Des pistes pour sauver les télécoms
DECRYPTAGE – Le secteur de la téléphonie va mal, que faire? Les quatre patrons des opérateurs (Xavier Niel, Martin Bouygues, Stéphane Richard et Stéphane Roussel pour SFR) ont été convoqués mardi à Bercy, pour échanger avec les ministres Arnaud Montebourg et Fleur Pellerin. Les télécoms sont en croissance mais licencient. Le gouvernement a proposé plusieurs pistes pour remédier à ce paradoxe. Explications.
Une première réunion de travail pour une remise à plat du secteur s’est tenue mardi matin entre les ministres Arnaud Montebourg etFleur Pellerin et les quatre opérateurs télécoms français, qui ont fait état d’une rencontre “constructive” et “fructueuse” à leur sortie. Les quatre opérateurs – Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free – ont été reçus pendant près de deux heures à Bercy par le ministre du Redressement productif et la ministre déléguée à l’Economie numérique. Le point sur les problèmes du secteur et les solutions avancées.
Le secteur se porte mal
“C’est un secteur qui est en croissance et qui détruit de l’emploi. Peut-être faut-il s’interroger”, avait déclaré début juillet à l’AFP Arnaud Montebourg. En effet, il y a quinze jours Bouygues Télécom et SFR ont annoncé des plans de départs volontaires : 556 postes chez le premier, entre 1.100 et 1.200 chez le deuxième, qui dévoilera le chiffrage exact à l’automne. Le syndicat CFE-CGC de France Télécom avait expliqué que l’arrivée de Free, si elle avait été bénéfique aux consommateurs, aurait gravement touché les salariés et coûté 10.000 emplois. Selon l’économiste Bruno Deffains, qui avait publié début juin une tribune dans Les Echos, l’arrivée de Free entrainerait 51.500 pertes d’emplois nettes et 2,5 milliard d’euros de charges supplémentaires et pertes de recettes des organismes sociaux. Arnaud Montebourg et Fleur Pellerin veulent donc “trouver un modèle économique qui soit plus créateur d’emplois et d’investissements”.
Un coupable idéal : Free
Les plans de départs de SFR et Bouygues visent à “sauvegarder leur compétitivité”, rognée depuis l’arrivée fracassante de Free sur le marché, estiment les trois autres opérateurs. Plus précisément, ils accusent l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) d’avoir trop favorisé le petit nouveau. Martin Bouygues a été jusqu’à envoyer il y a quelques jours une lettre de sept pages aux parlementaires pour expliquer que le contrat d’itinérance qui lie Free à Orange permet au nouveau venu de ne pas faire d’investissements dans les infrastructures. L’ennemi, c’est Free, selon les opérateurs historiques.
Mi-juin, Arnaud Montebourg avait aussi critiqué l’Arcep et ses choix en estimant que l’autorité s’intéressait “exclusivement à la concurrence sans limite”, sans se préoccuper de l’emploi. Une nouvelle pique qui avait obligé Xavier Niel, le patron de la maison mère de Free, Iliad, à répliquer en dénonçant des arguments“simplistes” et en rappelant que les trois autres opérateurs restaient largement bénéficiaires.
Montebourg veut tester ses idées
Le ministre du Redressement productif a tracé la ligne début juillet : les télécoms sont un secteur “administré, non mondialisé, qui utilise le domaine public hertzien, donc un bien public, qui ne subit pas d’autre concurrence que la concurrence que nous-mêmes décidons de susciter”, avait-il souligné. En résumé : il faut sortir de la logique du tout-concurrence et l’Etat peut encore avoir la main sur ce secteur. Arnaud Montebourg imagine donc que les télécoms peuvent être “démondialisés”, son sujet de prédilection.
Quelles solutions?
Des pistes ont été évoquées mardi. “Il faut réfléchir sur la loi Chatel”, a commenté Stéphane Roussel après la réunion, soulignant que le gouvernement avait estimé que “beaucoup de choses avaient été faites pour le consommateur” en matière de télécoms. La loi Chatel devait permettre aux clients de ne plus subir certaines pratiques du secteur : les temps d’attente payant et à rallonge sur les services téléphoniques d’assistance (ou hotlines) et la trop grande difficulté pour changer d’opérateur en dehors des périodes d’engagement.
Cette dernière disposition pourrait être aménagée. Les opérateurs estiment qu’avec l’arrivée de Free Mobile et de ses forfaits sans engagement sur la durée, cette loi n’est plus d’actualité. Arnaud Montebourg avait dès juin demandé aux opérateurs dans quelle mesure ils pouvaient rapatrier en France leurs centres d’appel, délocalisés pour bon nombre au Maghreb ou en Afrique Sub-saharienne pour des raisons de coûts, et qui emploient des milliers de personnes localement. L’idée étant de rendre à nouveau le service payant, pour absorber la hausse du coût due à la relocalisation.
Manuel Jacquinet, rédacteur en chef du magazine professionnelEn-Contact, a remis un rapport à Arnaud Montebourg dans lequel il estime que ce retour du service payant, ou l’instauration de services de plus grande qualité et donc plus chers, pourrait permettre le retour en France de 12.000 emplois. “Nous sommes prêts à faire des efforts des deux côtés, si on nous donne les moyens économiques. Nous avons étudié la possibilité de trouver des solutions industrielles à moyen terme. Tous les sujets sont liés entre eux, le sujet de l’emploi est lié aux sujets économiques. Et la question des relocalisations est un sujet qui n’a pas de sens tout seul”, a encore indiqué Stéphane Roussel.
La relocalisation est-elle possible?
Le problème des centres d’appels au Maghreb a déjà été abordé par Jean-Louis Borloo en 2004 et Laurent Wauquiez en 2010. Sans succès. D’abord parce que la différence entre les coûts du travail est grande : un salarié au Maroc coûte moitié moins cher qu’un salarié en France. Ensuite parce que les plages horaires des “hotlines” (parfois du 24h/24 et 7 jours/7) n’est pas possible, surtout le dimanche, dans l’Hexagone, expliquait Stéphane Richard à La Tribune. Enfin, la gratuité des services téléphoniques a été étendue depuis 2009 à d’autres secteurs. Si les télécoms bénéficient d’une exception, les autres entreprises pourraient déposer des recours. Mais que les ministres et opérateurs se rassurent : l’assistance par Internet se développant à grand pas, le problème pourrait bientôt ne plus exister. Et les emplois, d’un côté de la Méditerranée comme de l’autre, pourraient avoir rapidement disparu.