Incivilités, violences au guichet: tout se joue en quinze secondes
Incivilités, violences au guichet, aux urgences : tout se joue ou peut s'éviter en quinze secondes. En-Contact présente les rares spécialistes de la formation sur ces sujets, en France.
Impolitesse, insulte, mépris, irrespect. Les incivilités sont légions et tendent à se développer, notamment dans le commerce de détail, mais pas que. A l’hôpital, à la porte des écoles, au guichet des banque ou de l’agence Pole Emploi, devenu France Travail. Chez un grand acteur du retail, on en a comptabilisé 15 000 l’an passé, un chiffre qui a doublé en deux ans et qui inquiète !
Véritable révélateur d’une situation économique et sociale dégradée, les causes des incivilités sont multiples alors que les conséquences se font déjà sentir et risquent de causer des dommages irréparables sur les organisations. Comment s’en prémunir ? Réponse avec des experts de la gestion du stress et des incivilités.
Les incivilités : une tendance qui explose
Les incivilités explosent, c’est un constat partagé par tous les acteurs au contact du public. Dégradation progressive et accentuation majeure depuis la fin de la période Covid, les incivilités peuvent être décrites comme le spectre-bas des comportements inappropriés en société, dont le spectre-haut pourrait être représenté par les délits. A titre d’exemple, le manque de politesse n’est pas répréhensible – et par conséquence moins visible dans les statistiques – mais pourrait constituer l’antichambre des comportements délictuels (agression verbale ou physique, vol, etc).
Selon un accord collectif du 3 mars 2017, « l’incivilité survient lorsqu’un salarié est confronté à une absence de respect qui peut entraîner un risque pour sa sécurité, son bien-être et sa santé mentale ou physique ». Et d’ajouter : « Les incivilités relèvent surtout de manquements aux règles du savoir-vivre et ces marques d’irrespect peuvent porter atteinte aux salariés sans pour autant constituer des infractions à la législation » .
Face à cette explosion des incivilités, les organisations professionnelles tentent de s’organiser, à l’image de l’Association française des banques (AFB) qui répertorie, quantifie et recense les incivilités, ce qui a d’ailleurs donné lieu à la signature d’un accord avec les partenaires sociaux. Ces derniers s’emparent de cette nouvelle tendance, qui commence à avoir des conséquences sur la qualité de vie au travail.
Évaluer la tendance est la première étape avant de mettre en place des mesures, c’est pourquoi de nombreuses initiatives sont créées telles que l’Observatoire national des violences en milieu de santé, ou encore l’observatoire des incivilités du bailleur RIVP (sous forme d’application mobile). Les pouvoirs publics s’en saisissent aussi à l’instar d’une formation lancée en novembre 2023 par Stanislas Guerini, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, à destination des agents au contact du public. « Conçue avec des agents, pour les agents, cette formation leur permet de prévenir les situations de violences, d’identifier les risques et les menaces, de connaître leurs droits et devoirs, de connaître les mots et les postures adaptées pour diminuer les tensions. Ma priorité absolue : ne jamais laisser les agents seuls face aux violences », explique-t-il.
Le commerce de détail est particulièrement touché par les incivilités comme tous les services en contact direct avec le public et plus particulièrement dans un contexte de dégradation économique et social. « Les incivilités ont explosé ces dernières années, notamment depuis la fin de la période du covid, comme on peut le voir chaque jour avec nos clients dans le secteur du commerce de détail, notamment un grand groupe de la distribution », explique Benjamin Langé, responsable du pôle écoute et soutien psychologique du cabinet Eléas. « Nous intervenons dans des situations qui sont déjà dégradées mais la tendance est bien là : une croissance exponentielle des cas d’incivilités », complète Tatiana Passave, psychologue du travail au sein du même cabinet.
