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« Mogol m’a appelé et m’a demandé si ça m’intéressait : ils avaient créé Numero Uno avec Lucio Battisti »

Publié le 01 août 2023 à 09:44 par Magazine En-Contact
« Mogol m’a appelé et m’a demandé si ça m’intéressait : ils avaient créé Numero Uno avec Lucio Battisti »

Claudio Fabi a été le directeur artistique de nombreux enregistrements marquants, dans les années 70 et 80 dont celui d’Amore Caro, Amore Bello, à Milan, énorme tube, désormais oublié, écrit par Lucio Battisti et Mogol et interprété par Bruno Lauzi. Il a également enregistré le premier 45 tours d’un certain Alain Bashung, Johnny Hallyday. 

Interview exclusive pour En-Contact et Malpaso-RCM, dans la suite des Studios de légende nos Abbey-Road français

Moustaki, Johnny Hallyday, Bruno Lauzi

Avant de participer à ce tube “Amore Caro, Amore Bello”, vous avez plutôt une formation classique au début…

Je suis diplômé en clavecin et en composition. Et puis, tu sais, tu te souviens des années 70 ? A la fin des années 60, tant de choses ont eu lieu, et pour des raisons politiques, sociales, personnelles, je suis passé à la musique, disons, de jeunes. Il me semble que j’ai commencé à travailler en 68. J’ai beaucoup travaillé à l’étranger et quand je suis revenu en Italie, j’ai officié en tant que directeur artistique. Le rock progressif que j’ai produit dans les années 70 provient de mon goût musical de l’époque, qui me portait vers le rock comme vers le classique. J’ai également été directeur artistique en France, et j’ai produit la version italienne du “Métèque” de Moustaki et de chansons de Johnny Hallyday. Je les ai importées en Italie avec Polygram : la session d’enregistrement qui a eu lieu à Venise a débouché sur un énorme succès avec près d’un million de disques vendus. Le texte de Il Straniero, l’adaptation du Métèque était de Bruno Lauzi. 

A Milan, Numero Uno, Lucio Battisti et la Fonit Cetra

Amore Caro, Amore Bello, à la production et aux arrangements duquel j’ai participé, est venu ensuite. Je revois presque le studio d’enregistrement de la Fonit Cetra à Milan. Je suis allé travailler à Milan en tant que directeur artistique de Numero Uno avec Mogol et Battisti. J’ai produit l’album de Bruno Lauzi qui contenait ce hit, un enregistrement qui fut assez facile en un certain sens : Bruno était l’interprète idéal pour la chanson, l’arrangement très simple. A l’époque, les chansons dites d’auteur avaient des arrangements acoustiques et sobres pour en faire émerger le sens. 

Comment êtes-vous devenu directeur artistique de Numero Uno

Mogol m’a appelé et m’a demandé si ça m’intéressait d’intégrer son label qu’il avait co-fondé depuis quelques mois. Alessandro Colombini, un autre producteur et directeur artistique, s’en allait et lui avait soufflé mon nom. J’étais alors directeur artistique de Phonogram à Rome, qui est devenu ensuite Polygram. L’état d’esprit et leurs exigences m’ont convaincu. Je me souviens avoir apporté avec moi Adriano Pappalardo, un chanteur sui generis, un peu particulier, qui a beaucoup plu à Lucio. Cela a donné un autre grand tube “E' ancora giorno” chanté par Pappalardo, co-écrit également par Lucio Battisti et Mogol, qui ont signé tant de chansons. Cela a duré quatre ans puis je suis retourné chez Polygram, où je suis resté quatre autres années. 

J’ai travaillé avec Bruno Lauzi, Pappalardo, la Premiata Forneria Marconi, Tony Renis, Mario Lavezzi comme auteur un peu plus longtemps, mais quatre ans en tant que producteur. 

Alain Bashung, premier 45 Tours

Vous avez participé au premier 45 tours d’un tout jeune Alain Bashung, qui contenait deux chansons en italien (“Ho Gli Occhi Chiusi” et “Una Parola Sola”) dix ans avant qu’il ne commence à acquérir une renommée en France, vous en souvenez-vous ? 

Franchement, je ne m’en souviens pas. Je ne sais pas ce que j’ai pu faire avec lui. Pour dire vrai, je ne me rappelle pas de tous les artistes avec lesquels j’ai travaillé et de ceux qui sont passés si rapidement dans ma vie qu’ils ont disparu de ma mémoire. 

Je crois que je pourrais m’en souvenir si on me montrait à quoi il ressemblait. Je ne sais d’ailleurs pas si j’ai travaillé en France ou en Italie ca  il fut un temps où je travaillais à Paris, avec Johnny Hallyday et avec un ami très cher qui a produit ensuite Jean-Michel Jarre. On a travaillé ensemble et il est possible que ce soit lui qui s’en soit occupé. Je fouille dans ma mémoire ces quelques mois passés à Paris où j’ai travaillé avec Moustaki, sur “Que je t’aime”.

