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Quelle est la qualité réelle des confitures que l’on peut trouver à la Grande Epicerie ou chez Hédiard, à Paris ?

Publié le 16 septembre 2021 à 10:27 par Magazine En-Contact
Quelle est la qualité réelle des confitures que l’on peut trouver à la Grande Epicerie ou chez Hédiard, à Paris ?

Confiture Haute Couture. Quand les mannequins qui défilent sont les fruits. De bons fruits suffisent-ils pour fabriquer de bonnes confitures et fournir la Grande Épicerie ? JEAN-CHRISTOPHE MICHELET, double champion du monde des confituriers. 

Episode 2 : Le point de vue d’un confiturier talentueux, primé dans des concours et des Championnats, double Champion du Monde de confitures et qui explique qu’il peut s’avérer difficile de s’y retrouver. Le concours de village, où l’un des membres du Jury est la femme de l’organisateur, n’est pas toujours rigoureux.

Andrésy Confitures indique produire de la confiture artisanale, en industrialisant simplement la mise en pot, qu’en pensez-vous ? 
Je ne dis pas ça pour leur nuire, mais le discours commercial d’Andrésy Confitures est nécessairement faux. Ils affirment produire de la confiture artisanale, mise en pot de manière industrielle. Lorsque vous travaillez avec cinquante ou soixante kilos de fruits dans une même bassine, c’est simplement impossible, vous êtes contraints de recourir à des méthodes industrielles. Il peut dire ce qu’il veut, je connais la famille Cassan ! Afin de réaliser des millions d’euros de chiffre d’affaires, il faut vendre des millions de pots et cela demande une batterie de chaudrons énormes, qui cuisent la confiture en 18 minutes. C’est exactement le même procédé qu’Andros avec Bonne Maman mais ces derniers l’assument. Les ingrédients, les méthodes et les résultats sont similaires. Tous deux utilisent un gélifiant quelconque, une quantité équivalente de sucre et de fruits, mais Andros est le numéro deux mondial, pas Andrésy qui doit donc se démarquer. Lorsqu’Andros vend un pot de confiture Bonne Maman à 134, ce n’est pas une arnaque. Vous payez très exactement ce que vous achetez : un pot de de confiture de 400 grammes, parfumé à la fraise qui elle, vaut entre 9 et 12 euros le kilo pour 134… vous imaginez bien la quantité de fraises. Entre le coût du pot, des étiquettes, du transport et la marge que se fait le supermarché, il suffit de réfléchir quelques instants pour se rendre compte de la qualité finale du produit. Mettez leurs pots en lumière, on voit à travers les fruits, alors que la fraise, à ce que je sache, n’est pas transparente ! Le législateur impose un minimum de 33% de fruits, vous n’aurez pas un gramme de plus chez un industriel.

Maison Michelet - © DR

Existe-t-il une hiérarchie des confitures ?
Le législateur reconnaît la confiture extra en numéro 1, la normale en numéro 2 et enfin la préparation de fruits, qui est le Leader Price de la confiture : liquide, dénuée de goût et ça ne se conserve pas. A la Grande épicerie, comme au supermarché du coin, vous allez trouver de la confiture extra, normale, sans sucre mais également de la préparation de fruits, tous à des prix ne reflétant pas la qualité du produit. C’est impossible de s’y retrouver, c’est pourquoi je travaille avec le législateur, pour que le consommateur s’y retrouve et que les artisans soient estimés à la juste valeur de leur travail. Pour aider le consommateur, un produit auquel l’on ajoute un gélifiant devrait être appelé en fonction : fruit gélifié ou gelée de fruits par exemple ! S’il était indiqué gelée de fruits au lieu de confiture, je ne suis pas sûr que les consommateurs en achèteraient autant, et certainement pas au même prix. 

Vous avez été élu deux fois champion du monde des confituriers, comment se passe la sélection ?
Un thème est imposé tous les ans et, en fonction, vous réalisez deux confitures : une classique et une créative. Vous envoyez ensuit vos pots au concours, afin qu’ils soient goûtés à l’aveugle par un jury de professionnels. Sur les dix meilleurs, parmi 72 candidats, les produits sont regoûtés et le classement est annoncé. L’année où j’ai gagné, j’ai fait une confiture aux trois pêches (blanche, plate et sanguine) et pour la catégorie créative, j’ai ajouté du poivre de Timut et de la fleur d’hibiscus.

