« Il faut savoir se remettre en cause profondément pour aller chercher le meilleur de ces collaborateurs qui ne demandent qu’à apprendre »
Quand il est arrivé au Cameroun avec son projet et sa connaissance du secteur de l’outsourcing en centres de contact, Charles-Emmanuel Berc ne connaissait rien à l’Afrique… ou presque. Il raconte à la rédaction comment six ans après, Vipp Interstis est devenu l’un des outsourceurs les plus importants d’Afrique subsaharienne, avec un millier de téléconseillers basés à Yaounde, au service de quelques-unes des marques les plus connues des consommateurs français.
Qu’est ce qui fait qu’on part un jour, après avoir presque tout fait dans le métier de l’outsourcing de centres d’appels, pour créer un nouvel acteur , en Afrique subsaharienne et pourquoi avez-vous choisi le Cameroun ?
Après 20 ans de prestations en centre d’appels, en 2009, j’ai souhaité effectivement faire autre chose. Je voulais faire du commerce, je me suis penché sur le rachat d’une enseigne de mobilier contemporain et de ses boutiques, j’ai également regardé une bronzerie d’art, et plein d’autres dossiers, seulement… l’histoire nous rattrape toujours. Au cours de l’été 2010, j’ai déjeuné avec Gilles Gendre, qui était à l’époque chez Teleperformance à Tunis, et avec qui nous avons parlé du métier, des nouveaux défis pour les prestataires de demain… et il m’a parlé de sa passion pour l’Afrique. Des terres francophones, avec un bon niveau de scolarisation… de quoi représenter l’avenir des centres d’appels au moment où le sourcing au Maghreb devient de plus en plus difficile. Sans trop y croire, je me suis pris au jeu de l’échange, et nous avons largement débattu sur le sujet. En quittant Gilles, j’ai repris le volant pour rentrer chez moi et je me suis souvenu que mon voisin, Joachim Gramm, était industriel en Afrique depuis les années 70. Je l’ai appelé… et c’est ce jour que ma nouvelle aventure a commencé !
En effet, après le déjeuner avec Gilles, j’ai enchaîné un dîner avec Joachim qui m’a parlé lui aussi de sa passion pour l’Afrique, de ses affaires, de ses milliers d’employés, et, quelques bouteilles de rosé plus tard, j’ai décidé de l’accompagner au Cameroun dès la semaine suivante. Nous étions fin Août 2010. Le 2 janvier 2011, nous embauchons nos 50 premiers collaborateurs pour les guides du Petit Futé, les Editions Dupuis et l’opérateur internet local, Ringo. Cinq ans plus tard, nous sommes 1 000.
Quelles ont été les difficultés rencontrées, ressemblent elles à celles que vous aviez imaginées ?
L’histoire aurait très bien pu se passer autrement… L’Afrique subsaharienne fonctionne à son rythme, avec ses us et coutumes, qu’un Européen a du mal à appréhender. Il faut savoir se remettre en cause profondément pour aller chercher le meilleur de ces collaborateurs qui ne demandent qu’à apprendre. Il faut faire preuve de beaucoup d’écoute, beaucoup d’attention et également de fermeté, de rigueur et d’exemplarité. C’est cette partie des difficultés que je n’avais pas imaginée, mais c’est la richesse de ces échanges qui m’a donné l’énergie dont j’avais besoin pour mener à bien ce nouveau projet. Je me suis personnellement installé au Cameroun en 2012, et c’est Arnaud Vialard qui anime l’équipe parisienne depuis 2014.
Les autres difficultés, je m’y étais préparé : la sécurisation des infrastructures, les coupures électriques… qui font en général sourire nos clients quand ils viennent sur place et, par exemple, constatent que nos deux bâtiments tournent au gasoil : l’électricité est assez souvent coupée et nous alimentons alors nos infrastructures grâce à nos groupes électrogènes…
De grands noms comme Air Caraïbes, le Petit Futé, Toshiba, Cdiscount, Canal Plus… ont confié à Vipp Interstis leurs opérations de télévente et de service client multi canal : ont-ils été durs à convaincre ?
Oui et non. Ils nous confient souvent une partie de leurs flux pour tester, et une fois la démonstration faite, les résultats sont sans appel.
Nous représentons aujourd’hui le meilleur rapport qualité prix de l’offshore. Il reste toujours des irréductibles du Maghreb, comme il existera toujours des irréductibles de la France. Nous sommes aujourd’hui l’un des rares prestataires, pour ne pas dire le seul, à être capable d’assumer de fortes montées en charge pour absorber le flux saisonnier de nos clients. Faire gonfler les effectifs pour l’un ou l’autre de nos clients de 200 collaborateurs en trois mois, en contrôlant la qualité de nos prestations est un challenge auquel nous faisons face régulièrement, avec des résultats tangibles à l’appui. La seule faiblesse qu’on pourrait nous reprocher, à l’heure actuelle, c’est notre crise de croissance et la digestion de nos paliers d’effectifs… mais c’est le revers de la médaille.
