Benoît Bourla, l’homme qui murmurait à l’oreille du call
Même si l’homme n’est pas vraiment un inconnu dans le secteur de la relation client, c’est peu dire qu’il a surpris tout le monde dans la reprise du dossier Call Expert. Le 26 février, c’est en effet la société de conseil en relation client Relaytion qu’il dirige qui a été choisie par le tribunal de commerce d’Amiens pour son offre de reprise partielle de la société Call Expert (160 salariés sur le site d’Abbeville, ainsi que le siège parisien et la société Sept).
Qui est Benoît Bourla et comment compte-t-il, dans un marché pas franchement marqué par la croissance, écrire l’avenir d’un Call Expert « nouvelle génération » ?
Quel a été votre parcours ?
J’ai travaillé tout d’abord dans le conseil dans une petite société Serieys Consult et me rappelle d’ailleurs une mission quelque peu annonciatrice : en 1991, nous avions été chargés de travailler sur le parcours client au sein de l’aéroport d’Amsterdam. J’ai pris ensuite la direction des CAT (Centres d’accueil téléphonique) de Canal + au moment où la deuxième génération de décodeurs provoquait son lot de problèmes techniques, en 1995.
J’ai enchaîné ensuite avec quasiment le même poste chez Eurodisney, de 1997 à 1998, mais c’est chez Accor, de 1999 à 2005, et en tant que responsable mondial des réservations, que j’ai beaucoup appris : à mon arrivée, la performance globale de nos services nous permettait de prendre 80% des appels et d’en « transformer » 29% en ventes. Après de nombreux travaux, benchmarks et chantiers menés par les équipes, nous avons hissé ce dernier item à 47%, ce qui nous semblait être une barre quasi-indépassable. Je me rappelle notamment une suggestion de la part des équipes qui s’est transformée en succès : permettre aux agents d’accroître la DMC (Durée moyenne de conversation) afin de mieux prendre en charge le client. Elle nous a effectivement permis d’être plus efficaces dans la transformation des appels.
Pourquoi avoir quitté Accor et créé Relaytion ?
En 2005, compte tenu des bons résultats, j’estimais ma mission achevée et j’ai alors proposé au conseil d’administration d’Accor de faire de ces savoir-faire une Business Unit et d’aller la vendre à l’extérieur, mais le projet n’a pas semblé intéresser. Alors je suis parti créer Relaytion, cabinet de conseil opérationnel à mi-chemin entre le management de la performance et l’outsourcing. J’étais et je suis toujours persuadé que celui-ci peut et doit trouver, dans le domaine de la relation client, d’autres modèles économiques que celui qui prévaut encore majoritairement : les prestataires sont des agences d’intérim peu orientées ou qu’on n’oriente pas assez sur de la création de valeur.
En reprenant Call Expert, nous sommes en phase avec les fondements de Relaytion ; nous aurons simplement la possibilité d’offrir à nos clients une prestation complète, du conseil opérationnel à l’outsourcing.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé au dossier ? Est-ce par opportunisme ?
Pas vraiment, d’autant que, de l’extérieur, je n’avais pas une vision très valorisante de l’entreprise. Mais Relaytion avait avec l’outsourceur trois clients communs, dont Carrefour banque, qui m’amenaient à observer le travail de Call Expert. Après la mise en redressement de l’entreprise, une chose m’a interpellé : une motivation des salariés toujours présente et leur capacité à continuer de « livrer » la prestation avec engagement. Intrigué et bien que persuadé d’arriver après la bataille, nous nous sommes donc intéressés au dossier et avons remis une offre le 6 janvier après avoir travaillé comme des fous sur le projet. C’est finalement notre offre qui a été retenue, y compris pour la SEPT, autre société du groupe qui intéressait beaucoup d’autres acteurs.
Quel est votre projet pour l’entreprise et quelles sont les principales décisions que vous planifiez de prendre à court terme ?
Désormais, c’est une course contre la montre : il faut rassurer les clients qui ont décidé de continuer avec l’entreprise ou les reconquérir et gérer la phase socialement délicate du mois qui vient, où les plateaux vont voir coexister des salariés qui restent et d’autres qui vont être licenciés par l’administrateur.
Relaytion annonce 1,5 million d’euros de chiffre d’affaires en 2013. Comment comptez-vous financer les investissements à consentir et asseoir le projet que vous évoquez ?
Nous engageons 350 000 euros de fonds propres, avons obtenu environ 500 000 euros de concours bancaires, notamment auprès de la Région – qui se porte caution avec la BPI – et l’engagement des clients de participer à cette opération en acceptant par exemple d’être facturés chaque quinzaine. Ceci devrait suffire car, rappelons-le, le périmètre repris est celui d’une entreprise à 7 ou 8 millions euros de chiffre d’affaires, et non un groupe faisant 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. Et les clients qui ont choisi de poursuivre la collaboration ont confiance dans le savoir-faire et le projet proposé.
Que deviendront les bâtiments loués à Abbeville ?
Nous allons conserver un des bâtiments et quant au deuxième, renégocier son prix qui nous semble hors marché et qui appartient à une société dont on ne sait pas précisément si Bertrand Delamarre y est associé.
Quels sont les ex-clients de Call Expert que vous espérez conserver ?
Pour beaucoup d’entre eux, notamment Canal + et SFR, nous les avons rencontrés trop tardivement et ils ont de ce fait été placés dans une situation complexe : accepter des renégociations, tarifaires ou autres, délicates dans le délai imparti. Dans ce contexte, Canal + ou SFR ne continueront peut-être probablement pas à collaborer, tandis que Rueducommerce.com avait déjà pris ses dispositions, dès le début du redressement judiciaire. Ceux qui avaient pris leurs dispositions avant le redressement judiciaire, il s’agit de les reconquérir. Les autres, nous espérons tous les garder.
La Sept a intéressé beaucoup de repreneurs, mais c’est votre offre, pourtant pas la mieux disante, qui a été retenue. Pourquoi ?
La Sept est l’archétype et le symbole de ce que nous cherchons à faire : apporter une expertise métier, en l’occurrence, le traitement des réclamations dans le secteur du tourisme et des loisirs et des litiges bagages, qui crée de la valeur pour le client. Voilà pourquoi notre offre de reprise l’incluait, et je suis heureux que le tribunal nous l’ait accordée. L’un des grands acteurs du marché m’a d’ailleurs appelé le matin même pour essayer de me convaincre de laisser ce dossier sur lequel son offre était bien supérieure.
Propos recueillis par Manuel Jacquinet,
le 28 février 2014