Le développement des incivilités témoigne également d’une perte du respect et de la politesse élémentaire. « On constate une forte dégradation du niveau de respect, notamment en ce qui concerne les personnels en contact avec le public, par exemple la politesse devient plus rare. Faites le test en entrant dans un commerce, le « bonjour » est souvent perçu comme source d’inquiétude ou de suspicion », témoigne Frédéric Faudemer, responsable du club Défense tactique, spécialisé dans la formation contre ce type de situation. « Se faire porter pâle sans être malade est un premier exemple d’incivilité, un manque de respect pour le reste de l’équipe ou encore l’absence de politesse dans les commerces », ajoute Xavier Latournerie, président du cabinet de formation Scyfco. En outre, l’explosion du nombre d’incivilités ne fait pas de doutes même si les causes restent à définir.
Quelles en sont les causes et les conséquences ?
Les incivilités ne sont pas répréhensibles en tant que telles et sont donc en plein développement. Comment peut-on expliquer ce développement exponentiel ? Pour Xavier Latournerie, « les incivilités sont le fruit d’une autorité mal exercée, de l’égoïsme, de l’individualisme et un symptôme du délitement du lien social».
Parmi les facteurs endogènes de ces incivilités, il faut aussi noter l’importance de certains facteurs discriminatoires relevés par la Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques (DARES) : différences de sexe, d’état de santé, la couleur de peau, l’ethnie, l’origine, la nationalité, le style vestimentaire, l’âge, l’orientation sexuelle ou encore la profession.
Par ailleurs, le manque de dialogue peut expliquer un recours de plus en plus important aux incivilités. « Lorsque l’on ne parvient pas à mettre des mots sur les maux, c’est là que la situation commence à se dégrader», explique Xavier Latournerie.
Des facteurs exogènes viennent renforcer cette tendance. « Le contexte économique et social et l’accroissement de l’inflation accentuent cette tendance», s’accordent de concert, les deux intervenants du cabinet Eléas. « Il faut y ajouter un ras-le-bol de nature politique qui se répercute sur le personnel au contact du public », complète Benjamin Langé.
Les conséquences des incivilités sur les équipes peuvent s’observer de manière concrète alors que le code du travail indique que l’employeur est chargé d’assurer un cadre de travail sécurisé permettant aux salariés de réaliser leurs missions dans des conditions optimales. En cas de non-respect de ces dispositions, les salariés peuvent faire valoir leur droit de retrait à court terme, et en cas d’aggravation de la situation : démission, fatigue, absence, arrêt de travail peuvent se développer au sein de la structure.
Bien que les incivilités ne soient pas toujours répertoriées, elles ont tout de même des conséquences - trop souvent négligées - sur les individus. « Certains agents de caisse sont complètement usés », témoigne Benjamin Langé. « Au sein de notre pôle « écoute et soutien psychologique », nous sommes amenés à traiter des cas de difficultés mentales et même de syndromes post-traumatiques. »
Les façons d’y remédier : prévenir et guérir
Éviter les incivilités et toutes les conséquences attenantes, nécessite avant tout de former les équipes aux bons comportements, c’est la mission de Tatiana Passave du cabinet Eléas. « Il y a trois niveaux d’approche pour prévenir et éviter les situations d’incivilité: primaire avec un diagnostic des situations à risque potentiel, secondaire avec un outillage des équipes qui peut se traduire par de la formation et tertiaire avec la mise en place de processus de régulation de ces incivilités », indique-t-elle.
Intégrer la prévention des incivilités dans l’organisation est un enjeu essentiel pour les entreprises. « Il faut bien dissocier les incivilités d’origine externe, c’est-à-dire la relation avec les clients, et les incivilités internes à l’entreprise. Les deux ont des conséquences sur les risques psychosociaux pour les salariés et, pour s’en prémunir, l’entreprise doit engager une démarche de prévention globale intégrer dans la stratégie générale de l’entreprise », ajoute Tatiane Passave. Parmi le panel de salariés consultés, l’étude de la DARES révèle que 84,2% des salariés estiment que les comportements hostiles proviennent de leur propre structure, dans les activités de service, le chiffre tombe à 70%. Pour y remédier concrètement, « il convient de former le personnel et de mettre en place des processus spécifiques pour éviter l’aggravation des situations ». A titre d’exemple, le cabinet Eléas met justement cette pratique de la formation au sein son centre d’appel.
