Teleperformance, c'était un peu une secte ou McDo. Des promotions rapides sans l'odeur des frites
Xavier Blanchot, ex-cadre technique de Teleperformance, explique dans ce second épisode de "La BU la plus rentable de TP " ce qui a fait, selon lui, le succès du numéro 1 mondial du BPO, dans ses folles années de croissance, à l'époque de la rue Firmin-Gillot. Il dirige désormais l'Hôtel La Louisiane, une entreprise familiale, un hôtel mythique.
La 1ère grande panne
Mon deuxième grand souvenir, c’est la première grande panne. Tout d’un coup donc, alors qu’on est quarante ou cinquante à prendre les appels, vous avez le camembert, vous savez, celui qui indique le nombre d’appels en attente, qui se met à afficher: quarante, cinquante, soixante, deux-cent, cinq cents et là je saute sur les tables et je dis à tout le monde : vous prenez tous les appels. Exactement la même scène que celle du Le Loup de Wall Street (on prend tout).
Et là, on fait en une seule journée quelque chose comme trois cent mille francs de chiffre d'affaire. Moi, je saute de table en table : on ne lâche rien, je veux quatre-vingt-dix pour cent des appels répondus !
Le troisième souvenir, c’est d’avoir « empêché » Teleperformance, notamment Patrick Dubreil de nommer sur le plateau des superviseurs qui venaient de la rue Firmin-Gillot et d’avoir imposé que cent pour cent de mes disciples deviennent tous d’abord superviseurs. La plupart sont mes amis encore aujourd’hui et certains sont devenus directeurs.
Bertrand Derazey a été cadre de TP en Tunisie, Philippe Isaac a été patron de la Belgique, Damien Boissinot a été patron de Bordeaux, Bruno-André Giraudon a été RH puis est parti chez France Télécom avec moi dans une autre histoire, Laurent Thomas a été ingénieur responsable téléphonie. Toute cette génération a connu un destin exceptionnel. En grande partie, il s’agissait d’une flopée de Bac+ 5 qui avaient compris que l’internet allait changer la planète et qui venaient passer six mois, un an, un peu comme on allait chez McDo à une époque, avant de faire du management et de diriger une entreprise. On savait qu’on était à l’endroit extrêmement adéquat technologiquement. Et j’avais obtenu de TP de monter un laboratoire avec des recherches sur les virus, des recherches sur les télécoms : on démontait les machines, j’avais transformé le plateau en centre de geeks…
Qu’est ce qui fait qu’aujourd’hui, même si vous l’avez quitté, que ce métier et l’entreprise ont toujours cette image pas forcément très sympathique alors que c’est une réussite mondiale extraordinaire ?
J’ai croisé souvent des concurrents.TP a grandi d’abord grâce à sa capacité à casser les prix. A prendre des jeunes, y compris notamment des jeunes issus de l’immigration. L’entreprise a beaucoup misé sur ces jeunes et notamment sur des « beurettes ». Et Teleperformance, c’est un peu comme une secte : une fois qu’on y rentre, on a du mal à en sortir. J’ai connu ça dans d’autres entreprises. Il y existe comme un syndrome de Stockholm. Voilà, c’est-à-dire qu’on déteste l’entreprise et qu’on y est attaché, parce qu’on souffre tous ensemble, y compris les cadres.
Je pense qu’il y avait un côté familial, mais familial dur. Dans ces situations, de vraies amitiés naissent, des rapports de fraternité, un peu comme chez des galérien. Mais il existait cette capacité de promotion, des promotions rapides. On pouvait passer superviseur rapidement si on était bon puis RUO, responsable d’unité opérationnelle et on pouvait rapidement, un jour, diriger une filiale. La promotion interne était la clé, comme chez McDo, voilà, sauf qu’on n’a pas l’odeur des frites. Ici, moi j’ai complètement tout misé sur la relation client
Comme dans votre métier d’aujourd’hui, qui n’est plus du tout un métier d’artisans ?
L’hôtellerie a maintenant atteint un seuil critique sur la relation client et c’est pour ça qu’elle s’est fait déborder par Airbnb qui offre de l’expérience, des rapports amicaux et un véritable accueil. Elle a été asséchée par deux multinationales qui ont plein de filiales, Booking et Expedia, c’est-à-dire derrière elles Tripadvisor, Hotels.com, Trivago, Kayak et tous les autres.
Globalement, tout ça appartient à un milliardaire qui s’appelle Barry Diller et à une bande de hollandais qui ont pris la main, petit à petit, et ont transformé les réceptionnistes. Aujourd’hui, les réceptionnistes sont des banlieusards qui ne parlent même pas français ou mal, ou l’anglais, et qui disent : Yes sir, no sir.
Il n’y a pas de facture, tout est payé par internet, il n’y a plus de coups de téléphone, tout est pris et géré par internet, ils ne connaissent pas le quartier parce qu’ils n’y vivent pas et de toute façon, les gens ont des applications pour voir les restaurants à côté et qui sont bien plus fiables que ce que peut leur dire leur réceptionniste.
Ils ne connaissent plus leurs clients puisque, de toute façon, avec les lois sur le revenu de vente, Booking peut vous envoyer un client à n’importe quel moment. La fidélité n’existe plus de toute façon, car les gens aiment bien le zapping. Et il existe une espèce de consumérisme : on va découvrir les nouvelles décos, on va découvrir des nouveaux endroits, ce qui peut être sympa d’ailleurs, un tourisme dans le tourisme en fait. Ici, moi j’ai complètement tout misé sur la relation client : tout est fondé sur le rapport qu’on a avec des réceptionnistes, qui sont là depuis longtemps, qui connaissent très bien le quartier et qui aiment Saint Germain des Prés. On a développé une relation plutôt avec des artistes, des écrivains, des universitaires. C’est ça, La Louisiane.
Pour découvrir l'interview dans sa totalité, lisez le numéro 134 d'En-Contact et la partie une de cette interview exclusive, ici.