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Burger King miniaturise ses burgers pour mieux les multiplier : première mondiale ou nouvelle offensive de la surconsommation industrielle?

Publié le 08 juillet 2025 à 14:30 par Magazine En-Contact
Burger King miniaturise ses burgers pour mieux les multiplier : première mondiale ou nouvelle offensive de la surconsommation industrielle?

Pour la première fois au monde, Burger King lance en France des « baby burgers » à partager. Derrière cette opération estivale, une stratégie bien rodée : faire consommer plus, sous couvert de convivialité. Analyse d’une fausse (?) innovation au service de la surconsommation industrielle.

Burger King innove. Ou plutôt, Burger King adapte, fragmente, reconditionne. À partir du 8 juillet et pour tout l’été, l’enseigne de fast-food lance, en première mondiale, une nouvelle offre présentée comme « conviviale » : des baby burgers à partager, vendus par trois ou par neuf, dans l’ensemble de ses 578 restaurants en France. Une stratégie d'apparence ludique et bon enfant qui s’inscrit pourtant dans une logique plus profonde – et plus préoccupante penseront certains : celle de l’hyper-industrialisation de l’alimentation, du marketing de la répétition, et de l’incitation constante à consommer toujours plus, toujours plus souvent, toujours en groupe.

Sous des dehors festifs, l’initiative de Burger King dit beaucoup du modèle économique et culturel d’une restauration rapide en quête perpétuelle de renouvellement. Et elle soulève, plus largement, des questions sur les limites d’un système où la convivialité semble se conjuguer uniquement avec gras, sucre et produits ultra-transformés.

Des mini-burgers pour un plaisir démultiplié ?
Les « baby burgers » sont proposés en boîtes de trois (9,90 €) ou de neuf (24,90 €), reprenant les recettes emblématiques de l’enseigne – Whopper, Steakhouse et Big King – dans une version légèrement réduite (9 cm de diamètre). Burger King promet une taille qui reste généreuse, pour ne pas "trop miniaturiser" l'expérience. À travers cette offre, la marque ne vend pas simplement des burgers plus petits : elle vend le droit d’en manger plusieurs d’un coup, sans culpabilité apparente. En camouflant l’abondance sous la forme du partage, Burger King fait glisser son client dans une consommation démultipliée, en apparence légère et festive, mais qui participe en réalité d’une stratégie commerciale vieille comme le monde : augmenter la fréquence des actes de consommation, et donc le chiffre d’affaires, sans en avoir l’air.

L’appétence française pour le “sharing” : alibi marketing ou tendance réelle ?
La directrice marketing de Burger King France, Alexandra Laviolette, justifie le lancement par une observation comportementale : « Nous nous sommes inspirés de l’appétence des Français pour le sharing. » Le mot est lâché, anglicisé, tendance : sharing. Le partage devient ici l’argument central d’une campagne qui, au fond, incite surtout à acheter plus.

Certes, il est vrai que les habitudes alimentaires évoluent vers davantage de repas en commun, d’assiettes à partager, de formules conviviales. Mais cette tendance – bien réelle dans certains segments de la restauration – est ici instrumentalisée dans un cadre purement industriel : les burgers ne sont pas plus sains, plus frais ou plus solidaires, ils sont simplement plus nombreux, dans une boîte qui évoque autant le fast-food que le plateau télé, la fête entre amis que la boulimie silencieuse.

Alexandra Laviolette, directrice marketing de Burger King France ©DR

Le “sharing” devient alors un prétexte pour brouiller la frontière entre plaisir et excès, entre liberté de consommer et injonction commerciale à “tester plusieurs goûts”, “profiter du format”, “découvrir la marque autrement”. Ce n’est plus seulement un moment de sociabilité : c’est une stratégie de vente.

