La Boulangerie Savoyarde, le Poilâne des Bauges-Devant
La rédaction de The Seamless Experience Fanzine* est partie en reportage en Savoie. En quête de réponses assurées (fact-checkées) aux 2 questions suivantes : un télésiège qui ferait moins de bruit mais serait débrayable, des commerçants de proximité qui se ficheraient comme d’une guigne d’Amazon, est-ce que ça existe ? Une dernière, plus intrigante encore : Les Bauges sont-elles, magiques et préservées, un Sundance Resort, sans le festival ?
Au fond d’un parc méconnu mais magique, il existe un village dont le nom ne dit rien de la pépite qu’il contient : École-en-Bauges est située dans les Bauges-Devant, se gagne après quelques kilomètres qu’on fera à vélo en été, en Panda 4/4 l’hiver ou en Lada car la neige y tient sur la route, souvent déneigée un peu plus tard que les grandes routes du département. Les Bauges sont secrètes, hébergent des baujus, c’est-à-dire cette race de paysans des montagnes qui a connu la misère, est restée éloignée de l’or blanc qui a enrichi leurs cousins de la Tarentaise. On s’y souvient de la misère, on y a été longtemps colporteur ou argentier (fabricant de vaisselle en bois), la terre ne s’y vend pas à des étrangers, voire à personne d’ailleurs. En résumé, le terme Application signifie en Bauges autre chose que ce qui excite le bobo d’Oberkampf : la somme d’efforts qui est nécessaire pour travailler chaque jour dans les champs ou en haut, lorsqu’on emmontagne (se dit de la période pendant laquelle une partie de la famille part faire paitre les vaches en haut des montagnes, reste éloignée plusieurs semaines, tandis que quelques enfants en âge assez avancé montent, tous les deux ou trois jours, le ravitaillement).
Chaque jour pourtant à École, des fourgonnettes opèrent un va-et-vient dans la rue principale du village, on se demande pourquoi. Vitrine sur rue inexistante, maison grise et beige d’un autre siècle, rien ne transparait, sinon ces camions, de l’agitation qui s’empare des fourneaux, juste derrière. Chaque jour, à la Boulangerie Savoyarde, on fait partir des milliers de boules de pains aux 200 magasins qui les attendent partout en France, pour les proposer à leurs clients. Depuis plus de quarante ans, dans cette contrée reculée, avant l’heure du bio et du bon produit, un original s’est mis en tête de fabriquer des pains avec d’anciennes farines, accompagné d’un autre fou parti chercher ces farines anciennes loin dans le monde et qui les a remises au goût du jour. Trente ans après, la Boulangerie Savoyarde a intégré le groupe Satoriz, un des premiers et principaux réseaux de magasins bio de France, largement répandu en Rhône-Alpes et sur l’Est de la France.
La recette de cette expérience client unique et made in Bauges n’est pas écrite mais un homme affable nous la fait partager : plus de 25 salariés s’affairent dans une ambiance bon enfant, sans chichi ni charte sur l’engagement client. Tous sont venus par amour de la région, désireux de vivre autrement, et acceptent des horaires rigoureux (la boulangerie ne ferme qu’un jour par semaine), apprennent de leurs ainés les gestes adéquats. On ne fabrique que du pain, quelques tartelettes aux noix et chaussons, la pause se prend sur une table branlante, à quelques mètres du fourneau. La machine carte bleue n’est arrivée qu’en début d’année. Un répondeur prend les messages et vous informe des jours de fermeture. Pourquoi une telle disette technologique ? « On essaie de bien servir les clients, de livrer déjà tout ce qui nous est commandé, sachant que les particuliers sont une clientèle presque nouvelle ». Les voitures qui s’arrêtent sont celles des habitués, que le hasard ou une bonne fée a mis au parfum et a fait découvrir la maison. Mais depuis peu, ceux-ci sont plus nombreux : par deux fois cette année, la télévision est venue faire un reportage et depuis… c’est la folie. Entendons par là que les flux à gérer sont encore plus tendus, qu’il faut savoir dire non parfois car il convient, en premier lieu, de servir les magasins.
Éric, le patron de la belle équipe prend néanmoins le temps de nous parler : ancien parisien, né sur la Butte Montmartre, il savoure chaque jour le bonheur de la vue des montagnes, cette vie entière consacrée à la répétition des mêmes justes gestes, la maison à Jarsy, quelques kilomètres plus loin.
L’équipe de la Boulangerie Savoyarde – © DR
Ce Poilâne des Bauges-Devant pratique-t-il le commerce unifié ?
« Internet ? Le site n’est pas trop à jour mais on va s’en occuper, un jour…
La carte bleue, longtemps absente : on avait d’autres priorités. »
Celle du moment, c’est de savoir quand vont démarrer les travaux de construction d’un nouveau fourneau, qui permettra de fabriquer plus, de livrer plus donc et plus loin. La cohésion d’équipe est comme un troisième fourneau qui a parfois des problèmes de combustion. En 2016 en effet, l’équipe a traversé de sales moments : le suicide d’un des équipiers et le décès prématuré d’un des anciens. « On s’en remet maintenant, à peine, on va pouvoir s’attaquer aux autres sujets », indique le gaillard, tandis qu’à côté, l’une des femmes présentes acquiesce. Les recettes de la Boulangerie Savoyarde : prendre son temps pour faire peu de choses, réunir et former les équipiers qui doivent partager les valeurs et l’esprit, fabriquer à l’heure les produits qu’une logistique fiable délivrera ensuite partout sur le territoire.
