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« J’ai Michel Berger au téléphone, il voudrait vous parler… »

Publié le 01 août 2022 à 11:59 par Magazine En-Contact
« J’ai Michel Berger au téléphone, il voudrait vous parler… »

Trente ans après la mort de Michel Berger en 1992, l’artiste français, que certains considèrent comme l’un des plus grands mélodistes et compositeurs de la chanson, n’a toujours pas révélé tous ses secrets. Une édition augmentée de la biographie de l’auteur de “La Groupie du pianiste”, signée de la plume d’Yves Bigot vient souffler sur quelques braises qu’on croyait éteintes. Son studio parisien, qui existe toujours, niché dans un passage du dix-septième, à proximité du boulevard des Batignolles, en recèlerait-il d’autres ? Un studio baptisé Face B. Face B, comme ces chansons dans l’ombre des singles à succès sur nos vinyles d’antan. Face B aussi, comme ces morceaux que des musiciens plaçaient là l’air de rien et pour lesquels ils éprouvaient une affection particulière. Face B enfin, comme la deuxième partie d’une vie passée sous le feu des projecteurs et dans l’ombre de France Gall.

Michel Berger et France Gall photographiés par Thierry Boccon-Gibod .

C’est une photo qui révèle l’artiste et sa muse dans l’intimité du studio. Et l’intimité d’un studio-appartement qui a servi d’écrin aux derniers songes musicaux de Michel Berger, audibles sur l'album qu'il a fait avec France Gall, Double Jeu. Sur la photo de Thierry Boccon-Gibod, on aperçoit Michel Berger assis sur une chaise, la tête renversée en arrière, à moitié cachée derrière ses mains qu’il a posées sur le front et qui laissent échapper quelques cheveux frisés et indomptables. Visiblement épuisé, et France Gall n’est pas en reste, agenouillée quelques mètres plus haut sur des marches blanches montant… On ne savait où avant de se voir ouvrir les portes de Face B. Nous avons pénétré, non sans recueillement, dans un saint des saints envahi de mystères rendus indécidables par le passage du temps et la disparition de ceux qui en étaient les maîtres et les gardiens, à la recherche d’éventuels indices. Nous rédigions alors un livre consacré aux studios de légende français, ces équivalents hexagonaux d'Abbey Road à Londres, où ont été réalisées des flopées d’enregistrements légendaires. La photo fait écho à celle qui sert de couverture à Double Jeu, le dernier album de Michel Berger. Sur cette dernière, qui a été abondamment commentée, on retrouve les trois mêmes protagonistes : Gall et son pygmalion, juchés sur l’escalier blanc. En arrière-fond, un drame familial qui se nouerait peut-être entre le couple-star et qui pare le titre de l’album d’une signification nouvelle, maintenant qu’il est révélé. Un titre en forme de référence, d’après Yves Bigot, au Double Fantasy de John Lennon, album qui sonnait le glas de la relation du Beatle avec Yoko Ono. Dans l’édition augmentée de la biographie qu’il a consacrée à Michel Berger, Yves Bigot lève le voile de pudeur que la mort prématurée de l’artiste avait jeté sur ses derniers mois et révèle une aventure qu’il a eue alors avec Béatrice Grimm. De quoi écouter d’une oreille neuve les dernières chansons du musicien en méditant sur la vérité et le mensonge, sur ce qu’il est possible de savoir ou pas et sur la pertinence ou non de tels éléments biographiques, en feuilletant distraitement le Contre Sainte-Beuve de Proust - Marcel, pas Gaspard. 

La création du studio FACE B, Paris 17ième 

« La création même et l’aménagement du studio Face B ne sont pas complètement connus », précise Manuel Jacquinet, éditeur et auteur du livre Studios de légende : secrets et histoires de nos Abbey Road français. « J’ai eu la chance, qui m’a été offerte par Raphaël Hamburger, de le visiter pour le livre. Le récit qui suit est celui de l’architecte-décorateur* qui est intervenu mais il n’y a plus de témoin vivant pour confirmer tout ce qui est écrit par ce dernier. Une chose demeure : le talent du compositeur et de sa muse, la volonté qu’il eut de créer son lieu à lui, pour y peaufiner quelques expériences sonores inoubliables. » 

« En fin d’après-midi, un jour, ma secrétaire m’indique avoir en ligne Michel Berger. Intrigué, je lui demande de me le transférer, tout en restant sur mes gardes : j’avais à l’époque un ami très proche qui consacrait une partie de son temps à se faire passer pour des personnages connus différents. À sa plus grande joie, il parvenait parfois à piéger mes collaborateurs. Je prends tout de même l’appel : « Allô bonjour, je suis Michel Berger et je voudrais savoir si vous pourriez m’aider car j’ai l’intention d’aménager un studio d’enregistrement. » Nous prenons donc rendez-vous à l’agence pour le surlendemain.

