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Un jour, un client m’a serré la main

Publié le 17 avril 2019 à 08:42 par Magazine En-Contact
Un jour, un client m’a serré la main

Archive : En-Contact, mars 2018 

L’ancienne hôtesse de caisse est devenue écrivain, un film a été tiré de son livre, et elle a retenu de son ancien métier l’importance de l’indulgence et de l’humilité. Rencontre avec Anna Sam.

Caissière, écrivain et aujourd’hui professeur. C’est le parcours professionnel peu commun d’Anna Sam, qui a connu la lumière des projecteurs en 2008 avec son livre paru chez Stock, Les tribulations d’une caissière, compilation du récit quotidien de sa vie de caissière dans un hypermarché Leclerc dans la banlieue rennaise. Son récit a aussi fait l’objet d’un film en 2010, avec Déborah François dans le rôle-titre. Dix ans plus tard, que retient-elle de cette partie de sa vie ? Entretien.

Anna Sam – © Carole Bertaux

Cécile Ferez : Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Anna Sam : Je suis professeur de français depuis septembre 2016 dans un lycée professionnel. J’écris moins aujourd’hui. Le Silence des poupées, mon dernier roman est sorti en Belgique en début d’année. J’ai choisi le professorat parce que je voulais rester en contact avec les autres, avoir du lien avec les gens et avoir le sentiment d’avoir un rôle dans la société.

Est-ce que votre expérience de caissière vous sert aujourd’hui dans votre nouvelle profession ?
Ce n’est pas du tout le même public mais je crois que ça m’a appris à être plus patiente et plus ouverte, même si ce n’est pas facile tous les jours. Mais mes élèves sont surtout fascinés par le métier d’écrivain : ils font souvent des recherches Google sur leurs profs avant la rentrée…

Pendant vos années comme caissière, qu’est-ce qui vous semblait crucial pour établir un bon rapport avec les clients ?
Je dirais beaucoup d’indulgence et d’humilité. Et également de ne pas juger le client. Quand la personne passe à notre caisse, on ne sait pas ce qui se passe dans sa journée : elle peut être énervée ou fatiguée pour des raisons que l’on ne connaît pas, et la manière dont elle s’adresse à nous n’est pas forcément volontairement désagréable à ce moment-là. Mais je le dis aussi avec un recul de dix ans.

Vous dites que l’on vous disait souvent que la caissière est « la première image du magasin ». Vous en pensiez quoi ?
Ça me paraît aberrant. On nous demandait d’être ce que nous ne pouvions pas être parce qu’on n’est pas formé pour. Les caissières doivent être l’image d’une entreprise dont elles ignorent les objectifs et les valeurs que cette dernière souhaite revendiquer. Comment les porter dans ce cas ? Et le client face à nous, quelle différence fait-il réellement entre Cora, Carrefour ou Leclerc ?

Gardez-vous encore en tête des anecdotes, des souvenirs de certains échanges ou moments avec des clients ? Des bons et des moins bons ?
Celui dont je me souviens le plus est un monsieur qui était parti en me serrant la main. Il était passé à ma caisse, nous avions discuté trois minutes, et juste avant de partir, il m’a serré la main. C’était la première fois, et peut-être la seule, où un client a cassé la barrière entre nous pour rétablir un lien humain. Caissière est un métier étrange. Nous avons des cadences folles, c’est un travail à la chaîne, souvent sans reconnaissance et en même temps, les gens ont besoin de ce lien entre deux personnes. Ça arrivait d’avoir des affinités avec des clients réguliers. C’est arrivé à chacune.

Que vous a apporté ce métier finalement ?
A nouveau l’humilité, la patience et l’absence de jugement sur les autres. Il m’a aussi permis d’être moins réservée. Quand vous voyez chaque jour 300 personnes, vous êtes obligée d’être plus ouverte. Je vais plus facilement vers les autres aujourd’hui. Et, sans ce métier, je n’aurais pas été écrivain aujourd’hui. Si je devais recommencer ma vie, je referais exactement les mêmes choix.

Quel regard portez-vous sur les caisses électroniques ? D’un hypermarché du futur avec des robots ?
Il y a dix ans je trouvais ça aberrant. Je suis moins vindicative aujourd’hui. Les caisses automatiques rentrent dans les mœurs. Je ne sais même pas s’il restera des caisses d’ici quinze ans. Les grandes surfaces changent tellement… Ce ne sont plus forcément les mêmes choses. Avec le Drive, les gens ne passent déjà même plus en caisse. Ça a un tel succès ! A croire que mêmes les clients ne cherchent plus le contact avec une autre personne.

Avez-vous été sollicité par des grandes surfaces pour former des caissières ?
Je devais faire de la formation avec une enseigne mais cette dernière n’a finalement pas voulu. J’ai travaillé avec les hypermarchés Leclerc en 2010. J’ai réalisé une étude sur les évolutions possibles pour améliorer les conditions de travail. J’en étais fière mais ça n’a jamais rien donné.

Par Cécile Ferez

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