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Kebab : salade, tomate… pognon !

Publié le 15 décembre 2021 à 10:02 par Magazine En-Contact
Kebab : salade, tomate… pognon !

Désormais concurrencé par le Tacos, le Kebab reste un des business les plus lucratifs de la street-food, à condition de ne pas compter ses heures et de fidéliser sa clientèle notamment grâce une hygiène irréprochable.

Souvenez-vous d’Al Pacino dans Le Parrain : la première chose qu’il fait avant de parler business avec les agresseurs de son père, Marlon Brando, c’est d’aller vérifier la propreté des toilettes. Même topo dans les kebabs : si c’est propre et que ça sent bon, c’est que ça doit être mangeable ! A Paris, la meilleure adresse semble se situer au 43, rue des Batignolles, dans le 17e. Chez Bodrum. Question « Döner », ce Turc vaut le détour. Rien qu’à l’odeur, on pressent la différence. La viande (du veau essentiellement) y est marinée avec une sauce dont la recette reste secrète depuis 25 ans. Elle est à tomber. Les frites et le pain, fait maison, sont excellents, à la fois craquant et fondant sous la langue. Et je ne vous parle pas de la sauce blanche ! Oubliez le ketchup, une hérésie réservée aux burgers. Résultat : ll y a toujours une file d’attente devant chez Bodrum, père & fils. Il faudra donc vous armer de patience, si vous ne venez pas tôt, pour goûter le savoir-faire d’un kebab adoubé par Fred Chesneau, le cuistot bourlingueur de Canal +. Autre adresse à recommander : le Délice Jussieu, au 4, rue Linné dans le 5e, récemment classé parmi les cinq meilleurs kebabs de France. De Boulogne à Marseille : la réputation se fait de bouche à oreille. Il existe bien un classement des meilleurs kebabs de France sur Google mais il est subjectif car il n’existe pas de Guide Michelin du Kébab.

Un peu d'histoire… 

Le döner kebab est arrivé en France à la fin des années 1980, avec l’immigration turque. Il s’est diffusé et a été modifié par l’importante communauté de migrants d’Afrique du Nord, habitués à consommer de la viande grillée avec du pain plat. Le kebab a néanmoins conservé son image de nourriture à consommer sur le pouce : un sandwich rapide à faire et bon marché, préparé dans une petite échoppe et nécessitant peu d’investissement, d’équipement et de qualification. En Allemagne, où vit une importante communauté turque, le döner kebab est à ce point entré dans les mœurs que Berlin compte désormais plus de vendeurs de kebab qu’Istanbul ! La rumeur veut que l’unique, le meilleur kebab de Berlin, c’est-à-dire le meilleur kebab du monde, se trouve au U-Bahnhof Mehringdamm, dans le quartier de Kreuzberg (ancien quartier branché « gentrifié »).
La chancelière Angela Merkel y a été photographiée à plusieurs reprises à côté de ces énormes pièces de viande à la broche. Au Royaume-Uni, l’industrie du kebab célèbre chaque année la remise des British Kebab Awards, à laquelle participent plusieurs parlementaires. Parmi les récompenses, on trouve donc “le meilleur kebab de Londres à emporter” et le “meilleur nouveau vendeur de kebab”.

50 nuances de Grec… Allemand !

Le kebab est souvent appelé familièrement sandwich grec, voire grec. Cette appellation erronée - et pratiquement inconnue dans les autres régions de France - trouve son origine dans l'apparition, dans les années 80, de vendeurs grecs de Gyros (spécialité grecque très proche du kebab mais à base de pain pita), dans le 5e arrondissement de Paris (quartier Latin, rue de la Huchette et rue Mouffetard). Mais le kebab n’est ni grec, ni turc, il est allemand, comme on vous l’a dit. Ja ! Ja ! Kebab vient du turc « Kebap » qui signifie « grillé » et « döner », tournant ou rotatif. Il s’agit de viande grillée sur rôtissoire. 
Le géographe de l’alimentation Pierre Raffard confirme que le kebab est une tradition des peuples turcs nomades d’Asie centrale. Il faut cependant attendre le début du XIXe siècle pour que le kebab apparaisse, sous forme de sandwich, dans les villes ottomanes, notamment par le biais d’échoppes ou de vendeurs de rue. En France, et particulièrement en banlieue parisienne, le kebab a longtemps fait partie de la culture rap, dans les années 90-2000. Ce sandwich bon marché et préparé à base de viande halal rencontre une grande popularité auprès des jeunes issus des quartiers populaires, souvent d'origine étrangère et de culture musulmane. De nombreux rappeurs ont fait référence au sandwich (souvent en utilisant le terme grec) dans leurs morceaux, comme le fameux Booba (« Je représente la banlieue comme un grec-frites », Le Duc de Boulogne, 2006 et Salade tomates oignons), mais aussi La Fouine (« On restait au square à se partager à vingt un grec-frites », Mes Repères, 2009).  Le premier drive kebab au monde a été ouvert en France dans l'Aisne en 2013.

