L’addiction aux écrans, un statu quo pourfendu par la commune de Seine-Port
“54% des habitants de la commune ont voté pour une restriction de liberté”. En Seine et Marne, le maire de Seine-Port interdit les smartphones dans l'espace public. Avec la bénédiction des parents, des enseignants, du préfet ?
La petite commune de Seine-Port (en Seine et Marne) a récemment attiré l’attention des médias du monde entier en se positionnant avec audace sur l'un des plus grands défis de notre époque : rompre avec la dépendance aux smartphones. L’initiative revêt la forme d’une charte interdisant aux adultes comme aux enfants de consulter un smartphone dans les espaces publics. La commune propose de substituer aux smartphones de simples téléphones à touches pour les enfants. Le simple Nokia a encore de l’avenir.
M. Vincent Paul-Petit, maire de Seine-Port, a estimé que la balade dans cette commune historique située à l’est de Paris méritait que le promeneur regarde autour de lui et non son smartphone. Par le biais d’un vote, il a demandé l’aval à ses électeurs pour son idée : interdire les écrans dans les espaces publics. L'arrêté municipal n'attend plus qu'une validation de la part du préfet pour être signé.
Une charte à la légitimité et la valeur juridique faible, dont le but est d’ouvrir le débat :
La liste électorale est petite, la participation encore plus : environ 20% des électeurs se sont déplacés pour le referendum du 3 février 2024, soit 277 personnes. Une courte majorité s’en dégage : 54% se prononcent en faveur de la charte. La victoire est donc relative. M. le maire souligne tout de même que : « 54% parait peu, mais c’est 54% des gens qui ont voté en faveur d’une restriction de liberté ».
La charte votée n’a qu’une valeur symbolique puisqu’elle ne permet pas de sanctionner les citoyens en cas de non-respect. Un arrêté municipal sera bientôt pris pour l’acter. M. Vincent Paul-Petit reconnait : « La valeur de l’arrêté municipal bientôt signé est faible juridiquement ». Il tient avant tout à ouvrir le débat : « Convaincre la commune que ce sujet vaut le coup d’être traité. Quelque chose d’interdit se suffit en lui-même sans besoin de sanction ». Sur ce point, c’est un succès dépassant la frontière de sa commune puisque l’information est partout reprise. Le Guardian y consacrait un article récemment. M. Le maire nous confie que beaucoup de journalistes étrangers, de l’Allemagne à l’Australie en passant par les Etats-Unis, lui demandent une interview. Pas si mal pour une commune de 2000 habitants. Le Washington Post préparerait un article sur cette première mondiale.
Des actions multiples contre l’addiction aux écrans :
Au-delà de la controverse suscitée par la charte, les élus ont mis en place des mesures concrètes. Sur le site de la mairie, un fascicule est disponible pour renseigner les familles sur les bonnes pratiques limitant l’addiction aux écrans, reprenant les « 4 pas » de la pédopsychiatre Sabine Duflo. Ce concept suggère quatre temps sans écrans : pas le matin, pas pendant le repas, pas avant de se coucher, pas dans la chambre de l’enfant. Des occupations alternatives aux écrans sont également proposées, de la boite à livres aux espaces sportifs. La commune se propose même d’offrir un téléphone « 9 touches » aux collégiens si la famille s’engage à ne pas acheter de smartphone avant l’entrée au lycée. Un retour en force surprenant des années 2000 sur lequel M. le maire compte parier en nouant des partenariats avec des entreprises locales de reconditionnement: « Il parait que le bon vieux Nokia est en croissance de 5% par an, grâce aux seniors et bientôt grâce aux enfants ». De quoi vieillir certains d’entre nous.
Un maire militant, un Doer :
Il y a une dizaine d’années, M. Paul-Petit avait déjà lancé un autre projet : l’usage des blouses comme uniforme à l’école. Sans succès. “Concernant l'addiction aux écrans, j'ai été sensibilisé à cette thématique en observant les gens dans la rue, les adolescents. Quantité d'histoires m'ont fait prendre conscience d'une épidémie généralisée. Une épidémie silencieuse”
Des Etats autoritaires comme la Chine prennent des mesures spectaculaires, comme l’interdiction pour les mineurs d’aller sur internet durant la nuit, pour endiguer le phénomène.
L’ONU avait déjà reconnu en 2018 l’addiction au jeu vidéo comme une maladie. Des auteurs comme le neurologue Michel Desmurget, le journaliste Bruno Patino (La civilisation du poisson rouge) ou encore Nathan Devers (Les liens artificiels) ont installé la thématique dans le débat public. Emmanuel Macron, peut-être inspiré par ces auteurs et la petite commune, s’en inquiétait aussi dans son discours du 16 janvier 2024. Loin d’être isolée, la charte de Seine-Port restera donc peut-être dans les annales comme étant l’une des premières transcriptions politiques de ce débat en France.