Amore caro, amore bello. Bruno Lauzi, Lucio Battisti, Mogol, charnière centrale de la pop italienne
« Pourquoi j’écris des chansons tristes ? Parce que quand je suis heureux, je sors »
En 1970, Bruno Lauzi, chanteur-compositeur né en 1937 à Asmara, dans l’actuelle Erythrée, interprète et enregistre le tube « Amore Caro, Amore bello » co-signé par Lucio Battisti et Mogol, le duo star des années 70 en Italie. On doit l'enregistrement à Claudio Fabi, directeur artistique récemment sollicité par Battisti et Mogol. La chanson est plus énigmatique que ne le suggère le titre : déclaration de rupture douce-amère ? Monologue intérieur et hésitant ? Dispute entre deux amoureux encore indécis ? L’ensemble baigne dans une forme de vague que les arrangements, un peu sous-mixés, et l’interprétation un brin désinvolte de Bruno Lauzi entretiennent comme à dessein. Nous ne sommes alors qu’au début de ce qu’on appellera en Italie les années de plomb.
D’abord sortie en 45 tours, la chanson refait son apparition dans un double album de Bruno Lauzi en 1971 auquel, agrémenté de trois points de suspension, elle donne son nom. A la lecture des crédits, il ressort que l’on a affaire, dans ce disque aujourd’hui oublié, à un véritable Who’s Who de la pop italienne de l’époque. Le premier disque, l’enregistrement d’un concert Teatro Filodrammatico de Milano, fait la part belle aux chansons écrites par Bruno Lauzi, accompagné de la seule guitare d’Andrea Sacchi.
On y trouve aussi une adaptation en italien de Ma Solitude, de Moustaki. Le deuxième disque ne consiste, à l’exception d’une chanson, qu’en des collaborations. Avec Battisti et Mogol, donc, à qui l’on doit également L’Aquila en face B, mais également avec Pino Donnagio, qui fut chanteur de bluettes avant de signer bon nombre de bandes originales pour Brian De Palma et d'autres. Les frères Carmelo et Michelango La Bionda co-signent trois chansons et sont probablement très loin de savoir que le succès leur sourira enfin quelques années plus tard, avec l’avènement du disco. Parmi les musiciens, on trouve Franz Di Cioccio et Franco Mussida de Premiata Forneria Marconi, le groupe de rock progressif italien le plus connu de l’époque, ou encore Damiano Dattoli.
Une scène à part ?
Un artiste, s’il souhaite durer, doit se renouveler et composer avec les modes quand il ne les précède pas. Bella, interprété par Giorgio Gauber, avait valu à Bruno Lauzi son premier succès en tant que compositeur un peu moins de dix ans plus tôt. Le texte était déjà signé Mogol. Dans la foulée, ses premiers succès d’interprète, Ritornerai ou Il Poeta ne tarderont pas à suivre. Génois d’adoption, il est un représentant de l’école de Gênes, légèrement en retrait par rapport aux figures illustres que sont Fabrizio De André, Luigi Tenco, Gino Paoli. Celle-ci professe une chanson à texte, inspirée de Brassens ou de Bob Dylan, mais aussi des musiques folkloriques locales éloignée de la pop “Dolce Vita” et romantique qui prospère alors dans la Botte. Mina, Bobby Solo, Rita Pavone, Pratty Prato, Nico Fidenco sont alors les tenants d’un intense romantisme, qui trouvent dans des formats très courts et des orchestrations capiteuses une forme d'expression idéale.
Les chansons acerbes et sarcastiques de Bruno Lauzi dénotent déjà un tempérament qui n’a pas peur d’aller à contre-courant. Dans un contexte politique lourd, celui des années de plomb, il se fera remarquer par des opinions politiques éloignées de celle de ses camarades, qu’il résumera dans une chanson de 1977, Io Canterò Politico où il s’en prend aux chanteurs à succès rêvant de grands soirs. Avec Arrivano i cinesi , une chanson satirique de 1969 qui précède de quelques années le film de Jean Yanne, il imagine une Italie maoïste, avec des mots, peuplée de chinois qui « arrivent par millions, plus jaunes que les citrons que tu mets dans ton thé ». « Pourquoi j’écris toujours des chansons tristes ? Parce que quand je suis heureux, je sors » disait Bruno Lauzi, donnant la clé de l'espèce d'amertume qui affleure dans beaucoup de ses chansons.
Le titre et son enregistrement, à Milan, par Claudio Fabi, fameux directeur artistique, à découvrir ici.
Benoit Hocquet.