Interview de Daina Tritz, directrice de la Relation Client 118 218 le numéro
Piloter des prestataires de culture, de religion ou de mentalité totalement différente apprend l’humilité : ce moment où l’on comprend qu’on peut ranger au placard toutes nos idées préconçues sur bien des sujets.
A l’instar de Daïna Tritz, on peut découvrir par hasard le télémarketing et finir par vivre et développer toute une carrière, jusqu’à l’international, dans la relation client.
Quelques instants passés avec la directrice de la relation client du 118 218 suffisent à nous apprendre que ces aboutissements ne sont pas le fruit du hasard : on pressent vite chez cette executive lady diplomatie, sens de l’organisation, ouverture internationale, etc. Mais également des interrogations encore en suspens : sur les différences culturelles, sur l’avenir du métier, sur l’impact humain de ses décisions d’« acheteuse ».
En-Contact : Pouvez-vous nous décrire les étapes importantes de votre parcours ?
J’ai suivi une formation initiale en commerce international, avec une spécialisation sur le monde arabe dans le but de devenir diplomate. J’ai découvert le métier en travaillant comme téléconseillère pour Téléperformance pendant mes études. Six mois après mon diplôme, en 1994, j’ai rejoint Twinner en tant que chef de projet. Cette filiale d’Europ Assistance gérait le plateau téléservices de la société mère, mais 90% de l’activité de prestation s’opérait pour des banques, des sociétés d’assurance, des constructeurs automobiles, des missions de gestion de crise, etc. J’ai été rapidement promue responsable de la production, puis directrice de département à seulement 28 ans, avec des prérogatives couvrant tant le développement, le conseil que le pilotage des équipes. Je gérais des clients tant pour de l’appel sortant que pour de l’entrant, tant en BtoB qu’en BtoC, et cette première étape m’a confortée dans l’idée que je me plaisais dans les métiers de la relation client. J’ai ensuite rejoint la SSII Atos Origin en me spécialisant d’abord sur la création de sites de gestion de la relation clients pour les grandes sociétés de télécommunications, puis pour des missions d’audit, qui m’ont amenée à travailler en externe pour SFR, société que j’ai fini par intégrer pour une mission de création d’activité cette fois, autour de la valorisation du parc client. J’ai rejoint le 118 218 en Juillet 2005, en tant que Directrice de la Relation Client au moment où le poste a été ouvert, c’est-à-dire avant la première dérèglementation des services de renseignements qui date de novembre de la même année. On m’a confié trois missions : une mission de consultation pour choisir nos prestataires et nos destinations d’implantation, le pilotage de notre activité qui constitue notre cœur de métier et l’enrichissement de l’offre avec les autres départements. Nous étions en « mode start-up », c’était une véritable expérience de création de structure, et c’était la première fois que je travaillais à l’offshore, plus particulièrement avec les pays arabes. Je retrouvais enfin un lien avec ma formation initiale !
Quelles sont les difficultés, les satisfactions au quotidien de vos fonctions ?
On a fait du renseignement téléphonique en France en période de démarrage, et quand on externalise en France, c’est extrêmement basique. Cela se complexifie quand, pour des raisons économiques, on décide de soustraiter la prestation à l’offshore. Le client final considère que le service a zéro valeur ajoutée ; il ne peut pas concevoir qu’on ne comprenne pas sa demande, qu’on ne puisse pas répondre en moins de 50 secondes, qu’on soit en Afrique et qu’on ne sache pas ce que signifie pompes funèbres ou carte grise. Toute la complexité de cette activité réside dans la capacité à la rendre accessible à des opérateurs qui montrent au client que sa demande est comprise immédiatement, sans avoir à le faire répéter ou épeler plusieurs fois, sur des questions de culture générale qui sont complètement dé-corrélées de leur quotidien : on ne sait pas ce qu’est une station de ski à l’île Maurice. Nous les formons donc sur toute une série de thématiques qui ont trait à l’existence d’un Français de la naissance à la mort. En France, la formation dure une dizaine de jours, à l’étranger six semaines. On a du investir énormément en formation, car si nous ne pouvons répondre correctement en moins d’une minute, le client n’a aucune raison de nous rester fidèle. La publicité ne sert à rien si on ne peut pas conserver le client grâce à la qualité de notre service.
