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Démarchage téléphonique: le gouvernement a relancé secrètement la piste de son interdiction globale, sauf opt-in

Publié le 02 septembre 2024 à 04:00 par Magazine En-Contact
Démarchage téléphonique: le gouvernement a relancé secrètement la piste de son interdiction globale, sauf opt-in

Presque soixante-dix ans après sa "création” et son déploiement massif dans de nombreux secteurs, le démarchage téléphonique, la téléprospection en appels sortants est en fin de vie. Le gouvernement français s'est même réuni en secret au printemps pour envisager la mise en place de l'opt-in. 

Pauline Binelli, Pierre Weinstadt, Lounis Goudjil, Kilian Le Menestrel, Salomon Cohen, David Naccache, Frédéric Szakal, Charles-Emmanuel Berc, Anthony Dinis.. quels sont les spécialistes français à connaitre pour s'adapter à cette nouvelle donne ? Car la vente à distance et la prise de rendez-vous sont encore des canaux d'acquisition de nouveaux client très pertinents.

La quasi-totalité de ceux-ci seront présents, du 23 au 25/09, à la Baule, pour la 12ème édition du Forum de l'Expérience Client. Deux journées consacrées à la problématique majeure en 2024 et 2025 : Acquérir et fidéliser, la clé du repeat business. Chaque conversation est un penalty ! 

Pauline Binelli, directrice juridique chez hipto, dont la mission est de veiller à ce que les leads intentionnistes soient juridiquement conformes. 

Il y a un peu moins de soixante-dix ans, en 1967, la première campagne massive de démarchage téléphonique, menée aux Etats-Unis, permit à un constructeur automobile, Ford, de générer 187 000 leads chauds (des opportunités de vente confirmées) et de réaliser 24 millions de dollars de ventes additionnelles dans son réseau. 15 000 femmes avaient été enrôlées, à leur domicile, pour émettre des millions d'appels sur quinze jours. Automobile, assurances, associations caritatives, panneaux solaires, tous les secteurs introduisent dès les années 90 le phoning comme dispositif clé dans leurs process d'acquisition de nouveaux clients. 

Dans le monde et en France, on ne décroche plus les appels affichant des numéros inconnus
Et pourtant, la téléprospection, le démarchage téléphonique est en train de cheminer vers une mort certaine, partout dans le monde. Pourquoi, qui sont ses fossoyeurs: les do not call lists (les listes d’opposition) telle Bloctel en France,  les automates d’appels ou, plus décisive encore, la joignabilité très faible désormais des prospects, qui en compromet l’équilibre économique? The reflex of answering, picking the phone- built so deeply into people who grew up in the 20th century telephonic culture is gone comme l'écrit avec justesse Alexis. C. Madrigal dans The Atlantic, en mai 2018.  ( Why no one answers their phone anymore). 

En France, la difficile régulation et un serpent de mer:  l'interdiction, le passage à l'opt-in  

Printemps 2024, au Ministère d’Olivia Grégoire, la tenue d'une réunion pour “trucider” définitivement le démarchage téléphonique. Il y a quelques semaines, un conseiller de la Ministre Olivia Grégoire convoquait le MEDEF et le SP2C, le syndicat des grands prestataires de centres de contacts, mais pas  les autres acteurs impliqués, pour discuter du passage au consentement préalable généralisé. Une révolution pour le démarchage téléphonique en France qui serait ainsi passé de l’opt-out à l’opt-in. La phrase d’introduction prononcée par le conseiller de la Ministre a été éloquente: “ nous voulons faire disparaitre le démarchage téléphonique”. 

Que s’est-il passé lors de ces réunions de printemps ? La rentrée et le nouveau gouvernement se saisiront-ils de ce chantier brûlant ? Le point sur les dernières actualités avec Pierre Weinstadt, avocat au barreau de Paris, précédemment Directeur Juridique de la Fédération de la Vente Directe (FVD). 

Pas un jour ne s’achève sans une actualité sur le démarchage téléphonique, cette forme de prospection commerciale qui concentre les innovations, les frustrations, les mises en garde, les conseils et les sanctions. Dernièrement on apprenait que  « la société SAGA CONSEIL est sanctionnée d’une amende administrative de 300 000 €, notamment pour non-respect de l’interdiction de démarchage téléphonique dans le secteur de la rénovation énergétique » (posté le 12 juillet 2024 sur le site de la DGCCRF).

