Une blogueuse condamnée pour avoir relaté son « expérience client » malheureuse dans un restaurant
Deviendrait-il difficile de relater ouvertement, publiquement ses expériences clients malheureuses en tant que consommatrice ? Attaquée par le propriétaire du restaurant « Il Giardino » du Cap Ferret, où elle aurait été bien mal servie à en croire son article très détaillé, Caroline Doudet a été condamnée à 1500 euros de provision sur dommages et intérêts, ainsi que 1 000 euros de frais de procédure, pour dénigrement. Une décision pas aussi incompréhensible qu’il y paraît.
L’auteure du Blog « L’irrégulière » n’y était certes pas allé de main morte, critiquant pêle-mêle une serveuse, « harpie en gilet fluo » qui « nous saute sur le paletot pour nous houspiller de nous installer sans autorisation (alors que, et d’une, nous en avions une, d’autorisation, et de deux… j’aime pas trop me faire engueuler par les serveurs, en général — par personne, du reste, mais encore moins lorsque je suis le client) », la patronne « qui se prend pour une diva (alors que, sérieusement, elle n’est pas la propriétaire de Chez Hortense, non plus) », mais surtout un service catastrophique et totalement désorganisé. Pour le tribunal de grande instance de Bordeaux, saisi en référé, le plus grave problème était le titre de l’article : « Il Giardino, l’endroit à éviter au Cap Ferret ». La presse nationale, puis européenne, puis mondiale s’est émue de ce qui était unanimement considéré comme une grave atteinte à la liberté d’expression. Maître Eolas, cet Arno Klarsfeld des temps modernes, qui a acquis sa célébrité sur Twitter, déclarait à l’Express qu’ « on a tout à fait le droit d’expliquer pourquoi on n’est pas satisfait, en mettant le titre que l’on veut », et que la pauvre blogueuse, qui s’est défendue seule, a été « naïve de croire qu’on peut s’en sortir en justice seulement avec sa bonne foi et son bon sens » puisqu’ « il y a des arguments à faire valoir et n’importe quel avocat aurait trouvé ». Les pages mentionnant le restaurant en question sur les différents annuaires sur internet sont devenus la cible de commentaires haineux de la part de clients qui ne se cachaient même pas de n’y être jamais allés, et la note de l’établissement sur TripAdvisor est passé en quelques jours de 5 à 1 – avant d’être à nouveau « manuellement » corrigée à la hausse. Le mal était fait, pour la blogueuse, condamnée, et si choquée qu’elle ne voulait pas faire appel, et pour le restaurant, qui en voulant entraver une publicité embarrassante est sans doute et pour son malheur devenu le plus connu de la région dans le monde.
Un message malheureux sur Facebook, et c’est le drame
Fin de l’histoire ? Pas totalement.
Dans l’océan d’articles outragés sur cette affaire, aucun n’a publié la totalité des motivations du jugement. La rédaction d’En-Contact se les est procurées. Et y a appris un « détail » particulièrement important, qu’aucun article n’avait cité : avant de publier son article, la blogueuse avait publié un message sur Facebook : « Très mécontente d’un restau. Du coup je vais pouvoir faire un article très très méchant. Ça tombe bien j’adore ça et je sais que vous aussi, gniark, gniark ». La cour s’est basée précisément sur ce message pour qualifier l’intention de nuire, nécessaire pour constituer le dénigrement. On peut tout à fait croire Caroline Doudet, qui jointe par la rédaction, précise, « parce que pour moi c’était évident mais apparemment ça ne l’était pas, que le statut FB cité était ironique ; il faisait référence au fait que dès que nous faisons une critique négative, on nous taxe de méchanceté ». Il n’en demeure pas moins que ce message, bien plus que l’article et même de son titre, était particulièrement malheureux, et que le Tribunal a tout à fait le droit de ne pas y voir l’ironie, qui, on le sait bien, n’est pas particulièrement bien transmise par les médias « froids », même avec des smileys. Maître Eolas, bien affirmatif dans ses commentaires sur l’Express, et contacté par la rédaction, a bien pris soin d’éviter d’évaluer ce moyen, et n’a pas voulu nous dire si au regard de ce message sur Facebook, il estimait fondée la décision du tribunal.
Moralité : si vous voulez relater votre « expérience client » dans tel ou tel troquet… évitez les effets d’annonce sur les réseaux sociaux. Même au deuxième ou au troisième degré.