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Hubert de Torcy, distributeur de films pieux aux succès ...unplanned

Publié le 12 mai 2023 à 10:02 par Magazine En-Contact
Hubert de Torcy, distributeur de films pieux aux succès ...unplanned

Distributeur de films et désormais producteur au cinéma, Hubert de Torcy, ex-cadre dans l’industrie automobile, est devenu le spécialiste français de la Faith Production. Son parcours, les récents succès des films que Saje a distribués en salles de cinéma, sa collaboration avec un certain Gad Elmaleh ont un point commun: tous étaient… unplanned ! Quelques jours avant le Festival de Cannes, entretien avec l'un de ceux qui renouvellent l'expérience cinémas, en salles ou dans des lieux improbables. Grâce aux films, à l'ouverture de nouveaux canaux d'accès aux spectateurs. Et si l'important était la rencontre avec le public ?

Il y a un peu moins de dix ans, God’s Not Dead (Dieu n’est pas mort), produit pour deux millions de dollars, une bricole aux Etats-Unis, engrangeait 65 millions de dollars. L’idée avait germé : oui, on pouvait toucher le jackpot avec un cinéma qui s’adressait à un public spécifiquement chrétien. En 2012, Hubert de Torcy, qui avait flairé la tendance préfigurée par La Passion du Christ de Mel Gibson, créait SAJE, spécialisée dans la distribution de films chrétiens et catholiques. L’homme derrière la distribution de Reste un Peu de Gad Elmaleh, Vaincre ou Mourir, qui a fait les choux gras de la presse et dépassé les 300 000 entrées, c’est lui. Alors, le faith based movie, vraie tendance transposable au marché français ou doux rêve ? L’expert français en la matière répond.

Hubert de Torcy © Edouard Jacquinet

La co-distribution de Vaincre ou Mourir

Hubert de Torcy : C’est une co-distribution avec StudioCanal à 50-50. C’est-à-dire qu’on prend le risque sur les dépenses qu’on effectue pour sortir le film. Si jamais le point mort n’est pas atteint, nous partageons les pertes. En revanche, si on le dépasse, ce qui a été le cas, on partage les recettes. Pour la distribution en salles, nous sommes les seuls interlocuteurs, afin de rendre les échanges plus simples. Nous avons déployé notre expertise par rapport à l’amont de la sortie, la mobilisation du public, l’organisation des avant-premières. StudioCanal nous a également aidés à diffuser dans les bonnes salles, à trouver les bons arguments vis-à-vis de celles-ci, à acheter de l’espace dans des médias où nous n’avons pas forcément nos habitudes. Jusqu’à présent, nous n’étions pas sur des films aussi grand public que celui-ci.

Nos dernières sorties

Hubert de Torcy : « Nos trois dernières sorties en tant que distributeur se sont vraiment enchaînées. D’abord, il y a eu début novembre un documentaire-fiction polonais intitulé Entre Ciel et Terre, qui visait un public très spécifique, très catholique même, avec un questionnement sur les fins dernières : le paradis, l’enfer, le purgatoire. On sait qu’une sortie en salles pour un film pareil va être compliquée. Notre stratégie est de demander trois séances aux salles. Puis on essaie de mobiliser à fond notre public en amont pour qu’il soit présent à l’une de ces trois séances. Sur ce film-là, une centaine de salles a accepté le deal, et on a fait 15 000 entrées environ. Contre toute attente, le film a été un très gros succès compte tenu du petit nombre de salles où il était diffusé.

On n’a vraiment que trois séances pour gagner, et c’est à notre public de s’adapter car nous allons rarement investir les créneaux les plus recherchés. Ensuite, nous avons sorti une comédie espagnole de Noël qui s’appelle Ce Ne sera pas notre dernier Noël qui a été un échec. Tous les blockbusters de Noël sortent en même temps ; c’est la pire période pour sortir un film. Et de fait, le nombre de copies était tellement dérisoire que le film a dû faire 4000 entrées avant de très vite disparaître des radars. Et enfin donc Vaincre ou Mourir, dont la sortie a été précédée en décembre d’une série d’avant-premières, qui a atteint plus de 250 000 entrées, et continue d’être à l’affiche. C’était une sortie plus complexe, car il s’agissait du premier film produit par le Puy du Fou, relatant un épisode méconnu de l’histoire de l’histoire de France, à part peut-être des catholiques. Les salles ont cru que la sortie serait très localisée, à la Vendée par exemple. Le film leur semblait s’adresser à une niche et c’est la raison pour laquelle StudioCanal, sollicité par le Puy du Fou, s’est tourné vers nous. Ce n’était pas naturellement un film pour SAJE, c’est-à-dire un film d’essence vraiment chrétienne. Charrette n’est pas le plus saint ou le plus pieux des généraux vendéens. Mais nous avons été sollicités pour notre capacité à toucher une niche et à la travailler, à faire de l’événementiel. Ce sont ces SAJE Events que j’évoquais, la capacité à rassembler beaucoup de monde sur une séance unique. Une part importante du travail a été d’organiser un gros événement un mois et demi avant la sortie en salles partout en France pour prouver aux salles de cinéma que le film n’allait pas intéresser que les Vendéens et avait une portée beaucoup plus large. Le 8 décembre, nous avons réalisé 25 000 entrées sur un peu plus de 150 salles. Ce jour-là, nous étions numéro un du box-office, ce qui nous a valu une sortie plus classique, sur tout le territoire à partir du 25 janvier, même si elle ne s’est pas faite sans remous. »