Sur le même modèle, Frédéric Faudemer forme plusieurs centaines de professionnels au sein de Défense tactique. « Lorsque j’ai créé le club en 2009, nous avions un total de 80-90 élèves. Quinze ans plus tard, en 2024, ce sont presque 400 élèves qui fréquentent le club chaque semaine et beaucoup ont des métiers au contact du public : ambulancier, infirmière libérale, membre des forces de l’ordre et bien sûr commerçants », détaille Frédéric Faudemer. « En plus des cours hebdomadaires, des stages sont régulièrement organisés et ceux qui connaissent le plus grand succès sont les stages de « self défense » ou les stages « Amazon training», spécialement dédiés aux femmes », qui sont en première ligne face aux incivilités. En effet, la DARES rappelle que, parmi les 29,5% de salariés qui déclarent avoir été victimes d’hostilité dans le cadre de leur travail, 10,1% d’entre eux estiment que c’est en raison de leur sexe.
La formation à elle seule ne suffit pas, lorsque les incivilités surviennent il faut apporter un recours a posteriori afin de minimiser les conséquences à moyen et à long terme. « Le développement des incivilités engendre une insécurité en interne. Par exemple nous avons eu le cas d’un braquage à arme blanche dans un supermarché, c’est le genre d’actes qui se répètent et qui étaient auparavant circonscrits à des criminels organisés », partage Benjamin Langé. « Le meilleur moyen d’anticiper et d’éviter les incivilités est le recours à la formation comme peut le faire le cabinet Scyfco, en s’appuyant sur l’expérience militaire. Grâce à la « formation expérientielle grandeur nature », les personnes formées sont mises en situation réelle, peuvent analyser les faits tels qu’ils se sont passés avant d’apprendre à adopter les bons gestes », confirme Xavier Latournerie.
Une autre solution ? Régler les conflits par le dialogue.
D’abord le dialogue avec les clients : essayer de discuter, d’échanger pour désamorcer le conflit mais également dialoguer en interne entre collaborateurs et avec la hiérarchie pour apprendre à se prémunir en amont. « Scfyco tente de transmettre aux responsables civils qu’il forme, des valeurs de responsabilité, de dialogue et de courage managérial », clame Xavier Latournerie. « Ne vous privez pas de débat car c’est ce qui nourrit notre pensée et la fait grandir », à l’attention des chefs d’équipe et afin de remédier à une cause majeure d’incivilités.
En aval, les structures peuvent aussi mettre en place un dispositif de signalement en cas d’incivilité constatée ou répétée et facilement accessible pour les collaborateurs. « La clientèle ne doit pas rester un angle mort, toute incivilité doit être recensée, évaluée et traitée comme telle », alerte Benjamin Langé.
D’autres mesures complémentaires peuvent aussi être envisagées à l’instar de la mise en place de matériel dissuasif tels que des caméras ou des dispositifs matériels de protection des hôtesses de caisse.
De même, dans un contexte de développement accru des incivilités, le manager joue un rôle majeur dans la résolution de celle-ci en tant que cheville ouvrière de la structure : en contact avec les équipes sur le terrain, il est aussi le canal privilégié pour faire remonter toute incivilité à la direction.
Formation, dissuasion, dialogue, entrainement : les recours contre les incivilités sont nombreux. La première erreur est de ne pas s’y préparer ou de nier le danger qui vient. Découvrez ci-après* les organismes de formation spécialisés, leur mode d'intervention, le coût de de leurs stages et les résultats obtenus. Ex-policiers de la BRI, anciens des forces spéciales adeptes de Krav Maga côtoient des spécialistes de psychologie ou de la négociation, venus du Raid.
*Liste disponible dans les Cahiers de l'Expérience Client, numéro 9.
Simon Douaglin et la rédaction d'En-Contact.