"J’ai abandonné la machine à café Nespresso et cherché du bon café en grains." Interview d’Anne Laratte, décédée le 29 décembre 2024
Anne Laratte, l'expérience client, le café Nespresso et ce qu'on fait de son existence, quand on a cédé son entreprise. L'ex-co-fondatrice de Vivetic, basée à Madagascar, est décédée le 29 décembre 2024. La pionnière du BPO et des call-centers sur l'ile avait été interviewée par En-Contact et Guillaume Chérel dans le numéro 111, un numéro de légende.
Ex-co-fondatrice de Vivetic, basée à Madagascar, Anne Laratte a su rebondir, plusieurs fois déjà. Malgré les aléas de la vie, elle est prête à se lancer vers de nouvelles aventures entrepreneuriales, différentes.
Il y a deux ans ou presque, Anne Laratte a cédé sa société, Vivetic, créée il y a plus de vingt ans, avec feu son mari, à Madagascar. Une société qui a employé et formé, du temps qu’elle l’a dirigée, plus de 1500 jeunes malgaches devenus experts de la relation client, ce dans un pays où un tel emploi ne représentait pas un job par défaut mais une réelle opportunité professionnelle. A l’époque, elle et son mari Kristian ont été des pionniers sur l’Ile Rouge, où ils sont parvenus à ouvrir quatre sites, dont un à Tananarive, ainsi qu’un centre de numérisation… à Pantin, dans la région parisienne, quelques années plus tard.
Au début…
C’est là qu’elle nous reçoit, à Pantin, dans son bel appartement-maison de banlieue, lumineux malgré la pluie hivernale et décoré avec goût, dans une ambiance très Océan Indien (statuettes, tableaux autant colorés que bigarrés) ; là où tout a commencé : « Avec mon mari, nous avons débarqué à Madagascar en 1994, avec deux cantines de dix Mac d’occasion. Nous avions déménagé de Paris, avec trois projets potentiels en tête : ouvrir un restaurant (« Le comptoir de l’aviateur »), une compagnie aérienne… ou une entreprise de prestation PAO ».
Anne, issue du secteur de la finance, déniche d’abord un travail de DAF expatriée dans un groupe français de pêche crevettière (comme Forrest Gump !). « Ça m’a familiarisée avec l’écosystème malgache et a financé la création de notre future activité, hébergée au début dans une maisonnette au fond du jardin. Finalement, le projet resto nous est apparu comme trop risqué à monter avec une monnaie malgache non convertible, et la compagnie aérienne inadaptée à un marché trop étroit et dépendant des autorités malgaches, elles-mêmes assujetties à une situation politique compliquée, pour ne pas dire aléatoire. » Bref, le couple se concentre sur la PAO, sans imaginer qu’ils allaient bifurquer vers une autre activité en plein boom, à « Tana ». Ils prennent également le temps de vivre, tout en développant leur business et d’autres choses essentielles : deux enfants (un garçon, une fille).
Le développement de Vivetic
Anne a « empoigné » ensuite, dixit, la direction générale et son mari, Kristian, le développement de Vivetic. Leurs premières prestations de PAO consistaient à l’époque en la mise en page, la saisie et la lecture optique, pour le secteur de l’édition, « un secteur très demandeur de « transformer » en fichiers (à dématérialiser) des volumes considérables de livres, explique-t-elle, afin de les rendre accessibles sous tous formats, supports et structures, au fur et à mesure de leurs modes de publication ». L’entreprise collabore ainsi avec une grande maison d’édition comme L’Harmattan, par exemple. Puis, en 2000, ils intègrent des prestations de traitement de données pour le secteur du marketing direct : le parc de Mac s’est transformé en un parc informatique de PC. Vivetic se développe, au point de devoir revenir vivre en région parisienne, « pour être plus proche des clients, du développement commercial, de l’évolution des besoins, à l’écoute du marché ». De 2000 à 2017, Anne dirige, à distance, les sites de production, à Antanarivo, en s’appuyant sur une équipe d’experts de six directeurs formés sur place.
En 2011, son mari, Kristian, décède dans un accident d’ULM. Anne se retrouve seule aux commandes de Vivetic, unique actionnaire avec deux enfants, alors mineurs qu’elle entend bien élever. Malgré les difficultés et la douleur morale et psychologique, cette battante multiplie la valeur de Vivetic par trois : « la croissance a été dopée par le lancement de l’activité « centres de contacts » (call center), permise par l’avènement de deux fibres optiques, à Antatanarivo, en 2010 ». Deux nouveaux sites de production (de 2000 m2, 600 positions) seront construits et dédiés à ces prestations innovantes et exigeantes, sur « Mada », d’assistance aux clients de ses clients.
