La start-up Midnight Trains, dépassée par ses ambitions, abandonne
En rubrique « Nécrologie des sociétés »: Midnight Trains née en 2020, fondée par Adrien Aumont et Romain Payet, respectivement co-fondateur et secrétaire général de la plateforme de financement participatif KissKissBankBank, annonçait son décès le 1er juin dernier.
Suite à l’ouverture du rail à la concurrence des acteurs privés en 2020, Midnight Trains avait eu l’idée de relancer le train de nuit en Europe en connectant la France, l’Espagne, l’Italie, le Portugal, le Danemark avec des trains confortables, selon le mot des fondateurs : des « hôtels sur rails. » Chambres avec salle de bains, restaurant, wifi, les fondateurs vendaient l’idée d’un renouveau du train de nuit pour les longs voyages face à l’impasse environnementale de l’avion sur les longs trajets. Le tout était promis pour 2024.
Des difficultés à lever des fonds
Toutefois, la start-up française n’a pas réussi à mettre un seul wagon sur les rails en quatre ans. Dans sa lettre finale, humblement intitulée : « Ici meurt la nuit », Adrien Aumont fait le bilan de cet échec de Midnight Trains, en l’imputant principalement à la réticence des investisseurs couplée au désintéressement des pouvoirs publics. La société a seulement réussi à rassembler 1,3 million d’euros auprès de fonds d’investissements VC, notamment Kima Ventures de Xavier Niel. Les fondateurs espéraient 5 millions d’euros. Adrien Aumont explique : « Nous aurions dû nous rendre compte très rapidement que le ferroviaire n’était pas prêt à s’ouvrir à de nouveaux entrants privés. L’argent et l’énergie des pouvoirs publics sont concentrés sur les énergies. »
Des coûts démesurés pour la petite start-up
Les coûts à l’achat pour un train complet de 14 voitures sont estimés par les cofondateurs entre 30 et 40 millions d’euros, une somme énorme au regard de la levée de fonds et de l’ambition de connecter toute l’Europe de l’Ouest. Confrontée à ces coûts exorbitants pour lancer l’activité, Midnight Trains décide de se tourner vers la location auprès d’une ROSCO (Rolling Stock Company), une société louant du matériel ferroviaire. Les fondateurs font des mystères sur leur choix de partenaire pendant des années, se contentant de préciser fin 2023 avoir arrêté leur choix sur une ROSCO non européenne, sans plus de détails. Toutefois, avec des financements insuffisants et l’absence de garanties de la part des pouvoirs publics français, Midnight Trains soupçonne en mars 2024 être « lâché » par le partenaire ferroviaire en question, qui ne leur répond plus. Les fondateurs restent toutefois accrochés à l’ultime espoir d’un revirement de la ROSCO, dont le directeur aurait des enfants amoureux de Midnight Trains : « Ses enfants lui demandent de le faire. Pour le futur, pour la décarbonation, pour eux. » C’est un refus définitif fin mai. Quelques jours plus tard, Adrien Aumont décrète définitivement : « Ici meurt la nuit ».
Le train de nuit, un renouveau difficile à cause du monopole de la SNCF ?
Il y a néanmoins de plus en plus d’opportunités pour profiter du train de nuit. La SNCF a lancé plusieurs offres de train de nuit sur plusieurs lignes depuis 2021 : Paris-Nice, Paris-Tarbes-Lourdes, Paris-Aurillac, Paris-Berlin et Paris-Vienne.
Face à ces nombreuses ouvertures, le train de nuit semble pourtant rencontrer un franc succès. Les fondateurs de Midnight Trains évoquaient le fait que la SNCF aurait cherché à tuer toute concurrence en abusant de sa position dominante, sans toutefois apporter de preuves. A l’appui de cette hypothèse, on observera cependant que l’équivalent néerlandais de Midnight Trains, European Sleeper, annonçait en mars dernier vouloir saisir l’Autorité de régulation des transports, considérant que la SNCF bloquait son projet de ligne liant Amsterdam et Barcelone en organisant de manière anarchique les travaux. « Nous avons besoin de pression politique pour que les Français soient conscients qu’ils ne causent pas seulement des problèmes à la France elle-même, mais aussi aux régions et pays voisins », expliquait son dirigeant, monsieur Van Buuren, au journal barcelonais La Vanguardia.
Les offres de train de nuit
Pour prendre un train de nuit sur une ligne de la SNCF, il faudra compter sur des tarifs à partir de 19€ pour une place assise, 29€ pour une couchette et 150€ pour un espace privatif. En Europe, c’est l’Autriche qui se distingue avec sa culture du train de nuit, qu’évoquait la revue « La vie du rail magazine » au printemps dernier. La ligne Paris-Vienne est notamment opérée par un partenariat entre la SNCF et ÖBB, la compagnie ferroviaire autrichienne. Pour prendre un nightjet, le nom donné aux trains de cette ligne, les prix varient entre 30 et 300€, suivant le format place assise/couchette/espace privatif. Il y a également le légendaire Orient Express, dont l’offre s’est largement tournée vers le luxe : les tarifs des billets, difficilement accessibles, se chiffrent dans les milliers d’euros pour un Paris-Venise, comptez plus de 15 000€ pour un Paris-Istanbul. Enfin, hors de l’Europe, l’Australie est également connue pour ses lignes de nuits, notamment le train Ghan et l’Indian Pacific qui sillonnent de bout en bout le sous-continent.