Cave d’affinage de la Coopérative de Lescheraines – © DR
La Coopérative de Lescheraines, Alexis Pinturault du Margériaz
Et de la Tome des Bauges !
À quelques kilomètres, c’est la même recette de service client qui semble employée, option fromages, à la Coopérative de Lescheraines. Chaque jour, dimanche compris, le parking de la grande bâtisse voit défiler Logan ou Citroën Saxo, parfois des berlines plus prestigieuses. Ici, la Tome des Bauges remplit les étals au côté du Margeriaz (sorte de gruyère local), mais, sans qu’on y emploie le terme, le multicanal est pratiqué. Les nombreuses médailles gagnées lors des précédents Concours du Mérite Agricole ont démontré et fait reconnaitre la qualité des produits et permis, petit à petit, de gagner les clients un à un. On livre donc ceux-ci partout en France. La queue, l’attente qui peut durer parfois 20 minutes ? Le pain-point si redouté des Customer Experience Managers ne semble pas produire ici les mêmes dégâts sur l’expérience shopping qu’à la Grande Epicerie du Bon Marché ou au Parc Astérix : ici, on a le temps, on le prend, en savourant (ou pas) les odeurs de laiterie, les bouts carrés de fromage dont on peut s’emparer sur le comptoir. C’est également l’occasion de lire les affiches indiquant qu’il est préférable – et possible – de commander sur le site web de la coopérative et de se faire livrer partout en France. La carte de fidélité n’a pas été oubliée, qui permet, au terme d’une dizaine d’achats de partir avec une tomme gratuite. Qui n’aura pas le même goût en été qu’en hiver ; voilà ce que vous apprendrez, après quelques achats, de la bouche de la vendeuse qui vous reconnaitra, sans forcer pour autant sur la touche chaleur : on est en Savoie, le sourire est franc mais assez rare tant que vous n’êtes pas adopté. Certains ne le seront jamais.
La Vallée des Bauges – © DR
Les recettes du service et d’expérience client d’une coopérative souvent médaillée
La technologie n’est pas oubliée mais elle ne sert à rien en matière de service client sans le produit, dont la disponibilité est en fait le vrai conducteur de l’activité. Pas de lait, pas de fromages ; pas de neige, pas de forfaits vendus. Une fois ce précepte compris, l’écueil du personnel et de sa gentillesse est ici résolu à sa façon : tout le monde habite à proximité du travail ou s’arrange pour arriver à l’heure. La grève parisienne est un concept.
Pneus neige et départs à 5H30 du matin sont la norme et les prérequis pour beaucoup, dans ces vallées. « On connait assez bien les horaires de passage de la déneigeuse, ici, nous indique une jardinière de Sainte Reine, croisée lors de notre enquête ; ma fille travaille à l’hôpital de Chambéry. Lorsqu’elle est du matin, c’est à 5H30 qu’elle enquille la route du Col, dans la nuit ». Munissez-vous d’une carte et découvrez le trajet, vous sourirez moins : la descente de ce col est une succession de virages en épingle. Âmes sensibles, en cas de neige fraiche, passez votre chemin : de temps à autre la vieille Corsa ou Mégane part en crabe, il faut donc avoir le cœur accroché. Ce qui explique aussi qu’une Panda 4/4 d’occasion mais bien entretenue est un véritable actif, en Bauges et dans les vallées.
La modernité et les nouveaux comportements des consommateurs sont-ils pour autant abandonnés dans la vallée, après Saint-Jean d’Arvey ? Non.
Au début de l’hiver 2019, la carte rose et marron de fidélité, cartonnée, qui était en circulation à la Fromagerie a disparu. « Il fallait 15 euros d’achat pour obtenir un coup de tampon mais quelques-uns se plaignaient qu’à 14 euros, on ne leur en mette pas un. D’autres, qui avaient recommandé la Coopérative à des amis nous le faisaient savoir et exigeaient qu’on leur fasse un geste commercial. Du coup, on a stoppé la carte de fidélité », indique une vendeuse. « Trop d’ennuis et de comportements qui deviennent fatigants ».
On a perdu la carte de fidélité mais gagné un nouvel agencement de la boutique, désormais mieux éclairée et plus fonctionnelle : la caisse est placée au fond à droite, ce qui permet notamment de lorgner les tomes et les meules de Margériaz, durant l’attente.
Par Manuel Jacquinet
*The Seamless Experience Fanzine est un magazine dédié à ceux et celles qui travaillent sur l’expérience client, patient, shopping. Il est encarté, on devrait dire enchassé tous les deux mois, dans une autre publication papier : En-Contact. Les deux magazines sont édités par Malpaso.