les tribunaux n’hésitent plus à analyser précisément le fonctionnement des systèmes d’écoute afin de leur redonner leur véritable qualification juridique. Un gage pour que la réglementation soit appliquée dans le cadre institué par la loi.
Noter son entreprise est devenu possible
Certains sites Internet permettent désormais aux salariés d’évaluer la politique sociale de leur employeur. Un petit jeu qui ne ravit pas les sociétés concernées, inquiètes pour leur réputation.
Ils s’appellent Notetonentreprise.com, Cotetaboite.com ou bien encore Lesjeudis.com. Autant de sites sur la toile qui proposent à la communauté des salariés de venir noter en ligne les entreprises qui les emploient. Les thèmes sont variés : ambiance interne, niveaux de salaire, respect des promesses de l’embauche, politique de formation, ergonomie, management… Douze critères en tout et pour tout chez Notetonentreprise.com. Ainsi, les pratiques sociales des sociétés sont disséquées et échangées entre collaborateurs. Il y a cependant quelques conditions pour pouvoir participer à ces forums : les « noteurs » doivent travailler pour l’entreprise qu’ils notent ou, à défaut, ils doivent y avoir travaillé par le passé.
Ludique mais aussi social
Des milliers d’adeptes sont déjà connectés à ces sites en ligne qui ne permettent pas seulement de jouer à la maîtresse d’école distribuant bons et mauvais points. C’est à une petite révolution que l’on assiste ici. En effet, ce système peut faire naître certaines vocations ou, tout du moins, contribuer à l’ascendance sociale d’un individu. Car les salariés, enthousiastes ou amers, ne se contentent pas d’apporter leur 4 sur 10 ou leur 9 sur 10 ; dans le cas d’une notation favorable, ils peuvent donner des idées aux autres. Par exemple, tel cabinet d’audit qui augmente chaque année de 20% ses meilleurs consultants peut faire rêver d’éventuels candidats et les motiver pour tenter de décrocher un nouveau job dans le cabinet en question. Pourquoi pas ?
Les employeurs sur la défensive
D’abord, les sociétés n’ont pas l’habitude d’être ainsi évaluées et notées ; elles ne sont pas plus disposées à s’y accoutumer. Ensuite, il y a le souci de l’image de marque, de la réputation. Si la notation est propice à garder le sourire, alors tant mieux. Mais, dans le cas inverse, on a peur, et à juste titre, des dégâts occasionnés. Car le problème de ces sites est l’anonymat garanti aux salariés. A l’opposé, l’entreprise notée, elle, n’est plus anonyme, et son image peut s’en trouver écornée. Ce que les patrons craignent le plus, c’est la désinformation. Ils ne sont pas à l’abri, en effet, de faux commentaires, de calomnies. Sous couvert d’anonymat, tous les coups sont permis d’un côté, et difficile à rendre de l’autre. Sauf si des sociétés occupent elles-mêmes ces forums pour s’envoyer des fleurs, ce qui est déjà le cas. Puis il y aussi la vigilance des sites eux-mêmes. Notetonentreprise.com a dû enlever des propos diffamatoires concernant certaines sociétés par crainte d’être assigné en justice.
Nous sommes tous des caissières !
Le phénomène prend de l’ampleur et inquiète. De plus en plus, les clients sont amenés à se passer des services de l’hôtesse de caisse et invités à scanner eux-mêmes leurs articles. Toutes les enseignes de supermarchés s’y mettent. Analyse d’un bouleversement.
Magasin Champion – Paris 20ème arrondissement. Les baies vitrées de la moyenne surface donnent à voir toute l’activité qui s’y concentre aux heures de pointe à l’intérieur. Ambiance ruche avec beaucoup de monde attendant patiemment son tour pour arriver jusqu’à la caissière, payer ses achats et rentrer le plus vite possible à la maison. La plupart des clients savent qu’à gauche, face à l’entrée, rue des Pyrénées, se trouvent quatre caisses d’un nouveau genre : à chacun de numériser ses code-barres et de payer soit par carte, soit en liquide. Les chèques ne sont pas acceptés. Pourtant, ici, l’affluence n’est pas si grande. On ne se précipite pas encore. Peur de se tromper ou de perdre ses moyens devant les autres ? Peut-être. Et pourtant, il va bien falloir que le client s’y fasse. Car le système d’automatisation des caisses risque bien de se répandre comme une traînée de poudre. Ce pourrait être l’avenir, dit-on.