Lorsque ces clients viennent sur place, de quoi s’étonnent-ils en premier lieu ?
Nous envisageons notre métier plus comme une agence conseil qu’un simple prestataire qui se contente de mettre des agents derrière des PC avec un casque sur les oreilles. Nous avons constitué une équipe d’experts qui professionnalisent les équipes opérationnelles. Quand un client vient chez nous sa réaction est souvent : « c’est frais », ou « vous avez une qualité de ressources que nous n’avons pas vue depuis longtemps ». Notre enjeu principal, compte tenu de notre croissance, est de structurer ces talents et de les accompagner pour livrer l’excellence opérationnelle attendue par nos clients. C’est mon challenge de cette année 2016, où je dois sélectionner les futurs experts parmi les équipes et les installer dans leurs fonctions, pour renforcer nos compétences sur les cercles de qualité, les infrastructures techniques, la formation continue… et pour optimiser la promotion interne.
La formation est une de vos passions ; sans être un vrai spécialiste de ce domaine, peut-on raisonnablement envisager de délivrer une prestation alignée aux standards des clients français ?
Il est impossible de réussir à 6 000 kilomètres du marché qu’on adresse sans avoir de vrais parcours de formation, surtout quand vous intervenez dans un pays sans service postal, où 2% de la population seulement est bancarisée, où l’électricité peut être aléatoire et où Internet est considéré comme un produit de luxe. Nos programmes d’incubation regroupent tous ces sujets « cliniques ». Ensuite, il va sans dire que la notion de service est un concept très occidental qu’il faut transmettre, même à une population naturellement chaleureuse et commerçante, en déroulant toute la boite à outils pour fournir une prestation aux standards attendus.
Cet apprentissage est facilité par des fondements solides : une parfaite maîtrise de la langue, un vocabulaire riche, une culture du respect des règles et des process ainsi qu’une très grande volonté d’apprendre et de progresser.
Notre parcours de formation initiale dure 4 semaines puis 5% du temps de chacun des collaborateurs, soit près de deux heures par semaine consacrées à la formation continue.
Vous me disiez qu’on est obligé de travailler au rythme et avec la « méthode » africaine : que signifient exactement ces termes ?
En Afrique, le rapport au temps est très différent du nôtre. L’environnement et tout l’écosystème fonctionnent loin de notre course au temps. Je me suis agacé de ce décalage à multiples reprises mais j’ai fini par m’y faire. Les gens qui me connaissent ont du mal à me reconnaître dans ces situations où j’accepte, moi aussi, que même si tout Vipp Interstis vit à 200 à l’heure, il faut construire avec un environnement extérieur qui roule à 2 à l’heure. L’essentiel est que l’entreprise délivre ses promesses.
Propos recueillis par Manuel Jacquinet
Dans les pas du Général
Jordan Balem, Chef de plateau – Vipp-Interstis
Travaillant chez Interstis depuis 5 ans, où il est chef de plateau depuis 3 ans, Jordan Balem avoue avoir « beaucoup d’énergie et de passion pour relation client… même si j’ai découvert le métier assez tardivement ». En effet, après des études de management public et administratif, qui lui ont fait rejoindre Yaounde, depuis Douala « une ville qui bouge beaucoup plus », où il a grandi, il n’a commencé à travailler dans le privé que chez l’opérateur MTN – mais comme commercial. Loin de regretter cette carrière à laquelle il ne s’attendait pas, il apprécie y trouver « plus d’action que dans le droit ». C’est le moins qu’on puisse dire, pour celui qu’on surnomme « le Général », de son propre aveu – mais il le dit dans un grand rire – « pour mes méthodes de management militaires » : « on suit le process, celui qui sort du process je le coupe ! Je fais chaque matin un brief de démarrage tonitruant, et j’attends un retour de la foule, un OUI fait par tout le monde ! »
Vous imaginiez-vous étudiant être un jour cadre d’une société de centres d’appels ou de contacts et est-ce finalement un hasard que vous ayez cette fonction aujourd’hui, ou pas tant que ça finalement ?
Je n’imaginais jamais me retrouver cadre dans un centre d’appels. Cadre oui, parce que mon diplôme en management public a contribué à faire de moi le chef de production que je suis. Après, c’est mon expérience à MTN qui a développé ces facultés de vente auxquelles je ne m’attendais pas. La relation client, je ne connaissais pas, le centre d’appels oui, car on en avait déjà quelques-uns au Cameroun, avec Orange ou MTN. Mais la science même de la relation client je ne la connaissais pas. Dans nos contrées, l’entreprise est plus au centre que le client, le client n’est pas la priorité… les clients peut-être, en général, car il n’y a pas de personnalisation.
Dans les dîners en ville, ou avec des proches, comment présentez-vous votre métier, entreprise et que vous répond t-on souvent lorsque vos annoncez ce que vous faites ?