Delices Jussieu - © Emil Hernon

La Kebab Academy

Aujourd’hui, le sandwich se « démocratise », grâce à la « gentrification » (boboland s’encanaille à Montreuil) à toutes les classes sociales et devient l'un des sandwiches les plus consommés par les français, notamment chez les jeunes et les étudiants. Même si le Tacos commence à le concurrencer, notamment en région. Un succès qui s'explique par l'aspect pratique de ce sandwich mais aussi par son prix. Les Français désirent en moyenne en 30 minutes à midi et remettent ça à minuit, le week-end. Les jeunes, notamment, contraints par leur pouvoir d'achat (ils dépensent rarement plus de 7 euros pour manger), apprécient ce plat peu cher et nourrissant ; comme le fameux taco d’ailleurs (qui n’a pas grand-chose à voir avec le véritable taco mexicain), très à la mode en ce moment.
Un certain nombre de restaurants kebabs « haut de gamme » voient le jour, proposant des sandwiches plus onéreux que les kebabs « classiques », parce que préparés à base d'ingrédients de qualité, parfois issus de l’agriculture biologique (cf le label Bionoor tendre France). Ces kebabs, souvent situés dans les quartiers branchés des grandes villes, sont à destination d'une clientèle plutôt urbaine, relativement aisée. En 2013, l’excellent artisan boucher Hugo Desnoyer s’est associé avec un chef français et un dernier partenaire pour ouvrir Le Grillé, sur la rive droite, à Paris. Il y sert des « kebabs de luxe », dont l’un comprenant du veau de lait. 

Depuis 2012, la Kebab Academy de Saint-Lô en Normandie forme même ses étudiants à l’art du kebab. Depuis les cuisines du luxueux hôtel Mandarin Oriental, Thierry Marx (deux étoiles au Michelin) fait la guerre au racisme culinaire : il confectionne, lui aussi, son kebab : « J’ai grandi dans un quartier difficile de Paris avec des immigrés d’une centaine de nationalités, explique Thierry Marx, qui dirige également une école de street food dans l’est de la capitale. Tout le monde n’apprécie pas que je prépare ce genre de cuisine mais les symboles sont importants pour moi. La street food est un moteur d’intégration » La preuve à Marseille, où les consommateurs de Kebabs seraient aussi nombreux que les amateurs de pizzas. Mais attention, la concurrence est vive et la tendance est au Tacos made in France !

Le kebab en quelques dates et chiffres :

1972 : naissance officielle. En 1972, Kadir Nurman, jeune Turc installé à Berlin, décide de créer un sandwich facile à transporter, en adéquation avec le mode de vie des Berlinois. En d’autres mots, les travailleurs n’avaient pas le temps de s’asseoir pour la pause-déjeuner. Il ouvre alors son restaurant et propose un sandwich à base de viande grillée et de petits légumes. Sans frites. Le kebab est né. Mais il aurait, en réalité, été inventé en 1971, à Berlin, par un certain Mehmet Aygün, immigré turc, qui s’est fait piquer le concept.
5 euros en moyenne. En France, où la plupart des restaurants proposent des salles pour manger assis, le kebab est vendu en moyenne 5 euros, un prix supérieur à celui affiché par nos voisins européens, notamment en Allemagne, leader sur le marché. Le célèbre sandwich est ainsi vendu environ 4 euros en Espagne, 4,50 euros aux Pays-Bas et seulement 2 euros en Allemagne. En Turquie, il coûte environ 1 euro. Au-delà de 7 euros, un kebab se vend plus difficilement. Avec une moyenne du prix du kebab à 5 euros, la moyenne du chiffre d'affaire de chaque restaurant avoisinerait les 380 euros par jour, soit 138 000 euros par an. En considérant 200 grammes de viande comme la moyenne servie dans un sandwich… nous consommerions donc en France 56 000 tonnes de viandes à kebab par an, soit 153 tonnes par jour. La broche type consommée, en moyenne par jour et pour chaque restaurant, serait donc de 15kg environ. Le coût de la matière première, nécessaire à la confection d'un kebab, se situe aux alentours des 0,85 centimes. Ce qui fait que les coefficients sont de l'ordre de 5, hors charges fixes. Pour un restaurant classique, le patron est content lorsque les coefficients atteignent 3 et cela est tout de même assez rare. Le prix de revient n'étant pas le même. Bien géré et avec l'idée marketing choc, le restaurant de type kebab peut vite devenir rentable… A condition de ne pas avoir peur de faire 70 heures par semaines, debout, par 45° en été, et de finir après minuit.
La moyenne du chiffre d'affaire de chaque restaurant avoisinerait les 400 euros par jour, soit plus de 130 000 euros par an. La broche type de viande à kebab rapporte en France environ 400 euros de marge brute. Si on compte 200 grammes de viande par kebab, la consommation de viande à kebab en France serait de 56 000 tonnes par an, soit 153 tonnes par jour. (A comparer à 120 000 tonnes en Allemagne, statistique annoncée lors du Döga, le salon allemand du kebab.) 
Plus de 1000 calories par kebab. Un kebab (avec frites) contient plus de 1200 calories en moyenne, soit plus de la moitié des apports quotidiens nécessaires. Le pain environ 400 calories, la sauce 100, la viande 300, les légumes 50, et les frites 400. 
300 millions par an. Il y a environ 11 000 restaurants kebabs recensés en France, soit le deuxième parc de restaus à kebab en Europe, en nombre d'unités, après l'Allemagne (+ de 15 000 établissements et un chiffre d'affaires de plus de 3.5 milliards). En France, on consomme plus de 10 kebabs par seconde. Plus de 300 millions de kebabs sont vendus, en moyenne. Soit une progression de 8.2% depuis 2009, où 257 millions de kebabs avaient été engloutis. Le kebab a généré un chiffre d'affaires de plus de 1.5 milliards d’euros en 2018. 
En Allemagne, le kebab dépasse les fast-foods McDonald’s et Burger King, pris séparément. Selon certaines études, on mange en Allemagne quatre fois plus de kebabs que de hamburgers. Chez nous, les kebabs constituent 14 % des sandwiches vendus, soit la moitié des sandwiches hors « sandwich baguette ».

