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Séquences d’histoire non officielles au Château d’Hérouville

Publié le 08 juillet 2021 à 08:00 par Magazine En-Contact
Séquences d’histoire non officielles au Château d’Hérouville

Séquences d’histoire non officielles au Château d’Hérouville par Jacqueline Thibault.
Au Vaisseau de Pierre, l’enregistrement de Kill the King (Rainbow), d’Evening (Gateway).

De son vrai nom, Jacqueline Maire a traversé les années 70 en personnage public silencieux mais très actif dans l’enregistrement. Douée, Laurence Vanay, également connue sous le nom de Jacqueline Thibault, commence la musique très jeune, donne son 1er concert à quatre ans et va entamer une longue carrière, non achevée à ce jour. A neuf ans, sur un petit Revox 4 pistes offert par son père, elle réalise ses premiers enregistrements. En 1973 déjà ! elle se frotte aux premiers synthétiseurs disponibles sur le marché qui lui permettent de composer des mélodies et arrangements qui ont largement séduit et au-delà de nos frontières. Pourtant, Laurence Vanay- JT, n’a pas été embarquée pas plus qu’elle n’apparait dans les récits sur les studios célèbres qu’elle a fréquentés et notamment le plus légendaire d’entre eux, le Château d’Hérouville. On peut supposer pourquoi : le récit qu’elle fait des années qu’elle y a passées contredit quelques pages de la légende officielle et c’est une femme, dans un univers où elles sont rares. 

En 1974 et jusqu’à 1985, vous travaillez, vivez, composez et enregistrez au Château d’Hérouville dont vous êtes d’ailleurs l’une des associées. Mais on ne parle quasiment jamais de vous, beaucoup plus de quelques hommes qui y sont passés et en ont été les « tauliers mythiques » ?
Jacqueline Thibault : Oui, dans les années 70, une artiste femme a peu de chances d’être reconnue et acceptée dans ce milieu. Dès la sortie du Conservatoire Supérieur de Musique de Paris, où j’ai étudié l’orgue et la composition, alors que nous sommes deux élèves ex-aequo au concours d’entrée, le président du Jury donne sa chance à mon homologue masculin avec cette phrase : Lui, il fera carrière, au moins ou quelque chose qui ressemble à ça. Ecoeurée, je me suis dit : puisque c’est comme ça, je vais faire ce que j’ai envie, du rock and roll. Je n’y connaissais rien. Je n’avais écouté qu’Elvis Presley parce que chez moi, c’était rigoureux, on n’avait pas le droit d’écouter de disques. Et voilà, ça dit à peu près tout alors que j’ai commencé à jouer de la musique à trois ans. Plus tard, ce genre de scènes se reproduira des dizaines de fois lors de mon entrée dans des studios : les personnes qui s’y trouvent me demandaient : Tu es la copine de qui ? Alors que je venais enregistrer ou faire des arrangements. Un autre exemple : j’ai enregistré mon 1er album au studio de Milan, avec Gérard Manset, aidée de deux musiciens bretons -que j’adorais et avec lesquels j’ai joué longtemps- et des conseils de Laurent Thibault mais c’était un peu trop inhabituel car je jouais aussi de beaucoup d’instruments. Manset nous a laissés seuls terminer l’enregistrement en nous prenant pour des fous. Pour lui, apparemment, une femme qui composait ce genre de musique pas à la mode, chantait et jouait de plusieurs instruments, ce n’était ni habituel ni sérieux. 

Comment arrivez-vous à Hérouville ?
Mes musiques sont arrivées jusqu’aux oreilles de Laurent Thibault, qui avait été viré à l’époque de chez Philips, label prestigieux pour lequel il travaillait et il disposait d’une pièce aux éditions Barclay ; il a trouvé mes enregistrements intéressants et en phase avec ce qu’il produisait lui-même. Je cherchais alors un studio pour enregistrer et je lui ai dit qu’il n’était pas question d’aller à d’Hérouville, que là-bas il y avait de mauvaises vibrations.. Quelques mois plus tard, il me rappelle et me dit : ça y est j’ai signé, je reprends le Château. Il m’a proposé de devenir associée, avec d’autres, dans la société le Château qui a repris le studio qui était en grandes difficultés et sortait de périodes compliquées*. J’ai dit non évidemment et puis finalement ensuite oui, et ça a été très sympa. J’étais mariée à l’époque avec mon 1er mari, qui m’a mise dehors quand il a appris ça ; j’avais deux petites filles alors et on a pu vivre à Hérouville, où nous avons passé dix années. Et finalement, j’y suis restée. Quand on arrive à l’époque au Château, il est en mauvais état, il n’y a presque plus de matériel ; il a fallu en trouver d’occasion et de petits groupes sont venus, sur la réputation du lieu puis des groupes anglais, tout ça également parce que nous proposions des tarifs modestes. C’était folklorique, on faisait tout nous-mêmes et moi aussi en particulier. En 1976, les musiciens d’Elton John reviennent et ceci relance le Château. 