Anatra - © DR

Est-ce que l’on peut faire confiance à ces médailles, et plus généralement à tous les labels ? 
C’est compliqué, on ne crache pas dans la soupe qu’on a mangée. Évidemment tout dépend des concours, des prix attribués et des enjeux. Certains sont assez fiables, d’autres très peu. On le sait tous, c’est d’ailleurs pour cela que vous me posez la question ! (rires…) Il m’est moi-même arrivé de me faire massacrer en compétition parce que du sel et du poivre avaient été ajoutés à mon produit. Tout dépend des structures, certains championnats du monde des confituriers ont eux-mêmes connu des années plus compliquées que d’autres, à cause d’un président de concours mal contrôlé par le reste de la structure. Sur le papier, on est jugé à l’aveugle et tricher devrait être impossible, mais la réalité est toute autre. Seuls les concours de très haut niveau (meilleur artisan de France, championnat du monde des confituriers) permettent une réelle transparence, les concours de taille intermédiaire n’offrent aucune garantie.

Quels sont les intérêts en jeu, qu’est-ce qui pousse à trafiquer un produit ? 
Je vous parle de confiture, mais c’est valable dans tous les concours gastronomiques : les enjeux sont très importants. La personne qui va devenir championne du monde voit sa vie changer, certains concours vous remettent 100 000 euros, dès la victoire, simplement pour compenser les dépenses. Cela poussera nécessairement les gens à essayer de tricher, même si sur ce type de concours, c’est plus compliqué. Désolé de m’exprimer ainsi, mais.. le concours de la fête à l’andouillette du village, c’est là que les choses se compliquent. Les jurés connaissent les candidats, il y a des conflits d’intérêts. Je pense tout de même que certains, dont je fais partie, sont en train de faire bouger les choses.

Comment vous y prenez-vous ?
Récemment, j’ai fait annuler un concours important, vous pouvez lire l’article Rififi chez les confituriers qui l’explique. L’organisation prend énormément d’argent aux petites communes pour organiser ces concours et lorsqu’ils ont annoncé le résultat, j’ai immédiatement compris qu’il y avait un problème. Ce n’était même plus de l’infraction à ce niveau-là. J’ai donc appelé le maire de la commune, qui m’a renvoyé vers un organisateur qui a essayé de se défausser. Je lui ai donc demandé les coordonnées de l’huissier, ce qu’il a essayé de me refuser. Or, c’est contraire au règlement écrit et signé par l’ensemble, je lui ai donc agité ceci sous le nez et ai fini par les obtenir, et j’ai demandé d’annuler les résultats du concours. Il m’a répliqué que ce n’était qu’un petit concours de village. Il ne comprenait pas que des artisans confituriers sérieux aient pu payer 40 euros alors qu’ils ont un chiffre d’affaires d’à peine 400 euros, parce qu’ils espèrent pouvoir estampiller leurs pots d’une petite étiquette, afin de gagner 80 à 100 euros de plus par mois. Il m’a demandé de prouver qu’il y avait eu tricherie, ce qui n’était pas très compliqué : le gagnant avait remporté un premier deux ans auparavant, or il est impossible de remporter deux années un prix à ce concours, encore moins avec la même confiture que l'année précédente. Le deuxième prix avait gagné l’année précédente, même problème, et la troisième a son mari dans le jury. A partir du moment où le jury n’est pas composé de professionnels et que les choses ne sont pas cadrées, tout est possible.

Vous le disiez, ces prix changent la vie de celui qui le reçoit, comment l’avez-vous vécu ? 
Ce qui change, c’est la crédibilité dont vous jouissez. Lorsque vous êtes Champion du monde, vous êtes supposé maîtriser votre produit. A partir du moment où vous discuter avec d’autres professionnels, on va vous écouter, vous n’êtes plus simplement la grand-mère qui fait des confitures dans son coin. Dans le regard des autres, tout change. Je pense que pour devenir champion du monde, il faut une maîtrise technique importante; aussi, lorsque vous faîtes face à un champion incapable de parler technique, vous savez comment il a obtenu son prix. 
En ce qui concerne les ventes, j’écoulais déjà tous mes stocks avant le titre, car j’étais catalogué comme confiturier atypique. Je faisais des produits pour des gens un peu bizarres, comme des gelées à la fleur d’hibiscus, ce qui nous conférait, il y a 12 ans, l’image de quelqu’un d’un peu à part. Comme c’était un marché de niche, je n’avais aucune concurrence et donc aucune difficulté à écouler mon stock. Si vous vouliez des gelées de poivre, ou de la confiture d’hibiscus il y a douze ans, il fallait m’appeler.

Comment ces gens-là parvenaient-ils jusqu’à vous et plus généralement comment trouvez-vous vos clients aujourd’hui ?
L’événementiel joue déjà beaucoup : les salons, les concours au cours desquels vous faites déguster vos produits ; les médias sont également très importants et le dernier rouage c’est le bouche-à-oreille. La machine prend du temps à se lancer, mais cela finit par fonctionner. Sur les salons vous êtes en contact direct avec votre consommateur, qui peut goûter vos produits et l’acheter ou non. C’est un condensé de 15 à 100 000 clients potentiels, un peu mieux qu’un petit village de 1 000 habitants !