Restaurant Bodrum - ©  Emil Hernon


99 %. Le kebab est un marché détenu à plus de 99 % par des indépendants. En France, peine une trentaine de restaurants sont sous franchise, partagés entre les 2 acteurs Nabab Kebab, et O'Kebap, mais le marché se consolide très vite avec des chaînes ambitieuses au développement agressif.
835 euros. Franck Ribéry n’a rien inventé (critiqué récemment pour avoir mangé un steak couvert de poudre d’or). En juin 2011, à l'occasion du lancement de l'émission The Great Food Truck Race, diffusée sur Food Network, le chef britannique Andy Bates avait créé un luxueux kebab, vendu 1.225 dollars, soit 835 euros. Ce sandwich, record du kebab le plus cher au monde, était composé de champagne, de safran et même d'une feuille d'or comestible. Depuis, plusieurs établissements parisiens se sont lancés dans le kebab de luxe, en vendant des sandwichs à 8 euros. 

Comment repérer un fast-food kebab qui manque d’hygiène ? 

Pensez à Al Pacino dans Le Parrain…  Et observer la broche sur laquelle tourne la viande. Selon les normes sanitaires, une broche de viande ne doit pas être utilisée plus d’une journée. Les kebabistes ont donc l’interdiction de vendre de la viande sur une broche non terminée la veille : ils ont l’obligation de la jeter en fin de journée. (Tous les restaurants ne le font pas malheureusement, pour limiter le gaspillage alimentaire…). Si la broche est anormalement noircie, c’est souvent le signe que la viande a tourné trop longtemps : cela peut être dû à un manque de client (la broche tourne et tourne…) et que c’est du veau.

• Si vous voyiez que le restaurateur rallume la broche tournante uniquement lorsqu’un client entre dans le restaurant, fuyiez : vous ne pourrez pas savoir pendant combien de temps elle était arrêtée. Or, une broche de viande ne doit jamais s’arrêter de tourner au risque de baisser en température et d’être contaminée par des bactéries qui pourraient s’y proliférer.
• Prêtez également attention à la viande déjà découpée qui attend dans le bac, on ne sait pas depuis quand celle-ci y repose. 
• Observer les crudités : salade et tomates ne doivent pas être flétries ou noircies. 
• Il est également important de regarder si les bacs à crudités sont bien placés dans un compartiment réfrigéré et si ceux-ci sont bien protégés par une vitrine à l’abri du passage des clients. 
• Observer les sauces : méfiez-vous surtout des pots de mayonnaises qui traînent toute la journée sur les tables… Les embouts des pots de sauces sont-ils propres ? Des embouts incrustés de sauce ternie sont à écarter…
• Observez la vitrine réfrigérée : les ingrédients sont-ils bien stockés au frais et à l’abri des clients ?
• Observez la viande : si les bords sont secs et foncés, c’est mauvais signe ! Demandez à ce que la viande soit bien cuite : la cuisson comporte moins de risque d’être contaminé par les bactéries, car elle permet leur destruction.
• Observez le chef-cuisinier : cheveux attachés, tablier, gants pour manipuler la viande. Vérifiez leur tenue : c’est un gage de confiance. Méfiez-vous également si la personne qui prépare votre sandwich touche aussi la monnaie avec les mêmes mains…
• Enfin, allez faire un tour aux toilettes : la propreté des toilettes d’un restaurant est représentative de l’ensemble. D’autant plus que les employés du restaurant utilisent les mêmes toilettes que les clients.

Par Jérôme Beauregard

Photo de Une : Delices Jussieu - © Emil Hernon

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