Un système qui pousse à la surconsommation
Il ne faut pas s’y tromper. L’innovation apparente des baby burgers ne change rien au fond du modèle économique de la restauration rapide : un système fondé sur l’optimisation industrielle, le faible coût des matières premières, et la mécanisation du goût. Si le format change, la logique reste la même : vendre des produits caloriques, riches en gras, en sel, en sucres cachés, conçus pour susciter l’envie de “reprendre une bouchée”, puis une autre, sans véritable satiété.

Ce type de produit s’intègre parfaitement dans une stratégie commerciale d’addiction douce : offrir suffisamment de variété pour éviter l’ennui, mais assez de standardisation pour garder un coût maîtrisé. Les recettes – Whopper, Big King, Steakhouse – sont connues, calibrées, reproductibles à l’infini. L’idée n’est pas de surprendre le palais, mais d’activer une mémoire sensorielle, presque pavlovienne.

Et cela fonctionne ! Car dans un monde où le temps manque, où les revenus stagnent et où les écrans nous isolent, le fast-food reste l’une des rares formes de “plaisir accessible” que le capitalisme contemporain sait encore produire. D’où son succès. Et d’où aussi son impact.

Le groupe Bertrand : artisan du retour industriel de Burger King en France
Derrière cette opération se trouve le groupe Bertrand, mastodonte discret de la restauration française. Propriétaire de chaînes comme Hippopotamus, Léon de Bruxelles ou Au Bureau, il est également l’architecte du retour de Burger King en France en 2013, après quinze ans d'absence.

Avec un flair commercial certain, le groupe a misé sur un positionnement légèrement plus “premium” que McDonald’s, jouant la carte de l’humour dans sa communication, de la provocation calculée dans ses campagnes, et de la variété dans ses menus. Mais sous cette image de “fast-food cool”, le modèle reste résolument industriel, fondé sur des économies d’échelle, des produits standardisés, une logistique de masse.

Olivier Bertrand contrôle plus d’un millier de restaurants en France (avec un CA de 3 milliards estimé en 2023) ©DR

Le lancement des baby burgers s’inscrit dans cette même dynamique : multiplier les points de contact avec les consommateurs, tout en maintenant des coûts de production bas. Une innovation de forme, mais certainement pas de fond.

La nourriture industrielle : une standardisation du goût et de l’expérience
Ce que propose Burger King n’est pas simplement un nouveau produit : c’est une nouvelle itération d’un système bien rodé, celui de la nourriture ultra-transformée, conçue pour l’efficacité plutôt que pour la qualité. Les baby burgers sont préparés avec les mêmes ingrédients que leurs versions classiques : pain industriel, viande standardisée, sauces enrichies en additifs, etc.

La promesse de variété (trois recettes en une boîte) masque mal le fait que le goût est uniformisé, les textures sont mécaniques, et l’expérience sensorielle réduite à un script. C’est tout le paradoxe du fast-food moderne : il multiplie les recettes sans jamais vraiment diversifier les saveurs. On croit tester, en réalité on répète.

À cela s’ajoute la question de l’impact environnemental de cette industrie : multiplication des emballages jetables, importation massive de matières premières, élevage intensif… Autant de coûts externes invisibles dans le prix d’un menu à 11,90 €, mais bien réels pour la planète.

La livraison, nouveau théâtre de la guerre alimentaire
Le modèle du fast-food s’est depuis quelques années étendu au-delà des comptoirs : avec la montée en puissance de la livraison à domicile, ces produits envahissent désormais les canapés, les chambres d’étudiants, les soirées Netflix, les apéros improvisés. Et là encore, le format “box à partager” trouve un terrain d’expression idéal : il est conçu pour les moments de consommation collective... ou pseudo-collective, souvent devant un écran.

Mais la livraison ne modifie pas seulement le lieu de consommation : elle renforce la logique de quantité, de facilité, d’instantanéité. Et elle pousse encore plus loin l’automatisation du rapport à l’alimentation, réduite à un clic, un délai, une boîte reçue. Le repas devient un service, un flux, une commande. Et non plus un moment, un goût, une attention.

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