Tech it easy !
Très (trop ?) focalisée sur les innovations made in USA, l’Europe risque de passer son bac techno au rattrapage, si elle ne s’approprie pas très vite la leçon que donnait David Rowan en une de Wired le 3 mars dernier : « It’s time to copy China ». Après une semaine de rencontres bridées en escapades débridées, JJ vous livre en exclusivité quelques pépites de son voyage d’étude à Shanghai.
Copycat me if you can
Il y a bien sûr le par trop exemplifié WeChat, qui ne sert pas moins qu’à appeler, chatter, visionner, acheter, réserver, QR flasher, microblogguer… Mais figurent aujourd’hui également au rang des Jacky Chan de la Tech Shiaomi et sa micro set-top-box, les Mi phones de Xiaomi et leurs cousins HueiHuei, snobant respectivement l’Apple TV et l’iPhone de Steve. Loin de se résumer à de simples copycats synonymes d’une fabrication cheap, ces champions « made in China » conçoivent, fabriquent, innovent aussi vite que leur ombre; coûts de fabrication microscopiques et diversification supersonique ne règnent plus seulement sur l’Empire du Milieu, mais dictent désormais leur loi, celle du « less is more », aux first-movers de la Silicon Valley. Comment ces ex nano champions ont-ils réussi à imposer de nouvelles règles du jeu pour surfer efficacement sur l’Océan Bleu mondial de la disruption ? Trois facteurs clés de succès (c’est Michael Porter qui le dit !) : un terreau industriel arrosé au low-cost, un marché interne de quelques 769 millions de Netizens, dont 520 millions d’e-buyers « m-greffés » à Internet, et des capitaux qui coulent à flots, siphonnant les fonds américains au détriment de leur propre patrie…
Avec tout de même un petit coup de pouce (- pousse ?) étatique… Il s’appelle « Internet Plus », se présente comme un plan d’action en 5 ans supposé garantir la cybersouveraineté par l’intégration d’Internet aux industries traditionnelles et favoriser par là même l’entreprenariat et l’innovation, au bénéfice de la croissance. Une vision stratégique insufflée par les grands patrons chinois, validée par le gouvernement puis déclinée en chantiers sectoriels dans lesquels universités, VC et start-ups sont invités à cogiter ensemble, co-working spaces et free-trade zones à l’appui. Et voilà comment d’une justification idéologique, le Great Firewall of China a donné naissance à une armée économique puissante et autonome, munissant ses soldats d’outils de blocage d’adresses IP et de filtrage d’URL pour empêcher les Facebook et autres Gmail de franchir cette muraille virtuelle.
« L’homme n’a pas envie de gouverner : il a envie de contraindre, vous l’avez dit. D’être plus qu’un homme, dans un monde d’hommes. Echapper à la condition humaine, vous disais-je. Non pas puissant : tout-puissant. »,
La Condition Humaine, Malraux
Un big brother dans le moteur ?
C’est fort de ces apprentissages que Frank Desvignes, Directeur de la Transformation Digitale d’Axa, est aujourd’hui l’heureux géniteur et grand ordonnateur de l’Axa Lab Asie. Il ne lui faut pas 6 mois et quelques 150 pitchs de start-ups ingurgités pour comprendre que c’est à Shanghai, plus internationalisée que Pékin, moins financiarisée que Hong Kong, hollywoodisée que Séoul et disneylandisée que Singapour, que les choses se passent. C’est du reste ici même que naissait il y a un an Axa Drive, l’appli chouchoute du groupe désormais présente dans 20 pays, qui vous permet d’évaluer votre comportement au volant. Frank Desvignes est fier de nous présenter ce copilote virtuel, gratuit et faisant de l’ombre au gang des Candy Crush & Cie dans le top 10 des téléchargements sur mobile : il vous évite en effet les bouchons grâce à un système d’alerte permanent sur les aléas du trafic, note votre vitesse, vos freinages trop brutaux et calcule ainsi votre score de conduite pour vous aider à l’améliorer… et Axa à collecter de précieuses données. Bref, un véritable moniteur d’auto-école, mais surtout un espion de choc pour ouvrir les boîtes noires de nos véhicules.
Mais pour aller explorer les nouveaux territoires du Big Data, Axa n’entend pas se cantonner à l’assurance automobile : il s’agit en effet de s’inspirer des best practices chinoises en matière d’insure tech en se rapprochant des start-up branchées santé ou habitation : citons Top Dock, un Trip Advisor médical proposant aux habitants de la Chine continentale une option « Care Voice » classant médecins et hôpitaux. Ou encore Tongju Bao, premier assureur de mariage peer-to-peer, qui garantit à ses utilisateurs une somme d’argent en cas de divorce. Une sorte d’enveloppe rouge 2.0 qui connecte la technologie aux mœurs traditionnels… Ça bouchonne aussi sur le boulevard de l’entertainment : tandis qu’Alibaba Express, première de classe dans l’App store, crie le ras-le-bol d’Amazon, Youku Tudou, le YouTube chinois désormais dans le giron du groupe éponyme, bouillonne d’initiatives pour aller séduire les jeunes Occidentaux. Comme si les 850 millions de vidéos vues chaque jour sur sa plateforme ne lui suffisaient pas… Wen Rui, Directeur du Développement International, nous parle « virtual gifting », « hard-Ad », « view & buy », « branded/customized/crowdfunded content » pour qualifier ce qu’il appelle les « couteaux suisses » qui coupent dans l’arbre de l’écosystème du streaming les fruits juteux de la fan économie. Autant dire qu’on sent vite un peu moyen-âgeuse notre tendre fidélité à Dailymotion…
Bref, en Chine, tout se passe comme si le régime politique qui l’encadre avait judicieusement imposé son préfixe à l’économie qui le sous tend : co-créer, commercer, collecter : la socialisation des données et des idées, voilà un beau sujet de dissertation pour une ville « intelligente » comme Shanghai.
Joséphine Jacquinet