Enfant, je t’ai donné ce que j’ai travaillé
Edito N°99 /
J’ai cherché à voir Henri Plantin, au rayon chasse et pêche de la Samaritaine où je vais encore, pour me faire conseiller sur l’achat d’un Opinel. Henri n’était pas là : 12H20, il avait dû rejoindre Pat pour sa pause repas et profiter de cette halte tranquille qu’août donne à Paris. Dans la rue de Bretagne, il y a de si jolies boutiques et des ruelles alentour où l’on peut encore s’embrasser. Mais Paris au mois d’août ne ressemble plus tout à fait au joli roman de René Fallet : la Samaritaine n’existe plus, Anne (Hidalgo) avec ses entreprises et méfaits ne confère pas tout à fait, selon moi, à la ville, les mêmes charmes que Pat dans le livre (dans le roman, Riton, vendeur dans le magasin évoqué, est seul un été à Paris et rencontre une belle anglaise…). Les levées de fonds astronomiques réalisées par des plateformes de livraison de repas, dont le service client sera automatisé par des start-up qui lèvent, elles aussi, des trilliards et sont incubées à Station F, tout ça ne me dit rien de bon. La soupe aux choux, c’est difficile à livrer à vélo. Comme dit le Glaude, « si on peut plus péter sous les étoiles sans faire tomber un martien, il va nous en arriver des pleines brouettes. »
Oui mais : Opinel est toujours français.
On peut, en regardant pour la énième fois la Soupe aux choux, se prendre un peu de bon temps.
Constater que MisterFly rembourse vite les billets annulés (on en a fait l’expérience), que les e-mails sont bien et vite gérés au service client de Transavia, après un vol annulé à Lisbonne (on en a fait l’expérience).
Se dire donc que l’étude menée par l’éditeur Eptica* n’est pas bidonnée : elle constate que le voyage et le transport sont les deux secteurs où l’expérience client digitale s’est le plus améliorée.
Se rendre compte que l’épreuve de force – que constitue désormais le passage du permis pour un jeune – peut se trouver facilitée grâce à une plateforme comme Ornikar (on en a fait l’expérience).
Le pire n’est pas certain. Le fact-checking que nous impose le métier de journaliste attaque nos certitudes, tant mieux. Et certains fabriquent même de très bons films, selon moi, sur « la fin d’un monde, le nôtre, qui à force de courir après le bonheur, court à sa perte** » (Le déclin de l’empire américain, Les invasions barbares, de Denis Arcand).
On a donc réuni et donné la parole, pour cette rentrée des classes, à ceux et celles, parfois peu connus (notre couverture) qui travaillent à cette mission vitale et de salut public : ré-enchanter le commerce, le service client, créer de la vie et du trafic dans les boutiques, vérifier la propreté des toilettes… Tenter, c’est déjà pas mal. J’ai toujours adoré ce vers d’Apollinaire : Enfant, je t’ai donné ce que j’ai travaillé. (La Porte / Alcools)
Par Manuel Jacquinet,
édito rédigé en août 2017
* étude disponible sur le site d’En-Contact.
** critique de Télérama, lors de la sortie du film.
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