Il avait eu mes coordonnées par un ami très proche et moi, j’étais vraiment fan de Michel : je collectionnais ses enregistrements ; je m’étais d’ailleurs rendu un jour au Théâtre des Champs Élysées pour acheter des places pour son futur concert. Dans le hall du théâtre, comme j’entendais de la musique et qu’à cette heure-là il n’y avait pas de contrôle, discrètement je me suis faufilé dans le noir dans une loge du fond de la salle. Là, sans faire de bruit, j’ai assisté à toute la répétition avec l’orchestre et ce fut pour moi un moment intime et fabuleux. Michel Berger n’écrivait pas des chansons ; il avait su créer un son très particulier, une ambiance poétique qui allait selon moi marquer pour longtemps notre époque. Deux jours plus tard, lors de notre rendez-vous à mon agence d’architecture, le contact est sympathique mais un peu distant. « Est-ce que je peux visiter votre agence ? ».

Je lui en ai fait faire le tour, ayant compris que ce qui l’intéressait était de ressentir l’ambiance qui y régnait. Située au troisième étage d’un immeuble haussmannien, l’agence donnait sur deux grandes cours. Il s’est penché et m’a désigné le 1er étage d’un immeuble, en face. « C’est là que j’ai vécu les quinze premières années de ma vie ! Je vais acheter un petit local industriel, pas loin d’ici et que j’aimerais vous le montrer. Je veux y faire mon studio d’enregistrement, un endroit à moi, où je puisse vivre, trouver l’inspiration, composer, répéter, harmoniser, jeter, recommencer », m’a-t-il dit.

Nous avons pris l’avenue de Courcelles et sommes arrivés devant un porche a priori banal mais qui était une rue tout à fait particulière, comme un passage vers une petite rue de province presque campagnarde, très étroite et bordée d’artisans et de vieilles enseignes de créateurs. 

Le local était en fait une vieille imprimerie, un hangar assez haut sous plafond où subsistaient de vieilles machines et des murs montés de bric et de broc. Beaucoup de choses, cloisons étaient biscornues et je me demandais déjà comment assurer la partie phonique de l’ensemble. Il y avait certes un beau volume mais également une charpente en bois, un escalier, deux niveaux, etc. Mais il a fallu répondre à la demande de Michel : « Je veux voir les étoiles ». Les étapes de conception, d’études et de validation par des bureaux d’étude spécialisés ont été longues. Deux verrières ont donc été créées dans le toit, ce qui a techniquement compliqué les choses... Je savais que la moindre faille dans l’étanchéité serait catastrophique. Mais c’est peut- être l’escalier qui m’a demandé le plus de travail, cet escalier qu’on voit d’ailleurs sur la pochette de leur dernier album. J’ai imaginé créer une série de blocs blancs qui ont fait comme un gradinage très utile sur les côtés de cet escalier. Il fallait tout à la fois ne pas perdre de place et permettre une bonne acoustique, tout en laissant une surface maximale au synthé de Michel, et tout autour suffisamment de place pour six ou sept musiciens. Le piano blanc prit place dans la mezzanine, qui accueillait également une petite chambre qu’il voulut installer, in- dispensable pour loger un musicien, après un long voyage par exemple.

Michel a fait de cet endroit un lieu bien à lui, auquel peu de personnes avaient accès. Il suivit de près les travaux, dans le détail, tout en me faisant confiance. J’y ai croisé une fois Luc Plamondon. Je crois que quantité de titres et de succès ont été conçus là. Après sa mort, le studio fut conservé et très bien entretenu. Il a servi à France Gall et Bruck Dawit pour la création et les enregistrements de Résiste. J’y ai rencontré France plusieurs fois, dans ses dernières années, sans qu’elle me dise rien de sa santé. Elle tenait à ce que ce lieu privilégié reste en l’état. J’ai eu beaucoup de chance de les rencontrer, connaître et de travailler avec eux. »

Le récit de cette mission, telle que la relate l'architecte,  a semblé contenir quelques imprécisions à Raphael Hamburger, fils de Michel, qui nous a donné accès pour la rédaction du livre, à ce studio. Mais plus personne n'est là pour corriger ou amender les quelques enjolivures ou imprécisions qui existeraient. Face B existe toujours dans un passage. 

*Propos de Jean-Louis Berthet

Studios de légende : secrets et histoires de nos Abbey Road français, ISBN 978-2-9574C915-4-4 

Photo de une: Studio Face B - crédit © Edouard Jacquinet

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