Car, de fait, les enseignes de supermarchés et, plus généralement, de grandes surfaces, multiplient les espaces permettant à leurs clients d’aller plus vite en endossant le rôle de caissier à la place des caissières (le métier n’est composé que de très peu d’hommes). Et même si la caissière n’est pas totalement absente du système, le nombre de tâches qui lui sont confiées est divisé par quatre ! Effectivement, pour quatre caisses automatiques, une seule hôtesse est mobilisée, au cas où le client ne s’entende pas totalement avec la machine et qu’il faille voler à son secours.
Les habitudes changent
Pour le moment, nous n’en sommes encore qu’aux balbutiements ; on expérimente diverses technologies selon qu’on s’appelle Auchan ou Carrefour. Au magasin Auchan d’Issy, dans les Hauts-de-Seine, on a mis en place un système de caddie avec pistolet scanneur – mais uniquement pour les clients fidèles. Ceux-ci enregistrent leurs articles au fur et à mesure de leurs courses. Résultat : il n’y a plus qu’à payer avant de passer la porte du magasin avec tous ses achats. Dans d’autres surfaces du groupe, on installe aussi, ici et là, des caisses automatiques version Champion, dans le 20ème arrondissement. Ce que fait également Carrefour dont 23 magasins à travers toute la France sont d’ores et déjà équipés de caisses sans caissières.
A Val d’Europe, l’un des plus importants centres commerciaux en Europe, il semblerait que ce choix des caisses automatiques soit justifié. De nombreux employés de bureau viennent faire leurs courses à la pause-déjeuner. Et même s’ils mettent bien souvent 30 bonnes secondes pour scanner un seul article (contre 3 secondes pour une caissière professionnelle), ils n’auront pas fait la queue. Plus une question de psychologie que de gain de temps. Le directeur du magasin Auchan de Val d’Europe, Emmanuel Zeller, explique : «Aujourd’hui, les gens ne veulent plus attendre, surtout en région parisienne où la contrainte de temps est plus exacerbée que partout ailleurs en France. Les caisses minute sont adaptées à une clientèle urbaine très autonome. Grâce à ce dispositif, le client ayant un petit panier de quatre articles ne patiente plus devant un gros caddie à une caisse traditionnelle. L’avantage pour nous autres commerçants, c’est que cela nous permet d’absorber les pics d’affluence.» Emmanuel Zeller ajoute : «Dans notre magasin, 10 à 12% des 1.200 clients quotidiens préfèrent passer par la machine automatique.» Visiblement, ici, on n’est moins inhibé que dans le 20ème !
Reste le problème social
A en croire les discours des uns et des autres, le développement de ce nouveau système de paiement où le client «pactise» lui-même avec la caisse ne nuira pas à l’emploi – pourtant déjà précaire pour les caissières. En effet, la plupart du temps, ces dernières sont payées au lance-pierres, sans oublier le fait qu’elles sont dans leur immense majorité employées à temps partiel. Mais les patrons de la grande distribution affirment que les caisses minute ne constituent qu’un dispositif complémentaire des caisses traditionnelles, et qui nécessite de toute façon la présence d’employés pour venir en aide aux clients. Du côté syndical, en revanche, des craintes se font jour. La CGT distribution dénonce ces nouvelles technologies qui, à terme, diminueront selon elle le nombre d’hôtesses de caisse. La CFDT embraye le pas en estimant que tout le secteur de la grande distribution – 170.000 caissières au total – est concerné. «Un vrai risque pour l’emploi», estime la centrale syndicale qui a récemment lancé une pétition intitulée Sbam. Autrement dit : Sourire, bonjour, au revoir, merci ! (ce que, d’évidence, ne peut pas faire une caisse minute) ou Sans borne automatique, merci !
Le la est donné…
Motivation et fidélisation des salariés : quelques pistes de travail
Au-delà du problème pécuniaire qui reste un argument de poids pour retenir les jeunes salariés tentés par une concurrence plus généreuse, il existe d’autres façons d’amarrer son personnel au port de l’entreprise. Du développement personnel au management de proximité, voyage au pays des idées sociales… mais qui doivent être efficaces.
Telle la fusée Ariane prenant son envol depuis la base de Kourou, les entreprises rivalisent de concepts novateurs pour galvaniser leurs troupes et leur insuffler l’amour de leur boîte. Chacun doit s’y sentir comme chez lui et la notion d’appartenance à la «grande maison» semble une idée force qui fait son chemin chez de plus en plus de patrons. Alors, on écoute les salariés et on tente de les satisfaire au mieux en leur proposant diverses formules. Presque un menu à la carte.
