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1992, l’été meurtrier : Jeff Porcaro, Michel Berger

Publié le 29 juillet 2022 à 14:16 par Magazine En-Contact
1992, l’été meurtrier : Jeff Porcaro, Michel Berger

L’inhalation involontaire de pesticides dans son jardin californien a privé - prématurément - le monde de l’un de ses batteurs les plus incroyables: Jeff Porcaro. C’était il y a presque trente ans (le 5 août 1992). Un livre est sorti, en grand silence, en 2020,  sur la vie du prodige californien qui a joué également avec Steely Dan, Bruce Springsteen mais également avec Jean-Noël Chaléat et Alain Chamfort. L’été, c’est fait pour lire des livres. Sur ceux qui rendent l’expérience sonore inoubliable, notamment.

Pour un batteur, tout est une question de timing, et d’être, comme le dit Jeff Porcaro, dans la dernière interview qu’il ait accordée, au bon endroit au bon moment. On connaît l'histoire de Pete Best remplacé par Ringo Starr. « Non seulement, il n’était jamais en retard à nos rendez-vous, dit Gary Katz, le producteur de Steely Dan, dans une biographie qui lui est consacrée, It’s about time, mais il avait deux heures d’avance. » Un excès de ponctualité qui s’avèrera tragique quand Jeff Porcaro mourra prématurément à l’âge de 38 ans en 1992. 

Le garçon n’a jamais été du genre à perdre du temps : à 20 ans, il joue sur Katy Lied de Steely Dan, à l’exception d’une seule chanson où c’est le légendaire Hal Blaine qui tient les baguettes. Le passage de relais avait déjà eu lieu quelques années auparavant, alors que Porcaro remplace le batteur des Beach Boys et des Ronettes, l’homme aux 35 000 sessions d’enregistrement, au sein du big band de Jack Dougherty, producteur des Carpenters. Le lycéen de 17 ans s’apprête alors à signer son premier contrat avec Sonny & Cher. Dans sa dernière interview, quelques mois avant son décès, signe d’une insatisfaction chronique et du sens très poussé de l’autocritique qu’évoque son biographe et ami Robyn Flans, Jeff Porcaro parle déjà de se faire la malle : « Nous étions à Hawaii et il y avait un gars qui jouait du tambour de bois et ça groovait. Et je me suis dit, « Mec, laisse tomber. Envoie tout ça balader et viens t’installer ici avec ta famille pour taper sur un bout de bois. C’est sûrement plus excitant que toute la merde que tu joues à LA dans le studio. » » Toto connaît ses premiers revers de fortune, que Porcaro, avec une modestie caractéristique, met sur le compte d’un certain manque de personnalité. Le groupe, reconnaît-il, est la somme des talents de musiciens de studio ultra-aguerris mais dont l’aura n’égale pas celles des grandes stars du rock’n’roll que Porcaro a côtoyées dans sa carrière. Le batteur le plus recherché du pays assume finalement sans le mentionner ce label sibyllin qui sert à étiqueter la musique du groupe, l’AOR (Adult Oriented Rock), ce que d’aucuns nomment en français, non sans une pointe de sarcasme, le « rock à papa ». Nous sommes alors en 1992 : Porcaro vient de jouer de la batterie avec Roy Orbinson, Sergio Mendes, Dire Straits, Céline Dion, Michael Jackson, Aretha Franklin, Madonna. Entre autres. En fait, tout ce que l’époque et l’Amérique compte d’ultra vedettes ayant décidé d’enregistrer dans des studios californiens. Tout ce qu’il touche se transforme en or, ou tout ce qui brille vient solliciter sa touche magique, hélas, plus pour longtemps.

Devant Record plant Studios (Sycamore Ave LA) 1976-77 - crédit Collection particulière Jean Noël Chaléat

On rembobine

L’ombre du star-system, ça lui connaît. Une anecdote célèbre rend compte d’une session d’enregistrement particulièrement houleuse avec Rickie Lee Jones où Jeff Porcaro, de colère, finira par planter ses baguettes dans les toms, avant de claquer la porte du studio. Porcaro comme Jones ne s’en tiendront pas rigueur, puisque cette dernière refera appel à ses services quelques années plus tard, sans qu’il n’en prenne ombrage, pour une session qui se passera cette fois à merveille. Une anecdote qui en dit long sur le professionnalisme et l’élégance d’un musicien passionné mais pas décidé à se laisser marcher sur les pieds pour autant. 