Le moins qu’on puisse dire, c’est que les critiques du Nouvel Obs et de Libération n’ont pas aimé le film. Après le titre ironique de Libération, Xavier Leherpeur, le critique du Nouvel Observateur enfonce le clou : « Mourir plutôt que de revoir un jour ce nanar historique (...) Les moyens ne manquent pas mais ils sont impuissants à sauver le film de sa mélasse scénaristique (...) Quant à la mise en scène, signée à quatre mains, elle est inerte (...) Très peu de cinéma, beaucoup de bruit et de fureur prosélyte, le tout saupoudré d’un message chrétien lourdement asséné. » Il y avait longtemps qu’un film, jugé mauvais par certains critiques, ne l’avait été à ce point qu’il déclenche des scuds si vigoureux. La campagne a semble-t-il créé comme un cordon sanitaire autour de l’objet filmique, qui a “performé” plus qu’attendu, du point de vue des entrées en salles. Dans la série des enquêtes historiques sur des sujets liés à la chrétienté, on a pour notre part bien plus apprécié Jésus l’enquête.

Vaincre ou mourir : une polémique imprévue

Hubert de Torcy : « Certains diront que je suis naïf, mais je n’avais pas vu venir cette polémique. On parlait du film depuis des mois : il avait été présenté à tous les distributeurs et tous les exploitants de salles de cinéma. À Deauville, on avait fait monter l’équipe du film sur le podium, etc. Rien ne nous faisait penser qu’il puisse y avoir un sujet de polémique, que je considère d’ailleurs particulièrement injuste. Le film a été accusé, sans argument, de ne pas respecter l’histoire, la critique reprenant un mantra lancé par un historien anti-Puy du Fou. Depuis, quelques articles écrits par de vraies sommités ont rétabli une certaine vérité historique dont le film témoigne. Ensuite, les journaux aiment la politisation du débat et les raccourcis qui vont avec. Cela nous a un peu embarrassés car SAJE Distribution n’est pas du tout sur une ligne politique et nous nous concentrons sur le religieux. Nous avons été pris dans un maëlstrom que nous n’avions pas anticipé, sur un sujet qui date d’il y a deux siècles. Et il y a eu un effet Streisand. La critique s’est retournée contre les critiques, de EcranLarge à Libé, qui a consacré cinq pages au film, en mettant le film en lumière, de façon purement idéologique et politique, et en lui conférant une couverture médiatique inespérée. Une partie du public, qui se serait mobilisée dans un temps plus long, a été plus immédiatement réactive, et la curiosité d’autres spectateurs a été éveillée de la sorte. »

Unplanned : une polémique attendue

Hubert de Torcy : « A l’inverse, on s’attendait à ce que la sortie d’Unplanned entraîne des polémiques, car il y a un tabou sur la question de l’avortement en France. C’est la raison pour laquelle nous savions qu’il aurait été complètement contre productif de le sortir en salles. On avait vu ce qui s’était passé aux Etats-Unis, ou au Canada, où il y avait eu des manifestations devant les salles, lesquelles avaient décidé finalement de ne pas le sortir. Les salles en France n’auraient de toute façon pas pris le film.

Gad Elmaleh filme « Reste Un Peu » © Laura Gilli

La polémique finalement a bien eu lieu, un an après la sortie du DVD de façon cocasse, lorsqu’il a été diffusé sur C8. Nous avons alors bénéficié d’une couverture presse incroyable, sans que jamais l’idée de profiter d’une éventuelle polémique ne nous ait traversés l’esprit. Dans un cas pareil, nous nous retrouvons au milieu de réactions d’agression venant des deux côtés de la barrière idéologique. Dun côté il peut y avoir des activistes d’ultra-gauche qui intimident des salles de cinéma dans l’éventualité où elles sortiraient un film, de l’autre, des spectateurs persuadés, en raison de tout ce qui a pu être dit dans les médias contre le film, qu’il y a un boycott systématique organisé par les salles de cinéma, qui s’en prennent par téléphone ou par mail à ces salles. Alors qu’il y a une multitude de raisons pour lesquelles une salle de cinéma ne sort pas un film : n’oublions pas qu’il y a plus d’une quinzaine de nouveautés par semaine ! La programmation est un art difficile et nous nous retrouvons en plein milieu du tir. Même si c’est bon pour le box-office, cela peut laisser de mauvais souvenirs pour une salle de cinéma. Mais pour Vaincre ou Mourir, les choses se sont apaisées. Les gens ont vu qu’il n’y avait pas de boycott et les salles ont joué vraiment le jeu. À partir du moment où le film avait notamment une moyenne par copie supérieure aux autres films, ils ont gardé le film et celui-ci est monté jusqu’à 250 000. On espère monter jusqu’à 300 000. (L’objectif a depuis été atteint.) »

Travailler avec Gad Elmaleh

Hubert de Torcy : « Nous avons une autre casquette de conseil ou d’agence, pour le compte d’un distributeur, comme pour le film de Gad Elmaleh, Reste un Peu, pour le compte de StudioCanal. Le film a réalisé presque 500 000 entrées. Nous étions dans notre cible et les thématiques qui nous sont chères. Et on a eu la chance de bénéficier d’une implication et d’un investissement de Gad Elmaleh hors normes. Il a fait quasiment tous les titres de presse, toutes les unes des journaux chrétiens. S’est-il converti comme se le sont demandé des lecteurs de cette presse ? Gad est sur une ligne de crête, il montre qu’il est curieux de ce que propose l’Église et réellement attaché à la Vierge Marie, avec laquelle il a fait une sorte de rencontre mystique. C’est un coming-out spirituel mais on ne devient pas chrétien parce qu’on aime la Vierge Marie. »

Propos recueillis par Benoit Hocquet et Manuel Jacquinet.

La suite dans le magazine EN-CONTACT #128

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