L’entreprise, je la présente comme un centre de contact spécialisé dans prise en charge de relation commerciale entre les entreprises et leurs clients. Ensuite, j’explique : la relation commerciale, c’est la création de cette relation et son entretien, la création avec la télévente et l’entretien avec le service client. Le concept même de relation client est compris, mais le rôle du prestataire est perçu plus côté service client car il n’y a pas de prospection commerciale. En ce qui me concerne, je touche plus à la télévente. Alors je parle d’équipe de vente, on connaît le concept, mais plus sur le terrain, pas à distance. Les métiers des centres d’appels n’ont aucune réputation ici, bonne ou mauvaise. Le métier n’est pas mal perçu, il est mal compris. Je dis que je suis chef de plateau, les gens comprennent qu’il y a « chef », ça sonne bien en Afrique, on se dit « il a réussi, tant mieux », et les détails, on ne cherche à les comprendre qu’après.
Votre meilleur ami devient demain DRH ou directrice d’un grand call center, quels sont les 3 conseils que vous lui donnez ou écrivez sur un Post It ?
Premièrement, de rester proche du terrain : il faut savoir ce quiç se passe sur le terrain, comment les équipes vivent le projet, ce n’est pas une fonction de bureaucrate dans l’administratif, il faut accompagner la progression de ses équipes.
Deuxièmement, toujours réfléchir à la place du chef, pour anticiper et faire exactement ce qu’on attend de nous, pour faire ce qu’il faut faire.
Troisièmement, promettre moins et faire plus.
On parle beaucoup de l’expérience client aujourd’hui, quelles sont les entreprises qui vous étonnent dans ce domaine ?
L’expérience client, pour moi, c’est l’ensemble des émotions que ressent un client avant et après achat d’un produit, la manière dont le client vit sa relation avec la marque.
Coca Cola fournit l’expérience client la plus explosive, ils arrivent à fusionner le client et le produit : rien qu’en mettant des prénoms sur leurs bouteilles, ils parviennent à faire en sorte que le client s’identifie avec leur produit.
Dans l’automobile, Mercedes innove toujours plus dans le confort. Ils parviennent à effacer le concept de prix : quand on achète une Mercedes, on réfléchit à performance et confort, pas au prix.
Au Cameroun, on peut parler des Brasseries du Cameroun, pour leur présence sur le terrain, ou de MTN qui parvient à proposer des produits à l’image du client. Mais généralement, l’entretien de la relation client n’est pas terrible.
Vous traitez vos e-mails… (2 réponses possible)
Le matin tôt
Au fil de l’eau dans la journée
Jamais, si c’est important on n’a qu’à m’appeler
Depuis mon smartphone, quand j’ai du temps
Je songe à prendre un personal assistant pour le faire, en connaissez-vous un ?
L’e-mail c’est mort… vive les SMS et BBM
Au fil de l’eau dans la journée. Et depuis mon smartphone. Même lorsque j’ai un rendez-vous téléphonique – je suis toujours avec les équipes.
Vous êtes plutôt adepte de Samsung, iPhone, ou Blackberry ?
L’iPhone : plus qu’une marque, c’est un mode de pensée. C’est un produit utile, agréable, efficace.
Consacrez-vous beaucoup de temps à gérer et animer vos réseaux sociaux ? (Réponse honnête exigée sinon… vous ne jouez pas en deuxième semaine !)
Avant de dormir sur mon smartphone, j’y jette un coup d’œil, pour rester en contact avec ma famille, éparpillée au Canada, en France à Paris, à Douala. Je n’ai pas le temps d’animer.
J’ai grandi à Garges-lès-Gonesse, mon père a ouvert une entreprise à Douala, où je suis arrivé à neuf ans. J’ai été surpris par l’environnement agressif : déjà avec le climat, puisque l’été très chaud, mais aussi avec les gens qui sont plus agressifs, qui utilisent peu de formules de politesse, qui sont plus rentre-dedans. Les écoles camerounaises étaient différentes aussi, moins conviviales. Mais je me suis rapidement habitué.
Qu’est ce qui selon vous a réellement transformé le monde professionnel depuis que vous êtes rentrée dans la vie active ?
La communication ! Pour moi c’est la plus belle chose qui soit arrivée au monde. Nous réalisons chez Interstis des prestations aux standards internationaux depuis le fin fond de l’Afrique subsaharienne, et la relation est si chaleureuse qu’on peut croire que son interlocuteur est de l’autre côté de la fenêtre.
Nous vivons vraiment dans un village global, on se parle, on rigole comme si on était à côté alors qu’on est à des milliers de kilomètres.
L’attrape cœurs est-il un chef d’œuvre ? (The Catcher in the Rye) / ou même question avec Abbey Road ? / ou Sur la Route de Madison (The Bridges of Madison County)
J’ai trouvé Sur la Route de Madison intéressant, j’apprécie énormément Clint Eastwood. Mais je ne peux pas vraiment me porter en critique. On n’a plus vraiment de salles de cinéma au Cameroun, on a des salles de théâtre où on passe parfois des films. Le secteur n’est pas subventionné, ceux qui le peuvent se rabattent sur Canal + ou les DVDs. Les deux autres titres, je ne connais pas.