En-Contact: Le démarchage téléphonique est un secteur ultra encadré avec des sanctions, sur le papier, très élevées (chaque appel jugé illégal par l’Administration est passible d'une amende administrative pouvant aller jusqu’à 375 000 € : article L242-16 du code de la consommation). L’arsenal législatif (décret heures, jours & fréquence ; règles ARCEP, etc.) a-t-il l’effet dissuasif escompté ? 
Pierre Weinstadt : Difficile de le savoir car les chiffres remontés par l’Administration sont très imprécis. Ainsi, dans son bilan d’activité 2023, la DGCCRF pointe 27.970 « signalements » de consommateurs à propos de litiges via le téléphone mais sans préciser si ces plaintes concernent le démarchage téléphonique proprement dit (exemple : un consommateur appelé en dehors des heures réglementaires) ou l’objet des ventes par ce canal de vente (exemple : une réclamation au sujet du défaut d’un appareil vendu par téléphone), ce qui n’est pas du tout la même chose. Pas davantage de précision dans le « Bilan annuel du baromètre des réclamations et des signalements des consommateurs » publié par la DGCCRF. Les faiblesses de son outil de saisie des plaintes des consommateurs empêchent l’Administration de distinguer dans son Bilan annuel les réclamations provenant du démarchage à domicile de celles dues à la prospection téléphonique. Même combinés, les chiffres de ces plaintes sont infimes par rapport au nombre total (63.158) de réclamations pour 2022, la dernière année disponible :

SecteurNombre de réclamations en 2022 provenant du démarchage à domicile ou téléphonique
Pompes à chaleur                      191
Panneaux solaires                      142
Fourniture d’électricité                      157
Rénovation                      175

Source : Bilan annuel 2022 du baromètre des réclamations et des signalements des consommateurs, DGCCRF, p. 6/23

On trouve aussi dans ce bilan DGCCRF 2022 les informations suivantes :
-Répartition des réclamations des consommateurs par méthode de vente : en 2022, les réclamations faisant suite à des achats en magasin et à distance sur Internet représentent 3/5ème du total tandis que celles provenant du « démarchage » (5.539 contre 5.085 en 2021) représente 9% du total (63.158).

-La plateforme SignalConso, lancée en 2020, permet aux consommateurs de signaler leurs problèmes à l’entreprise concernée et à l’administration sur un site dédié. En 2022, selon la DGCCRF, SignalConso a recueilli 204.145 signalements. Pour analyser ce chiffre, l’Administration a créé dans son Bilan annuel de curieuses entrées (appelées « catégories ») : presque toutes décrivent un secteur (exemples : la santé, les animaux, l’immobilier, etc.)  mais on trouve aussi une catégorie intitulée « démarchage abusif » (qui, là encore, ne distingue pas entre la prospection à domicile et téléphonique). Le nombre de signalements pour cette catégorie en 2022 est de 47.624 contre 47.773 en 2021 (Bilan annuel 2022, p. 10/23).

Pierre Weinstadt

Bref, il est difficile de connaître les effets des durcissements légaux sur ce canal de vente. En parallèle, les associations de consommateurs (en particulier l’UFC-Que Choisir) décrivent toujours cette méthode de vente comme un « fléau » : « le harcèlement téléphonique sur fixes mais aussi mobiles continue d’exaspérer 9 Français sur 10 » 

EC: En admettant que la situation ne se soit pas améliorée, le Gouvernement envisage-t-il d’autres mesures ?
PW : Il y a quelques semaines, un Conseiller de la Ministre Olivia Grégoire (Ministre déléguée chargée notamment de la Consommation) a fait part au MEDEF et au SP2C ( à ma connaissance les associations de consommateurs n’avaient pas été conviées) d’une piste de réflexion qui constituerait un changement radical en France : le consentement préalable généralisé pour appeler les prospects. Ce serait donc le passage du système actuel de l’opt out à celui de l’opt in quel que soit le secteur économique. Aujourd’hui seule la « rénovation énergétique » connaît un tel régime du fait d’une tolérance administrative (et non de la loi).  Cette situation, propre à la rénovation énergétique, a aussi été validée par les tribunaux. Les appels en lien avec le compte personnel de formation font quant à eux l’objet d’une interdiction absolue.  

Le consentement préalable généralisé aurait le mérite d’éviter la discrimination entre d’une part la prospection téléphonique et d’autre part les campagnes commerciales au moyen de systèmes automatisés de communications électroniques ou de courriers électroniques (SMS, courriels, etc.) qui nécessitent l’accord préalable des prospects (article L34-5 du Code des postes et des communications électroniques). Un autre avantage du passage à l’opt-in serait la disparition du système BLOCTEL, une bonne nouvelle pour ceux qui critiquent son coût et son inefficacité.

