217 millions de CA et 168 millions de pertes, Doctolib compte sur la BPI et l’IA. Est-ce grave Docteur?
Doliprane bientôt vendu par Sanofi (?) Doctolib encore en perte, les parcours patients peuvent être fluidifiés grâce à des innovations technologiques, des logiciels, la juste et bonne planification et mobilisation des ressources humaines. Mais tout ceci coûte cher. Faut-il nationaliser les disrupteurs de l’expérience patients, quand Amazon rôde ? On a bien nationalisé un jour la régie Renault. Et il ne viendrait à l’esprit de personne de faire gérer la PNIJ, la plate-forme nationale des interceptions judiciaires par Huawei ou Palantir.
217 millions de CA en 2022 et 300 millions d'ARR annoncés, 168 millions de pertes, la licorne de l’expérience patient n’a pas contredit les chiffres publiés par le magazine Marianne.
Doctolib, unanimement présentée comme la licorne française de l'expérience patient, a changé nos vies et le quotidien des médecins et des professionnels de santé, en facilitant la prise des rendez-vous médicaux, à toute heure du jour et de la nuit. Elle n'est pourtant pas encore à l'équilibre financier, loin de là. Discrète, pour ne pas dire très secrète, notamment sur des pratiques* qui sont parfois borderline, l'entreprise a réalisé, selon le magazine Marianne, 217 millions de chiffre d'affaires en 2022 et 168 millions de pertes la même année. Elle est valorisée 5,8 milliards d'euros, si l'on se fonde sur la récente appréciation financière qui a servi à son dernier tour de table.
« La transparence n'est pas le point fort de la French Tech » comme l'écrit Adrien Lelièvre, le journaliste des Echos en charge du secteur, mais la capacité de ses dirigeants à choisir les chiffres ou le story-telling adaptés est réelle et vivace: l'entreprise co-fondée par Stanislas Niox-Château, met en avant son ARR, le revenu récurrent annualisé, qui serait de 300 millions d'euros et devrait lui permettre de viser la rentabilité en 2025.
Merci la BPI. Si l'entreprise a pu se développer alors qu'elle n'a jamais été rentable, c'est grâce au soutien de ses actionnaires et de l'un deux, fidèle, la BPI, qui a injecté 211 millions d'euros dans la société depuis ses débuts et en détient 12, 51%.
Comme de nombreuses scale-up dans cette situation, l'entreprise va donc chercher : à augmenter ses revenus, son parc de clients et d'abonnés, via une augmentation de l'abonnement (?), ce qu'elle a déjà pratiqué et/ou à proposer de nouveaux services. Parmi ceux-ci, le résumé automatique d'une consultation pourrait être une bonne, voire une très bonne idée : dans le monde médical, de nombreux praticiens ont besoin de conserver et d'historiser ce qui a été dit avec le patient durant la consultation, afin de mettre à jour la fiche de ce dernier, de partager éventuellement une analyse ou un commentaire d'examen radiologique, ce qui s'est dit d'important dans une consultation de psychiatrie. Grâce à l'intelligence artificielle désormais et à des outils logiciels de speech-to-text de bonne qualité, de nombreux professionnels peuvent désormais achever un rendez-vous en face à face, ou par téléphone, voire une visio-conférence et disposer ensuite du résumé automatique. Si l'on sait choisir le bon outil et l'entrainer afin qu'il soit le plus efficace possible dans son secteur d'activité (c'est justement ce qu'a apporté l'intelligence artificielle), le résumé sera réalisé en quelques secondes, peut-être vite relu et venir enrichir ensuite le CRM ou les dossiers patients.
Doctolib a précisément annoncé récemment qu'elle avait lancé un assistant de consultation numérique, qui permet de remplir automatiquement le dossier du patient. Le Dr Marie Msika-Razon, qui l'a testé, l'aurait trouvé bluffant, selon Le Figaro.
Doctolib utiliserait à cet effet un outil développé en interne, distinct des outils de QM qui sont utilisés au service vente (Modjo) ou au service client (Allo-Media, dénommé désormais Uhlive.)
L'an passé, conjointement avec d'autres acteurs économiques, Doctolib a médiatisé l'importance du problème des lapins posés dans le monde médical, ces rendez-vous non honorés qui coutent cher aux médecins, ostéopathes, restaurateurs. Pourra-t-elle encore longtemps différer un rendez-vous qui s'impose, tôt ou tard et qui doit être honoré, celui avec la rentabilité ? La question n'est pas anodine.
Doctolib, BlaBlaCar, Monoprix et d'autres ont transformé l'expérience patient, voyageurs, shopping.
Mais Caddie l'avait fait également et est pourtant décédée : l’entreprise a été liquidée mi-juillet. Mais, à la différence du chariot qui permet d'aller faire ses courses, de la plateforme de co-voiturage, qui peuvent avoir des concurrents, Doctolib embarque des données de santé, de planning, d’identité.
Faut-il « nationaliser » Doctolib, peut-on vendre Doliprane, ce que s'apprêterait à faire Sanofi, ou les usines françaises où le médicament est produit ? Voilà un bon sujet de thèse pour les spécialistes de la souveraineté économique et digitale.
Ce sera en tout cas le sujet d’une des Master Class de la 12ème édition d’ECTFF, le forum de l’expérience client tiendra sa 12ème édition, à la Baule, du 23 au 25 septembre.
C'est à savoir
Amazon, qui a investi lui aussi dans les logiciels de rendez-vous médicaux, ne semble pas pour l'instant avoir transformé l'essai avec 1Life Healthcare. Mais il a les poches bien plus profondes que la BPI et pourrait donc un jour signer un chèque pour acquérir Doctolib. Dans son passionnant ouvrage, Amazon Confidentiel, Dana Mattioli écrit, dans l'épilogue, page 517: « La domination d'Amazon ne s'est pas amoindrie en dépit des nombreuses enquêtes des régulateurs sur les pratiques commerciales de l'entreprise (..) Alors que je travaillais à ce livre, elle a racheté 1Life Healthcare, plus connu sous le nom de One Medical. Cela signifie que le cabinet de mon médecin et toutes mes données afférentes, dont celles produites par les laboratoires d'analyse, appartiennent désormais à Amazon »
La Plateforme Nationale d’Interceptions Judiciaires est une plateforme utilisée par les magistrats, la gendarmerie, qui permet, dans un cadre légal, d’écouter en temps réel les conversations des personnes qui ont été mises sur écoute judiciaire. L’analyse en temps réel de ces conversations permet de repérer des éventuelles menaces. L’annonce de l’attribution du marché pour les prochaines années a été différé. Thalès en est l’actuel gestionnaire sous la responsabilité de l’Antenj. Plus de 100 millions de communications, sms, conversations seraient interceptées, chaque année. 10 000 personnes seraient écoutées en permanence, en France, dans ce cadre.
*Gros utilisateurs de plateforme d'envois de SMS, qu'elle envoie par centaines de millions chaque année pour les confirmations de rendez-vous, Doctolib n'aurait pas utilisé dans le passé que des plateformes CPaaS (Communication Plaform as a service) telles Infobip, CM.com, etc. Elle aurait ainsi pu économiser quelques centimes par SMS adressé.