« Ce livre noir sur le service client, c’est pour tous les Travis Bickle »
Dans quelques semaines, le 8 décembre, sortira un livre au titre énigmatique Le livre noir du service et de l’expérience client. Bob Woodward, du Washington Post, en a lu les épreuves et interroge l’un des co-auteurs du livre, Paul Schrader (alias Manuel Jacquinet).
Bob Woodward : Vous écrivez dans la préface que l’ouvrage est destiné aux chauffeurs de taxi, aux morts de faim, à tous les Travis Bickle qui veulent séduire Betsy…
Paul Schrader (MJ) : C’est bien ça, vous l’avez lu, enfin au moins la préface, bravo.
Tout le monde crée sa petite entreprise aujourd’hui, pour devenir livreur de pizzas, développeur web, aide-malade ou chauffeur de taxi ou de voiture noire. 50 023 entreprises ont été créées en France en septembre et parmi celles-ci, 29 603 sont des micro-entreprises. C’est formidable de voir autant de gens qui décident de prendre leur destin en main. Mais le monde dans lequel ces chauffeurs de taxi, ces « warriors » arrivent ressemble à celui que décrit Travis Bickle au début de Taxi Driver : il est souvent rempli de violence, sale et les gens peuvent être fous. J’ai écrit un livre, non pas de mécanique ou sur comment programmer en open-source ou réparer son pare-brise, je n’y connais rien. J’ai écrit un manuel de survie en service client, un manuel de chirurgie d’urgence pour le Customer service, pour aider Travis à faire la différence sur le service. En résumé, si vous avez une voiture noire et l’envie de gagner votre vie, j’essaie de vous expliquer, avec les deux « docteurs » qui ont relu et validé mes textes, comment faire face à toutes ces situations auxquelles vous risquez d’être confronté et comment les gérer, avec les bonnes attitudes et parfois l’aide de la technologie.
Le premier chapitre commence par anytime, anywhere, anywhen, c’est un principe clé du marketing des services clients ?
C’est ce que dit Travis au recruteur de la société de cabs lorsqu’il vient pour l’embauche. Il est prêt à faire la nuit, le jour, aller partout. Le scénariste du film, il avait du vécu et le sens de l’anticipation (sourires, c’est moi). Aujourd’hui, le commerce également c’est anytime, anywhere, anywhen ce qui est à la fois une opportunité et une vraie contrainte. Etre motivé comme l’est Travis ne suffit pas, il faut garder le sourire, quelles que soient les circonstances, répondre au téléphone, au chat et également à vos clients fidèles qui peuvent vous demander une course à 3 heure du matin, gérer des injonctions contradictoires. Multicanal, glocal, seamless, cashless comme ils disent chez Accenture et d’autres.
Accenture ? C’est une nouvelle compagnie de taxi ? Un scénariste pote à vous ?
Bob, il faut vraiment que tu prennes du Guronsan svp ! Accenture, ils font la même chose que moi : ils écrivent et racontent des histoires. Mais eux et d’autres, qui sont très bons d’ailleurs, leurs livres, ce sont des livres blancs. Et je ne sais pas d’ailleurs comment ils s’en sortent parce qu’en plus, ils les donnent gratuitement, sur internet, et ils ne sont même pas imprimés leurs livres. Ah vraiment, tout a changé.
Paul, votre livre à vous, c’est pas pareil ?
Ah non non, depuis le temps que je rame à vendre mes scénarios, pour une fois que quelqu’un m’en achète un, je ne le donne pas gratuit. Moi, j’ai écrit un livre noir.
C’est anxiogène, non ?
Mais non pas du tout, noir, c’est classe. Soulages, c’est noir. Karl Lagerfeld, il est souvent en noir. Ce livre, c’est un vrai livre pour sortir du noir et t’emparer, si tu lis bien tous les chapitres, de la Black Card.
Pourquoi la Black Card ?
Bob, t’as été un bon journaliste, un grand journaliste, mais il faut vraiment que tu sortes de ton bureau et que tu passes le périphérique. Travis et ses copains, qui font des métiers difficiles, qui prennent des risques, sont prêts à travailler n’importe quand, n’importe où, doivent remplir des papiers pour tout, tu crois quoi ? Et bien moi je vais te le dire, s’ils font tout ça, c’est pour avoir un jour la Black Card et plus la carte Mozaic ou le compte Nickel. (Mozaic, la carte qui te bloque au DAB dès que t’as mangé 3 sandwichs catégorie 2 au Subway.)
Bon, admettons. Mais Travis, il devient fou, il part en vrille quand même ?
C’est pas faux, mais à la fin, il s’en sort. Et puis Bob, c’est une métaphore cette référence : le service client c’est savoir gérer des situations difficiles comme tous les chauffeurs de taxi, rencontrer Iris, tenter de séduire… Betsy.
Betsy ?
Apparemment, tu as oublié tes classiques, purée. Betsy, c’est la femme blonde – dans le bureau du sénateur Charles Palantine – dont Travis tombe amoureux et qu’il cherche à rencontrer, et avec laquelle il veut sortir. Betsy c’est le grand client, le key account que tu cherches à conquérir quand tu as survécu aux premières années de galère. Là aussi, mon livre te donne des bonnes pistes, les tips pour ne pas louper les moments décisifs. C’est comme pour la femme de ta vie. Et au début, Travis s’y prend mal : il emmène Betsy voir un film porno. Si j’étais consultant, je dirais que le premier contact de Travis avec Betsy lors du parcours client n’est pas approprié. Ce fameux moment of truth, Travis le rate, le saccage : il aurait disposé du livre que ça ne lui serait pas arrivé !
