J’ai coiffé le monde entier. Quand Alexandre, le Sphinx, arrive chez Carita

Avant Vidal Sassoon, Franck Provost, les coiffeurs de génie ont existé, tout comme les hommes d’affaire réussissant dans la coiffure. Parmi les artistes, les génies, l’un est oublié, Antoine de Paris, un second moins, Alexandre. Alexandre de Paris, découvert et formé par Antoine, dans son salon de Cannes.

Dans ses mémoires, désormais épuisées, Sous le casque d’Alexandre, Alexandre né Louis Alexandre Albert Raimon raconte sa montée à Paris et son association avec les sœurs Carita
« (..) LES CARITA
A Paris ma planète restait le boulevard Suchet et la duchesse de Windsor. Je la coiffais tous les soirs. Je connaissais maintenant son étiquette dans les moindres détails. Éloignée du trône, elle régnait davantage. Elle ordonnait la vie de son mari, réglait ses parties de golf, dirigeait la cérémonie du thé, la liturgie des audiences et le spectacle des repas. Elle savait inventer l'écart qui permettait au duc d'être l'arbitre des conventions et des élégances. Elle imagina les revers de pantalon dont la création resta célèbre par une remarque flegmatique de George V :
— Il pleut, monsieur ? avait dit le roi à son fils.
— Non, pourquoi ? avait dit le duc, non sans malice.
— Vous avez retroussé votre pantalon, monsieur.
Ainsi sont consacrées les modes.

Constamment sollicités dans leur exil volontaire de la politique, souverains d'une aristocratie qui les faisait régner sur la vie mondaine internationale, ils voulurent m'emmener à New York. Mme Antoine eut le front de résister à Leurs Altesses. Et c'est moi qui désobéis. Je pris l'avion pour arriver dans les meilleures conditions.
Je fus malade à mourir et me soignai au whisky, tant et si bien que j'atterris dans un état d'ivresse fort avancé.
Je ne parvins même pas à identifier le policier de la duchesse qui me hissa au trente-huitième étage de la Waldorf-Tower. Je fis tant bien que mal mes civilités à Leurs Altesses, mais grimaçai tant devant le valet noir Sydney qu'il m'envoya au lit après m'avoir fait ingurgiter, pour me remettre, un célèbre veau à la confiture de menthe.
La presse américaine célébrait le retour du duc et de la duchesse. Le coiffeur y fut généreusement associé.

A force de penser à Christophe Colomb, je sentais qu'il n'était pas mon cousin... Le duc et la duchesse étaient de meilleurs guides pour découvrir l'Amérique. La duchesse s'habillait chez Dior, elle lancerait donc la mode à New York.
Tropézien en Amérique, je voulus tout voir. Cinémas, gratte-ciel, musées, magasins m'étonnaient sans m'expliquer les mœurs étranges de ce peuple qui contraignait Sydney à regagner chaque soir son ghetto parce qu'un Noir ne couche pas dans un hôtel blanc.
Une naïveté pareille chez des gens aussi sérieux ne me convenait pas. J'entrepris la tournée des confrères. Je fus déçu. Ce que je compris le plus mal, c'est comment on fait en Amérique pour être laborieux et sérieux jusqu'à cinq heures du soir et se saouler méthodiquement le reste de la journée. Je comprenais mal : mesurer les gens à leurs relations, vivre au diapason de la télévision, fuir en week-end, célébrer le culte de la femme qui règne sur tout. Adorer l'argent, croire à la publicité et acheter le crédit.
Mon innocence agrandissait tout, aimait et haïssait démesurément. J'étais pourtant fêté partout ; je me croyais en vacances.

En rentrant pour Noël, j'appréciai le prestige que m'avaient valu le Nouveau Monde et l'introduction royale du duc et de la duchesse de Windsor.

Il n'en fallut pas davantage pour que je fisse part à Mme Antoine de mes prétentions nouvelles. J'avais d'ailleurs été consacré là-bas par Antoine lui-même qui m'avait traité en égal et en grand. On palabra et je fus, à Noël, nommé « directeur artistique » au salon Antoine à Paris.
« Les années cinquante » de Mme Chauvin commençaient.
Les jalousies se déchaînèrent. Les grognards regimbaient contre le fifrelin. Bonaparte j'étais, Napoléon je deviendrais. L'ambition vient toujours à bout de la grogne.
Le directeur artistique du salon Antoine se dépensait sans compter. Au moment où mon écurie de mannequins commençait à être connue, je fis avec Carven mon entrée dans la Haute Couture et mes débuts dans les coiffures de cinéma avec Nicole Courcel. »
Pages 94 à 96 extraits du livre Sous le Casque d’Alexandre, 30 ans de coiffure, avec la collaboration d’Etienne de Monpezat, (ed. Presses de la Cité).

J'ai coiffé le monde entier. Réédition.
Antek, dit Monsieur Antoine ou Antoine de Paris, est un peu tombé dans l'oubli, bien qu'il soit considéré comme l'empereur de la coiffure moderne. Arrivé de Pologne, Antoine Cierplikowski a révolutionné la coiffure moderne, inventant la coupe à la garçonne pour Coco Chanel. Avant les autres, il installe le téléphone dans ses salons pour faciliter la prise de rendez-vous. Puis il part aux Etats-Unis..où on l'attend et espère.
Romanesque, sa vie et notamment sa fin de vie comportent quelques zones d'ombre, tandis que sa main, sa main seulement, est enterrée au cimetière de Passy. Epuisée, son autobiographie, écrite par Jean Durtal, va être rééditée par les Editions Malpaso-RCM, enrichie avec quelques autres témoignages de coiffeurs de génie. Car Antoine a formé Alexandre, qu'il a repéré et embauché à Cannes..L'histoire a retenu et fait perdurer l'image et l'héritage d'Alexandre, a oublié Antek. Pourquoi ?
Les photos ci-dessus font partie de la collection particulière de Michel Dervyn, un autre très grand artisan de la coiffure, qui a repris les salons d'Alexandre de Paris dont celui du 3 avenue Matignon.