Vous avez également enregistré avec Irène Papas qui vient de disparaître… 

Pour les chansons de Theodorakis, quand j’étais encore directeur artistique à Rome avant de partir pour Milan et qu’elle travaillait elle-même à Rome. D’ailleurs Irène est venue la soirée à l’enregistrement de Moustaki et Hallyday. Je me souviens parfaitement du voyage que nous avons fait ensemble de Rome à Venise, car elle tenait absolument à saluer Moustaki. 

Ibiza, Joaquin Cortez. 25 ans en Espagne

Pour quelle raison êtes-vous parti en Espagne ? 

En 1984, j’ai été invité à produire et à améliorer un spectacle de flamenco pour le chorégraphe Joaquin Cortes, qui avait beaucoup de succès, par son manager Pina Saliogo. Joaquin et lui désiraient donner au spectacle une forme de suite et de ballet et, après avoir discuté avec un producteur et arrangeur anglais très connu avec qui ils ne se sont pas entendus, ils ont estimé que j’étais l’homme de l’emploi. Et je suis allé à Ibiza pour faire la connaissance du groupe de Joaquin Cortes, et participé à ce succès mondial. Je suis resté car à l’époque il y avait plus d’opportunités pour moi en termes créatifs en Espagne qu’en Italie. J’y suis resté vingt-cinq ans. Je suis revenu en Italie il y a huit ans. 

La pop italienne : élégance, couleur de son typique des studios italiens.

Existe-t-il une spécificité de la musique pop italienne, vous qui avez travaillé dans plusieurs pays d’Europe et fait des concerts dans le monde entier ?

Prenons l’exemple du rock progressif : tout est parti de King Crimson qui a inventé un rock plus intellectuel que le rock américain de l’époque. La différence fondamentale dans la manière de jouer et l’écriture italienne consistait alors en un certain lyrisme typiquement italien. Même si le rock anglais, avec ses origines celtiques et galloises, est tout aussi intéressant et beau, fait preuve d’un très grand lyrisme, le développement de la phrase, de toute la partie mélodique dans le rock italien est manifestement différent, avec une partie rythmique qui ne présentait pas la même robustesse que dans la musique anglaise ou américaine, une partie rythmique plus symphonique, plus directe, différente de ce qui se faisait habituellement dans le rock. Mais la différence la plus prégnante réside dans le chant et les mélodies.

J’ai vu des artistes espagnols venus en Italie pour y chercher une élégance, une netteté de phrasé et une couleur de son typique de nos studios d’enregistrement. Aujourd’hui, il y a, pour être honnête, une forme de standardisation. Pas dans le monde entier mais dans les styles, les façons de travailler, d’écrire. Dans les années 70, on ressentait beaucoup plus les différences de nature culturelle et musicale.

Je me souviens cependant des concerts de PFM en Amérique - nous étions numéro un du Billboard avec “Celebration” - et d’une tournée de six mois avec un succès qui ne se démentait pas. Le style du groupe était robuste, européen mais plus italien qu’européen en définitive et c’est ce qui plaisait je pense. Ces différences se ressentaient également en live avec l’utilisation du Moog, du violon, des instruments classiques comme électroniques qu’on jouait avec des références à des traditions musicales plus anciennes. 

Avez-vous travaillé avec votre fils, Niccolo, qui a lui-même une carrière d’auteur-compositeur bien remplie ? 

J’ai collaboré avec mon fils pour ses auditions et ses démos. J’ai signé un contrat avec EMI pour lui. Pendant dix ans, il m’a accompagné aux concerts d’Alberto Forti de La Premiata, de Pappalardo, et il a baigné dès son enfance dans cette musique. Mais quand il a signé chez Virgin, où il a produit pour la première fois ma chanson “Dica” avec son ami d’enfance, Riccardo Sinigillia, il a dès lors tracé sa propre voie. 

Ils ont présenté leurs démos qui avaient été faites dans notre studio, donc j'étais là, bien sûr pour lui donner des conseils etc. Mais nous faisions attention, père et fils, à ne pas créer une dépendance l'un envers l'autre, car cela aurait pu entraver son développement, son indépendance. J’étais donc très prudent et je pense qu'il a également bénéficié du fait qu'il était libre tout en sachant que j’admirais sa créativité. Je lui ai donné quelques conseils utiles sur des arrangements, des manières de jouer, des façons d’être, bien sûr, mais rien d’autre. Je dirais que mon apport musical, non pas partial mais musical, s’entend davantage ces dernières années dans le travail de Niccolo. Parce qu'il a développé une poétique et une écriture musicale très similaire à ce que pu faire dans mon travail, pour rendre mon écriture indépendante, en Espagne et avec certains Anima Mundi. Mais Niccolo a tout construit par lui-même même s'il a sûrement bénéficié de l’expérience qui était la mienne.

Amore Caro, Amore Bello, interprété par Bruno Lauzi. A lire ici.

Propos recueillis par Benoit Hocquet.

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