Ah bon, ça aurait pu se passer autrement ?
Bien sûr, il fallait qu’il s’informe, Travis, qu’il pratique la connaissance client, la personnalisation, comme ils disent maintenant.
Ok, je commence à comprendre la métaphore… En fait, ça n’est pas un livre comme les autres. Et d’ailleurs, c’est ce que j’ai aimé ; tout est court, écrit avec des mots simples, des images, des références à des films et des musiques… Paul, dis-moi une chose, tu ne sais pas écrire des grandes phrases ?
Dans une précédente vie, j’ai galéré moi aussi, j’ai formé des milliers de personnes, créé des call center, etc. Tout ça m’a appris deux ou trois trucs : les gens ne lisent plus beaucoup sauf si c’est utile, rigolo, indispensable ou gratuit. Et souvent, Travis et ses copains lisent sur leurs smartphones. Le reste du temps, ils écoutent de la musique ou regardent des films.
Alors, comme on est readers focused, les co-auteurs et moi avons sélectionné ce qui nous paraissait indispensable. Textes courts, images chocs, bande son.
La bande son ?
Bob, ce bouquin coûte 19 €, et pour quantité de gens, c’est beaucoup d’argent. Ma promesse, c’est que ce soit de l’argent bien investi. Pour le prix d’une course, on offre : les 30 bons conseils de chirurgiens du service client, des podcasts à écouter où on veut pour s’entraîner et une bande son qui déchire.
Tu veux dire des séquences musicales ?
Parfaitement Bob, ça me fait plaisir quand tu percutes. La musique adoucit les mœurs (ça, c’est pas de moi). Et ça peut également remplacer Vivaldi en musique d’attente. Sais-tu seulement quel est le premier conseil donné dans ce livre ? Soignez la musique d’accueil de votre standard ou l’annonce de votre messagerie. Les gens en ont marre d’attendre, mais de temps à autre, on ne peut pas faire autrement que de les faire attendre, à la station de taxi, aux urgences des hôpitaux etc. Taxi Driver sans la musique de Bernard Herrmann, c’est quand même pas le même film ! Le deuxième conseil, c’est de faciliter les paiements.
Accorder des facilités de paiement ?
Pas du tout, ça c’est la mort de ta petite boite. Avoir un TPE (la machine pour prendre la carte bleue) ou mieux, être cashless, le paiement sans contact quoi. La technologie, ça aide parfois !
Correct, je vois que t’es bien informé et qu’on a les même goûts. Tu me diras, c’est un peu normal, vu qu’on est de la même époque.
Exactement Bob. Tu sais qu’on a un autre point commun ?
Ah non, lequel ?
Dans le livre, on parle aussi d’enregistrements de conversations, tu verras. Faut que tu poursuives la lecture même si on te l’a filé gratuit.
Un entretien rédigé par Manuel Jacquinet (Paul Schrader ? )
La suite des entretiens et conversations, semaine prochaine.
Mais pourquoi donc Bob Woodward interviewe t’il Paul Schrader ?
Une observation statistique rigoureuse de la corrélation entre la force et l’intérêt d’ouvrages puissants, indispensables tels que Et si c’était vrai (Marc Levy), Prenez votre santé en main (Dr Frédéric Saldmann), Comment je m’habille aujourd’hui (Inès de la Fressange) et le nombre d’articles qui en relaient la sortie… indique que cette corrélation n’est pas avérée.
Le Rivage des Syrtes (Julien Gracq), s’il était publié aujourd’hui, ne passerait probablement pas chez Ruquier ou ne serait pas critiqué dans les Inrockuptibles ; Les Barbares (Alessandro Baricco) n’a bénéficié d’aucun relais lors de sa publication, bien que ce soit un bon livre. C’est comme ça.
Alors un livre sur le service ou l’expérience client, vous imaginez !
On s’est donc translaté dans une autre époque, dans une autre galaxie. Dans celle-ci, un grand journaliste d’investigation tel que Bob Woodward (qui contribua avec son collègue Carl Bernstein aux révélations du Watergate) s’intéresse à l’ouvrage. Il en interroge l’un des auteurs, Paul Schrader (célèbre scénariste et metteur en scène notamment de Taxi Driver, de la Féline, de Raging Bull, American Gigolo etc.).
Si Paul Schrader a écrit ce livre, c’est qu’il est capable d’écrire un scénario en 5 jours (comme il le fit pour Taxi Driver) et que ce manuel de chirurgie du service client – comme il est précisé dans la préface, est destiné à tous les Travis Bickle.
NB : Travis Bickle, originaire du Michigan, ancien marine, est le chauffeur de taxi de nuit du film de Martin Scorcese, Taxi Driver. Dans les faits et dans la réalité, le livre a été écrit par Manuel Jacquinet avec les témoignages et la vision scientifique de 2 grands « docteurs » du service client : Patrick Giudicelli (Akio) [ Voir article : Le Docteur Justice du multicanal et de l’expérience client ] et Frédéric Godefroy (Sereneo) [ Voir article : Les process mal expliqués compromettent-ils l’expérience client ? The Vueling Case ].