À l’occasion des échanges entre le MEDEF/SP2C et le Conseiller de la Ministre, celui-ci a aussi évoqué une libéralisation des appels vers les clients. En d’autres termes, l’idée du « cross-selling » (ou ventes croisées) défendue depuis 2018 par treize organisations professionnelles pourrait se développer (cette idée figure déjà en pages 26-27 du 1er Rapport officiel en France sur le démarchage téléphonique, celui émis par le Conseil National de la Consommation en 2019 (Il s’agirait de permettre à une entreprise d’appeler ses clients pour leur proposer ses autres produits et services même s’ils n’ont pas de rapport avec ceux qui ont déjà été vendus aux clients ainsi appelés. En résumé, plus d’encadrement pour les appels vers les prospects mais plus de facilités pour ceux vers les clients. 

EC: Quel a été le résultat de ces discussions ?
PW : On a pu constater une opposition franche du MEDEF et du SP2C dont certains adhérents (les assureurs, les banques, les centres d’appel externes, etc.) pratiquent encore les appels à froid. Ils ont également fait valoir que le consentement préalable était source de discrimination entre les grands opérateurs, capables de dépenser pour du lead ou de la pub, et les PME-TPE. Apparemment, la piste de l’opt-in a été abandonnée ou du moins “mise au frigo” par le cabinet.

EC: Cela ne fait pas les affaires du secteur des spécialistes des leads intentionnistes ?
PW : Effectivement. Au demeurant, on constate que des secteurs comme celui des assurances ou de la fibre achètent du lead chaud alors qu’ils pourraient appeler des prospects sans avoir obtenu leur accord préalable. Les taux de transformation avec des leads étant, semble-t-il, bien meilleurs que via l’appel à froid, on peut s’étonner de la résistance du MEDEF/SP2C au passage à l’ opt-in.

Un réunion du SP2C

Le secteur de la génération de leads ne doit-il pas lui aussi être plus encadré et donc aller au-delà du simple respect du RGPD et de l’obtention d’un consentement préalable, libre, spécifique et informé ?
PW : Bien sûr. Une régulation (et autorégulation) seraient d’autant plus indispensables si le consentement préalable en prospection téléphonique devait se généraliser car tous les secteurs feraient appel aux leads. Pour éviter de tomber dans les difficultés à l’origine de la « sur législation » en matière téléphonique (exemple : l’interdiction d’appeler en rénovation énergétique ou pour le CPF), les entreprises vendant du lead pourraient proposer dès à présent de faire l’objet d’une affiliation obligatoire (comme les courtiers d’assurances), d’un label, du respect d’une charte de bonnes pratiques, de formations imposées, etc. Même avant le passage éventuel à l’opt in, le chantier de l’encadrement du secteur du lead pourrait être lancé. D’autant que ce secteur est sous le feu des projecteurs, la CNIL ayant sanctionné récemment des sociétés comme Tagadamedia (75.000 €), HUBSIDE.STORE (525.000 €), FORIOU (310.000 €).

À la rentrée, après la mise en place des nouvelles équipes au sein des ministères, rien n’empêchera les acteurs concernés de relancer la piste de l’opt-in, couplée avec la mise en place d’un contrôle des entreprises du lead. Cela nécessiterait une loi. Les parlementaires étant plutôt opposés au démarchage téléphonique, l’abandon de l’opt-out pour les prospects pourrait recevoir un accueil favorable, surtout si la DGCCRF et les associations de consommateurs devaient soutenir cette démarche. 

EC: Qu’en est-il de la bataille judiciaire pour faire tomber la prohibition des appels en rénovation énergétique, indépendamment de la tolérance administrative du consentement préalable dans ce domaine qui a été obtenu de haute lutte?
PW: Cette interdiction présente un double écueil : la non-conformité de la disposition légale concernée (l’article L223-1, alinéa 3 du code de la consommation) à la Constitution française et au droit européen. S’agissant de la Constitution (et donc de la conformité de cette interdiction aux principes d’égalité et de la liberté d’entreprendre), le tribunal administratif de Rennes avait estimé (décision de 2022) qu’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) méritait d’être posée à ce sujet au Conseil Constitutionnel. Malheureusement, le Conseil d’État (qui agit comme un filtre avant le passage au Conseil Constitutionnel) a jugé (décision du 5 janvier 2023) que la QPC n’était pas sérieuse. La question de l’inégalité de traitement du secteur de la rénovation énergétique n’a donc pas été examinée. Quant à la violation du droit européen, deux tribunaux administratifs (Rennes et Nîmes) ont considéré que l’interdiction ne posait pas de problème alors même que la directive européenne concernée empêche l’interdiction pure et simple ou absolue d’appeler des consommateurs. Dans l’affaire jugée à Rennes (décision du 15 mai 2024), l’entreprise vient de faire appel. C'est une affaire à suivre, d’autant que d’autres recours vont être déposés.