Comme quantité d’enfants nés dans les années 50, Jeff Porcaro prend en pleine figure la British Invasion et le passage des Beatles au Ed Sullivan show, épiphanie relatée dans la biographie que Robyn Flans a consacrée au batteur, dont la traduction française est parue en version numérique l’an dernier (Jeff Porcaro: It's About Time, ed. Hudson Music) : « Le 9 février 1964 fut une nuit mémorable dans la famille Porcaro, comme un peu partout à travers les USA. C'était la première apparition des Beatles dans The Ed Sullivan Show et ça a produit un effet terrible sur les fils Porcaro. » Le jeune homme est prédestiné : son père est lui-même un batteur de studio reconnu, qui a joué avec Frank Sinatra, Lalo Schiffrin, Stan Getz, et, comme son fils, Pink Floyd ou Madonna, rien que cela. Pourtant, à en croire Jeff, cet illustre précurseur n’a eu aucune influence sur sa carrière de musicien : alors que celle-ci commence, Jeff n’aurait qu’à peine étudié la batterie, se destinant à une vie de bohème, n’ayant d’autre ambition que d’être un « marginal et de peindre. » Les témoignages recueillis par Robyn Flans dans sa biographie auprès de Porcaro démentent pourtant cette image de flemmard qui n’est sans doute pas exempte d’une forme de coquetterie, Porcaro était bien un travailleur acharné qui passait des heures tous les jours à s’entraîner avec les enregistrements de ses musiciens favoris : « J’allais dans le salon, je mettais des écouteurs et je jouais sur « Boogaloo Down Broadway ». La batterie était cool là-dessus et j’aimais cette sensation. […] J’ai joué avec tous les disques des Beatles, tous les disques d’Hendrix, et c’est là que j’ai acquis une bonne partie de la capacité à jouer authentiquement un type de musique plutôt qu’un autre. » L’authenticité, un autre maître-mot du batteur, qui ne faisait pas de la virtuosité technique une obsession de mauvais alois comme l’explique l’un de ses amis de jeunesse, Kerry : « après avoir écouté la plus grande virtuosité lors des autres concerts, nous avons entendu Buddy Miles Express avec son groove puissant et nous nous sommes regardés en disant, « Ça, c’est bon ! » A ce moment-là, nous avons commencé à comprendre et à apprécier la musique pop. » Joe Cocker, Jackson Browne, Al Stewart, Donna Summer, Elton John, Herbie Hancock, Paul Simon, Randy Newman, Bruce Springsteen, Allen Toussaint, Randy Newman, Jon Anderson, Rod Stewart, Hall & Oates sont quelques-uns des innombrables stars avec qui Jeff Porcaro a pu encore enregistrer. Le concert donné en son hommage à sa mort réunira George Harrison, Donald Fagen, Boz Scaggs, Don Henley, David Crosby, Eddie Van Halen, pour ne pas tous les citer… Sur sa tombe, au Hollywood Hills Cemetery, on peut lire en guise d’épitaphe : « Notre amour ne s’arrête pas en si bon chemin ; il vit pour toujours, sur les ailes du temps », les paroles éponymes d’un morceau de Kingdom of Desire de Toto. 

Extrait du livre : Ce que son père lui dira, lorsqu'il apprend que Jeff désire abandonner sa carrière pour monter un groupe : "Mec, tu es fou, si tu es un musicien de studio et que tout d'un coup tu quittes la ville pendant six mois, il y a tellement de compétition que très vite quelqu'un te piquera ta place. Mais nous savions qu'il fallait prendre le risque de faire un groupe". Dans un 2nd livre ( voir ci-dessous), on apprend que d'autres musiciens de Toto sont passés dans les Studios en France, dont Steve Lukather, à Super Bear Studios, à Berre-les-Alpes. Pour jouer avec Elton John. 

Pour vous procurer le livre, c'est ici

Quelques suggestions de lecture d’été. 

Dans un livre sur les Studios de légende en France, l’un des grands amis  et compositeurs de Françoise Hardy, Jean-Noêl Chaléat raconte comment sa carrière prit tout d’un coup son envol : Manureva, qu’il a co-composée avec Alain Chamfort, fût enregistrée dans un petit studio de Californie, Sound Connection Studio : “ il y avait tellement de bons musiciens et de studios dans la vallée” raconte-t-il. Discret, méconnu malgré son immense talent, En-Contact a retrouvé le natif de la Drôme. “Je n'ai jamais entendu sonner une batterie comme celle de Jeff Porcaro, pendant l'enregistrement de Rock'n Rose, au Record Plant Studio”

La dernière mouture, actualisée, du livre de référence écrit sur Michel Berger, est également passionnante : Yves Bigot, son auteur, l’a enrichie d’informations sur la fin de vie du chanteur qui jouait du piano debout et était tombé amoureux d’une femme avec laquelle il comptait refaire sa vie en Californie, Béatrice Grimm. La Californie…

 

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