Fin 2017, Vivetic se porte bien : malgré les aléas d’une concurrence devenue féroce, l’entreprise familiale est devenue une référence dans le métier, Anne décide de vendre, fin 2017. Quelque chose s’était brisé, il fallait passer à autre chose. Se reconstruire, comme on dit. « Les prestations sont dorénavant déployées en multilingue, intègrent des process d’intelligence artificielle et nécessitent une nouvelle stratégie d’organisation, de financement ». Anne en parle en pro mais le ressort semble un peu cassé. Elle a donc choisi de passer le relais de cette belle histoire entrepreneuriale et d’amour. Même si le siège de Vivetic est situé de l’autre côté de la véranda, non loin d’une vieille moto allemande qui appartenait à son bourlingueur de mari. Anne Laratte ressent maintenant le désir de partager son expérience et son parcours, pourquoi pas en accompagnant, en tant que conseillère, des entreprises dans leur mutation. Avis aux chasseurs de tête ? Sous ses faux airs éthérés, façon star hollywoodienne, la grande et belle blonde est pragmatique. To face the ordeal, comme disent les anglais, elle est habituée. Quant au tiraillement qu’elle a ressenti parfois dans sa vie d’entrepreneuse, elle pense qu’il est une richesse.
Quand on vend, deux ans après, on fait quoi, on s’émeut de quoi ?
Dix huit mois après la cession de son entreprise, la présidente est restée fidèle à l’une de ses règles de vie : l’équilibre est dans le changement. S’est donc mis en place un puzzle diversifié d’activités. « Par rapport à Madagascar, je continue à œuvrer, autrement, avec l’association Zazakely Sambatra qui déploie 3 projets structurants, innovants dont le projet : Make the choice Mada, avec pour objectif principal de promouvoir l’entrepreneuriat, de passer à l’action. Au niveau de l’entreprise, je conseille un binôme féminin dans le déploiement de leur gamme de sacs de maroquinerie de luxe. Je mentore, à travers l’IME, un dirigeant d’une entreprise dans le secteur de l’enseigne lumineuse. C’est une autre posture qui consiste à mettre mon expérience à disposition, de l’autre côté de la barrière, en conseil, en bienveillance tout en conservant mon instinct de performance. La liste n’est pas exhaustive, c’est dire la curiosité.
En tant que cliente, des expériences vécues de HNWI*, de touriste, etc. ?
« J’ai bien sûr découvert l’univers des conseils financiers au sens large et souri : j’ai eu l’occasion de découvrir la dichotomie chronique entre des rentabilités estimées et l’absence d’engagement, le gap entre le discours commercial et l’expérience client, à une période de taux négatifs. Cliente d’Airbnb, j’apprécierais de pouvoir transmettre des suggestions, non publiables, permettant à l’hôte de bénéficier de retours clients non corrélés à une note. Une sorte d’innovation continue collaborative.
J’ai adoré Pete the Monkey, un festival musical indépendant franco-britannique en Haute-Normandie, au bord de mer, unique avec sa sélection innovante et reconnue de groupes, concoctée avec passion toute l’année par Louis Dumas & son équipe, en partie sourcée à partir de leur salle de concert parisien (Popup du Label). Une fois les tickets récupérés sur l’application DICE, l’appli LyfPay chargée (cashless festival), on rentre de suite dans une atmosphère intimiste. Une magie s’opère grâce à d’improbables découvertes, une décoration créative et audacieuse, un cabaret « secret », avec cette extravagante et joyeuse folie du côté british du festival.
J’ai abandonné la machine à café Nespresso dans l’objectif de supprimer les dosettes et le plastique : il nous a fallu nous déshabituer au goût des dosettes. Ça nécessite moins de temps tout de même que de se déshabituer du sucre dans le café, Nespresso ne proposant pas de machine avec du café en grain. A débuté alors la quête, compliquée, d’un bon café en grains ! Quid de la création de cette gamme de cafetière chez Nespresso avec du café en grain, par saveur ?
Par Guillaume Chérel
Entretien publié dans En Contact # 111
*High Net Worth Individuals, que l'on pourrait traduire en français par "personnes de haute valeur", s'il ne s'agissait pas d'argent.