MAISON FRANCIS MIOT - © DR

Est-ce que la demande de produits de qualité est en hausse ces dernières années ?
Certains industriels ont réussi à imposer des goûts et des couleurs, ce qui peut poser certains problèmes à quelques-uns de mes confrères. La confiture est un produit extrêmement consommé, on va tous en acheter: en vacances ou à Noël, c’est le produit que l’on néglige le plus mais que l’on consomme le plus. Les gens aujourd’hui ont des palais pour faire la différence, mais si l’immense majorité des produits sont gélifiés et noyés dans la flotte, les gens vont chercher un prix.

Vous travaillez avec des hôtels, des maisons ? Comment se passe le partenariat avec la Grande Épicerie ?
Avec La Grande Épicerie, c’est en cours de négociation, et c’est mon associé qui s’en est occupé, je ne connais donc pas trop le dossier. En ce qui concerne les autres, cela procède souvent de rencontres, d'échanges, de discussions. Je bénéficie déjà d'une certaine renommée, mais pour ceux qui sont choisis par La Grande Épicerie, c’est comme un titre de champion du monde : ça permet de gagner en notoriété et en crédibilité : « Si je suis choisi par une épicerie haut-de-gamme, c’est que mes produits sont hauts de gamme. » Certains titres ou labels, de la même manière, sont extrêmement importants. Une médaille au concours agricole, c’est 15% d’augmentation des ventes. C’est peu pour un petit artisan, mais pour un industriel qui fait 100 millions de pots par an, je vous laisse faire le calcul… C’est à ça que servent ces titres.

A quel prix vendez-vous vos pots ?
Je dois être parmi les plus chers du marché, mes pots sont à 11, fruits frais, fruits de saisons, sans gélifiant ou autre. Entre le moment où je prends les fruits et celui où je pose l’étiquette, il s’écoule parfois une dizaine d’heures

Favol - © DR

Vous produisez des produits moins ou non sucrés, pourquoi ce choix ? 
J’ai immédiatement décidé de réduire la quantité de sucre et y ai consacré énormément de temps. L’année où j’ai gagné les championnats du monde, j’ai présenté une confiture avec 15% de sucres, soit 150 grammes de sucre par kilo de fruit, ce qui est minime. La plupart des confituriers vont mettre entre 700 grammes et un kilo de sucre. Je pense que la confiture est un produit fabuleux mais le problème des recettes de grands-mères, que j’adore, c’est que ce sont des recettes de grand-mères. Or, il doit justement y avoir une différence entre ce que fait le professionnel et l’amateur. Si l’on paye un restaurant, c’est pour goûter quelque chose d’autre que le steak haché-frites que l’on peut faire à la maison, lorsque vous allez chez un confiturier c’est la même chose. Le problème de la confiture réalisée chez soi, c’est  la recette:  1 kilo de sucre/1 kilo de fruits, c’est trop, on perd totalement le goût du fruit. Après quelques recherches j’ai mis au point une méthode qui me permet de réduire considérablement le sucre à ajouter, car cela ne sert à rien si l’on y perd les saveurs. On réduit le sucre pour sublimer le goût du fruit. Ma méthode permet de remplacer le sucre partout, confitures comme autres produits, je produis donc des pots 100% fruits et végétal.

Et cette méthode est secrète ?
Oui, désolé ! Deux brevets internationaux sont déposés, je peux simplement vous dire que c’est du 100% fruits et végétal, sans sucre. Le sucre est une plaie, et une drogue dont il faut se méfier. Pour les personnes ayant des problèmes de santé, les diabétiques notamment, nos produits sont très intéressants, nous sommes sur des confitures aux indices glycémiques les plus bas du monde. (IG<3) Le taux de sucre est inférieur à 20 pour 100 grammes, alors que les autres se situent généralement à 85%. On a donc des résultats impressionnants, on conserve la gourmandise du produit. Les enfants de trois ans, drogués au saccharose, pourront apprécier des produits gourmands sans devenir addicts.

Cela ne place-t-il pas vos produits hors de la catégorie des confitures ? 
La législation nous impose d’être à 55 Brix, une unité de mesure de la fraction de saccharose dans un liquide. Le problème c’est que c’est confondu avec 55% ; la plupart des artisans ne savent même pas qu’un Brix indique la conservabilité d’un produit, pas forcément son taux de sucre. La définition de la confiture ? Un fruit confit dans son sucre naturel et éventuellement ajouté. Si vous descendez en dessous de 55 Brix, vous faites alors de la préparation de fruits.

Quels sont vos prochains projets ? 
On va continuer à travailler, j’ai encore deux trois idées pour améliorer ma confiture et mon métier, et il y a toujours de nouveaux produits à travailler. Se remettre chaque jour en question, essayer d’avancer !

Par la rédaction d’En-Contact 
et Numa Beltran

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