Vous allez faire beaucoup de choses sur place, accueillir les gens, les groupes, aider à de nombreux enregistrements, voire enregistrer des arrangements mais vous n’apparaissez nulle part ou presque.
La 1ère chose déjà, c’est que j’étais une femme. Partout où j’allais à l’époque on me demandait de qui j’étais la copine et je répondais : je suis l’artiste. Ah bon ? était la réponse interloquée qui suivait. Mon 2ème album par exemple est enregistré sous le nom de Gateway parce que je suis censée être un groupe anglais, c’était ça l’ambiance. Et mon ex-mari, Laurent Thibault, n’a jamais trop voulu que j’apparaisse parce que, d’après lui, ça aurait desservi le studio. Ça m’exaspérait de faire tout ce que je faisais, de composer des arrangements et de n’être pas souvent créditée mais les autres associés du studio approuvaient. Pourtant, quand je signe le contrat pour devenir associée, il est stipulé que je vais y faire des enregistrements mais ce point n’a jamais vraiment été respecté. 
J’ai fait beaucoup de choses au Château notamment des choses dangereuses comme d’aller dans une cave allumer la chaudière tous les jours, dans l’aile où se trouve le studio, équipée avec de grandes bottes, car la chaudière baignait dans l’eau de la nappe phréatique. Je n’avais pas le choix, moi j’avais mes deux filles qui étaient là, ça m’était impossible d’aller ailleurs d’autant plus que je n’étais pas payée. 

Sur place, vous-est-il arrivé de jouer sur des disques, de composer. Etiez-vous créditée dans ce cas ? 
Parfois, surtout pour des petits groupes ou pour des artistes qui n’étaient pas encore très renommés ou des productions du château. Mais J’ai beaucoup travaillé pour Jacques Higelin avec qui ça c’est bien passé. Par contre, par exemple pour Trust, enregistré en partie sur place puis à Davout ensuite, ça ne s’est pas trop bien passé. In fine, ils m’ont mis le marché en mains : soit tu es créditée sur l’album soit on te paye. J’ai préféré être payée, pour une fois.

Quand Ritchie Blackmore arrive au studio et que tout le matériel d’enregistrement se grippe

Comment se passe votre départ du Château et pourquoi ? 
Ritchie Blackmore, le guitariste de Rainbow était venu pour enregistrer sur place cet album et, avec lui, il s’est passé des choses très étranges. Vous n’êtes pas obligé de me croire tellement ça semble farfelu, mais voilà ce qui est arrivé. Alors que tout fonctionnait en studio, que les machines neuves étaient prêtes et fonctionnelles, dès lors que Ritchie y rentrait, plus rien ne marchait. Les ingénieurs du son, les techniciens n’y comprenaient rien. Du coup, on a dû l’installer sur le palier du grand escalier menant au studio, où on a enregistré ses parties de guitare, ce qui a donné un son incroyable. Le talent de ce guitariste est énorme. 
Plus tard, il a désiré appeler Jimmy Page, qui est très versé dans tout ce qui est occulte et qu’il a consulté à distance. Ils nous ont demandé de faire tourner des verres, dans une pièce neutre pour entendre ce que les esprits avaient à dire, (véridique), le tout sur les conseils de Jimmy Page !
Ritchie est ensuite parti en Russie, à Saint Pétersbourg, pour vérifier ce que les verres lui avaient confié : un de ses ancêtres aurait assassiné au Château d’Hérouville le mari d’une certaine Sarah, la femme qui répondait aux questions posées par le biais du verre ! 

Par Manuel Jacquinet

Photo de Une : Eric Serra au Château d’Hérouville - © Arlette Kotchounian

Retrouvez la version originale et complète du témoignage de Jacqueline Thibault dans Studios de Légende, secrets et histoires de nos Abbey Road français, dont une version enrichie sera publiée en novembre 2021 (Le livre est épuisé !). Vous pouvez le pré-commander ici.

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Edité par Malpaso-Radio Caroline Média.

 

 

Bowie et Corinne sa secrétaire, regardent l’édition originale d’un livre de Jules Verne - © DR

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