Signalons que si l’administration émet un titre de perception pour être payée, il existe un moyen de suspendre le recouvrement pendant toute la durée de la procédure.

Histoire du démarchage téléphonique et de ses vertus. 

“Ne quittez pas un correspondant cherche à vous joindre. Histoire déclin et vertus du démarchage téléphonique”  
Auteur d'un livre qui sortira en Octobre 2024, Manuel Jacquinet y raconte les folles histoires et campagnes qui ont marqué l'irruption et l'essor incroyable du phoning, du démarchage téléphonique: "La première campagne dont on a une trace faisait déjà travailler des agents à domicile, en l'occurrence 15 000 femmes, aux USA. Qui ont passé des millions d'appels non pas pour générer des ventes mais pour qualifier des opportunités de vente, ce qu'on appelle désormais des leads. La génération de leads est un métier presque aussi ancien que le démarchage téléphonique. Elle en est probablement l'avenir également, comme le démontrent par exemple le développement de sociétés spécialisées telle hipto, le nouveau virage qu'a pris le fondateur de Vocalcom, Anthony Dinis, avec Opportunity, la transformation globale de son entreprise qu'opère actuellement un des meilleurs spécialistes francophones, Charles-Emmanuel Berc. (Vipp-Interstis). Tous ces acteurs ont compris qu'on va continuer à nouer des relations par téléphone, qui vont amener à des ventes mais différemment. Et qu'une ré-orientation majeure doit être opérée des budgets massifs consacrés à l'acquisition ( Google, SEA, téléprospection) vers la satisfaction, qui procède désormais de l'expérience vécue. 

Que Free (Iliad) me sollicite encore trois fois par semaine, alors que je suis déjà client et plutôt satisfait de leur offre pro, c'est une vraie  blague. Lorsque TotalEnergies m'envoie des huissiers parce que la digitalisation de leurs processus est lacunaire, également: notre entreprise a réglé sa facture, dans les délais, mais leur système d'information ne l'a pas encore enregistré. Rome ne s'est pas faite en un jour mais ces exemples sont représentatifs de la limite des dispositifs commerciaux.   

Parallèlement, les histoires comme celle du CDG, le Civic Development Group, qui débute dans les années 90 dans les Appalaches, montrent que très vite, des “bandits” ou des entrepreneurs malins ont compris l'intérêt du démarchage et des call-centers. Qu'ils ont assez vite franchi la ligne jaune. Les fondateurs du CDG enrôlaient, sur leurs plateformes situées dans des régions frappées par le chômage, des repris de justice, des jeunes de quinze ans pour les faire appeler des citoyens au motif d'actions caritatives pour le compte d'une obscure association de soutien à la police, la FOP. Un seul focus : les fichiers et le script, dans lequel chaque mot était pesé. Les pratiques et l'entreprise ont duré plus de vingt ans ! La série Telemarketers sur HBO Max raconte ceci et c'est fascinant. (visuel de une de l'article) 

La génération de leads et la prise de rendez-vous en appels entrants, ou via des rappels programmés, souvent sur WhatsApp.

Le Groupe Verlaine, leader des panneaux solaires en France et de la rénovation énergétique, ne pratique pas le démarchage téléphonique mais reçoit plus de 7000 appels de prospects par mois, grâce notamment à des spots TV et un nouveau type de campagnes RCS. Il a installé plus de 70 agences et points de vente en France. 

Proximité, retour des boutiques, au sein desquelles on peut rentrer, engager la conversation, résoudre un souci d'installation, la stratégie qu'a choisie l'équipe de direction du Goupe Verlaine s'avère moderne et adaptée. 97 millions d'euros de CA, en 2023, +400% de croissance par rapport à 2022. 

Installation de photovoltaïque chez un client du groupe Verlaine, dirigé par David Naccache/ Crédit Edouard Jacquinet.  

 

La rédaction d'En-Contact.  

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