La zone de confort (Cahier d’été à la mode En-Contact)
Edito N°98 /
A 9H58, il est arrivé, a garé sa voiture, rouge et japonaise sur le parking de ce Starbucks où nous avions rendez-vous à 10h, à Fort Lauderdale. On avait bien essayé de lui fixer rendez-vous chez lui, mais sa réponse, laconique, avait douché nos espoirs « au Starbucks de P… Road ». L’habitude certainement, de celui qui sait instaurer et rester à bonne distance et jauge ensuite, tel un animal, si la zone de confort* peut être amoindrie. Et pourtant, vous pouvez découvrir, en couverture de ce magazine, une photo de « l’agent » Benjamin Grey, devant sa maison et le grand arbre qui la surplombe. Entre le « non » de départ et le « oui » qui a permis cette photo, il y a l’échange que nous avons eu avec lui. Les rencontres permettent parfois de changer son point de vue, de l’élargir, de ne plus craindre l’inconnu ou l’étranger. Parfois, les agents de centres d’appels restent eux-mêmes devant l’objectif, ne singeant pas un mannequin qu’ils ne sont pas. Ils méritent également de « faire les couvertures » de magazine autant que d’autres : Benjamin Gray habite dans un pays dont quelques grandes entreprises « organisent » désormais nos vies quotidiennes, en en archivant les moindres sursauts. Mais il incarne une autre face de l’Amérique (voir son interview en rubrique reportage), un pays dans lequel quelques champions français des centres d’appels sont partis écrire le chapitre 3 de leur histoire.
Les Google, Amazon, Facebook … sont en train de tout coloniser, avec notre complicité, et n’apprécient pas du tout qu’on leur pose des questions (ce qu’on a essayé de faire au sujet de Amazon Go), ni sur un parking de Starbucks ni ailleurs. Ils s’arrangent aussi pour organiser les rencontres (cf. le rachat de LinkedIn), bientôt ils nous recommanderont quel film aller voir et s’il faut s’arrêter au Festival de Marciac ou à celui de Montreux, en nous vendant peut-être le billet qu’on aura payé sur leur application. Halte ! Nos étés nous appartiennent et les chemins de traverse qu’on a le loisir d’y emprunter. Puisque les GAFA ne se sont pas, heureusement, encore lancés dans les cahiers d’été, ces compagnons désuets qui accompagnaient nos vacances, En-Contact en a préparé un ersatz, comme une sorte de respiration. Un peu spéciale, notre version ne contient pas de révisions, simplement des récits de voyage sur des gens qui vont à la rencontre de notre pays (telle Anne Nivat, p.72), s’interrogent sur l’avenir de la démocratie (Flore Vasseur, p.74), ou expérimentent en prison (Webhelp/rubrique Spotlight, p.92) …voire nous font rire en évoquant leur tentative de détox digitale, au sein de leur foyer (Alix Girod de l’Ain, p.70). Ceux qui sortent de leur zone de confort ou nous laissent y entrer sont de plus en plus indispensables. Merci Benjamin et les autres !
Par Manuel Jacquinet,
édito rédigé en juin 2017
* zone de confort : « espace où notre incertitude, le manque et la vulnérabilité sont réduits au minimum et où nous croyons que nous aurons accès à suffisamment de nourriture, d’amour et d’estime, de talent et de temps. Où nous avons le sentiment d’avoir un certain contrôle. »
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