A cet égard ma connaissance du monde Arabe et ma formation initiale m’ont énormément aidée à comprendre la variable culturelle. L’approche colonisatrice qui consistait à arriver en se disant qu’on allait tout apprendre à nos prestataires est révolue, il faut aujourd’hui avoir l’humilité de reconnaître que certains de nos prestataires au Maroc offrent une qualité de prestation supérieure à ce qu’on pourrait trouver en France. Mais si ma double culture m’a aidé pour notre implantation au Maroc elle n’a pas suffi pour appréhender les problématiques liées à notre implantation à l’île Maurice, où j’avais cru, à tort, qu’un simple copié collé de la stratégie marocaine suffirait. Le délai de montée en compétence a été un peu plus long. A l’offshore, c’est à nous de nous adapter à la culture locale, non pas l’inverse, et c’est ensuite seulement que nos sous-traitants s’adaptent au client.
Pour ce qui est des satisfactions, la première est liée au fait que nous soyons devenus leader sur le marché, largement devant l’opérateur historique. De plus, lorsque nous négocions avec un prestataire au Maroc, à Madagascar, au Bénin ou dans tout autre pays déshérité, nous pensons à ce que cette activité va apporter à l’économie locale et aux familles sur place. Par ailleurs c’est un véritable plaisir de travailler au quotidien avec des partenaires d’une culture, d’une religion ou d’une mentalité totalement différentes.
Comment le métier a-t-il évolué depuis que vous êtes dans le secteur ?
Le métier s’est énormément professionnalisé, et l’offshore s’est énormément développé.
Au début, l’offshore n’était pas considéré comme un canal en tant que tel, il n’était choisi que pour des raisons économiques. Les Service Level Agreements, ou engagements contractuels avec le prestataire, sont de plus en plus nombreux et de plus en plus contraignants. Au début, les centres d’appels étaient des centres de coût, puis on a voulu en faire des centres de profit au détriment de la qualité ; pour nous, ce sont des centres de service qui doivent atteindre ces deux objectifs de la rentabilité et de la qualité. Nous avons étudié d’autres formes d’outsourcing avec le homeshoring, les auto-entrepreneurs ou l’emploi de détenus. Je pense que ces canaux sont appelés à se développer dans le secteur de la relation client.
Qu’est ce que ces années vous ont appris ?
Sur le plan professionnel, l’expertise de la relation clients sur des problématiques très diversifiées en qualité de prestataire et d’annonceur, onshore et offshore. Sur le plan personnel, cela m’a apporté une ouverture d’esprit. Toutes les études-pays que nous avons faites pour des destinations exotiques ont été extrêmement enrichissantes. Travailler au quotidien avec des partenaires à la culture très différente apprend aussi l’humilité, lorsqu’on comprend qu’on peut ranger toutes nos idées préconçues sur bien des sujets au placard. Le niveau de formation de nos opérateurs est extrêmement élevé, et ce qu’ils nous font remonter, en termes d’analyse du ressenti de l’expérience de nos clients et de leurs attentes, leur force de proposition sont extrêmement riches. J’avais géré des services extrêmement complexes, en fraude, en rétention, en vente, en service technique, et je me suis rendue compte que c’était sur l’activité la plus simple, le renseignement téléphonique, qu’il était le plus difficile de développer la qualité de la relation client à l’offshore parce que cela reste de la culture.
Une mission vous a-t-elle particulièrement marquée ?
On voit tout dans ce métier. Bien sûr, vous vous imaginez bien que certaines réponses de nos téléconseillers peuvent prêter à rire, à cause du décalage culturel. Un jour on appelle pour demander le numéro d’un médecin, disons le docteur Dupont à Evry. L’opérateur répond qu’il ne trouve pas de docteur Dupont, le client répond « Bon, tant pis alors ». Consciencieux, notre opérateur ajoute « Désolé, pas de docteur Tantpis non plus ».
Il y a aussi des expériences bien plus marquantes, comme la visite des prisons pour l’évaluation des possibilités d’outsourcing auprès des détenus – je précise que nous n’avons pas arrêté de décision sur ce projet à ce jour. Se retrouver face à face avec un détenu qui est peut-être un criminel, pas plus loin que vous ne l’êtes de moi actuellement, on n’en sort pas indemne émotionnellement. Et en même temps, on se dit qu’on peut lui donner une chance de se réinsérer dans le monde du travail et de créer une existence sociale honnête et structurée.