Premier aspect des choses, le boom du développement personnel. Il consiste dans le fait d’apprendre à gérer son temps et son stress ainsi qu’à développer son leadership dans l’entreprise. Il s’agit de formations – en général étalées sur quelques jours – qui sont censées remettre le salarié en confiance, lui apporter les outils qui peuvent lui manquer dans son quotidien au travail : efficacité professionnelle, communication (conduire une réunion par exemple) ou encore diminuer son stress, voire en faire un atout. Une récente enquête a montré que 37,5% des employés placent le développement personnel et la valeur professionnelle au premier rang de leurs demandes de formation, loin devant le management (17,4%) et la bureautique (11,8%). Personne au juste, à commencer par les employeurs, n’a encore quantifié le degré d’impact réel de ce type de formation, mais beaucoup s’accordent sur l’utilité concrète de salariés échangeant et s’interrogeant sur leurs pratiques professionnelles.
Il y a aussi – et avant tout – les solutions internes
Depuis quelques années, les entreprises ont redécouvert la culture du «petit chef». Toutefois, aujourd’hui, cette notion n’a plus rien de péjoratif ; elle est même devenue l’exact contraire de l’image archaïque qu’on lui connaît d’habitude : acariâtre, revêche, pervers… Aujourd’hui, le «petit chef» n’est plus là pour contrôler ou contraindre, il est là pour instaurer la confiance et le soutien, et aider le salarié à gagner en autonomie. D’ailleurs, le «petit chef» ne s’appelle plus «petit chef» mais «manager de proximité». Au fond, il sert d’intermédiaire entre les cadres et les salariés «de base», il veille à ce que tout se passe bien sur le terrain, recueille les éventuelles doléances, informe la hiérarchie. Tout cela rassure le salarié et la direction mais, pour le manager de proximité, c’est parfois une autre paire de manches. En effet, il est rarement récompensé pour son sucroît de travail en termes financiers ou si peu.
Deuxième exemple d’une solution interne, chez Sephora, la célèbre enseigne de produits de beauté. Elle a ouvert la Sephora University destinée à former ses équipes de vente à un service irréprochable auprès du client. Le but : donner aux vendeuses une sorte de «Sephora attitude» (encore l’idée d’appartenance) qu’on doit pouvoir retrouver dans les magasins de l’enseigne du monde entier. C’est d’ailleurs en visitant anonymement quelques adresses américaines de la marque que la directrice formation de Sephora, Sandrine Becaud, a pu établir le portrait-robot de la posture idéale : «Il faut que la vendeuse ait pleinement confiance en elle, explique-t-elle. Elle doit aussi avoir une approche psychologique de la relation client – nous devons notamment mieux accompagner la cliente dans le magasin, lui montrer qu’on nous l’avons vue, sans toutefois toucher à l’une des valeurs fondamentales de Sephora, à savoir laisser la cliente découvrir par elle-même les produits proposés en magasin». Une sorte de savant dosage mariant proximité du salarié vis-à-vis de la cliente et liberté de circulation pour la cliente à l’intérieur de la boutique. Une façon aussi de valoriser la vendeuse en lui donnant une responsabilité supplémentaire, mais sans pression inutile.
Intéressons-nous enfin au cas Canal + qui, depuis ses débuts mouvementés en 1984, n’en finit pas d’être justement… un cas ! La chaîne dispose de trois centres d’appels en France, dont un situé à Rennes. Ici, 350 téléconseillers doivent gérer plus de 20.000 appels par jour et, pour la plupart, ils s’acquittent de leur tâche avec bonne humeur. Car sur les plate-formes téléphoniques de Canal +, on se fait fort d’avoir sa propre méthode. Les opérateurs ne sont pas obligés de lire un script pour avancer une réponse à l’abonné, ils ont une liberté d’expression totale (encore faut-il rester poli !). Ensuite, ils disposent de 10 minutes de pause par heure, contre 5 généralement. Surtout, leur rémunération se situe largement au-dessus du marché : plus de 2.000 euros brut par mois à temps plein (1.800 euros fixes plus une part variable, 600 euros au maximum). Presque un rêve ! D’ailleurs, Canal + peut se targuer d’avoir reçu, en 2006, le label de responsabilité sociale décerné par l’Association française de la relation client. Conséquence d’une telle politique en faveur de ses salariés, le «turnover» reste très faible, à peine 4%, quatre à cinq fois inférieur aux moyennes du marché. «Mais, souligne William en poste depuis trois ans à Rennes, ce qui nous motive le plus, du moins une majorité, c’est d’être des salariés de Canal +. Nous sommes fiers d’appartenir à la chaîne».
Et si le sentiment d’appartenance à l’entreprise était finalement la clé de toute l’énigme ?
Pour aller plus loin, voir notre article sur les caissières et notre article sur les formations au SBAM.