Contre les centres d’appels délocalisés, Wauquiez réinvente la ligne Maginot…
Six ans après ses illustres prédécesseurs (Nicolas Sarkozy, Patrick Devedjian, Jean-Louis Borloo), le secrétaire d’État à l’emploi Laurent Wauquiez prépare, – selon les informations données hier par Le Parisien/Aujourd’hui en France – un plan contre les délocalisations de centres d’appels. Mais celui-ci, s’il venait à être concrétisé et devait aboutir à des décrets applicables, ressemble fort une « ligne Maginot antidélocalisation ». Réponse à quatre questions suscitées par ce projet par Manuel Jacquinet, spécialiste de la filière et rédacteur en chef du magazine professionnel En-Contact.
1 – Pourquoi annoncer un tel plan, qui semble n’être encore qu’au stade de la réflexion ?
Deux raisons expliquent très certainement cette annonce prématurée ;
D’abord, le plan social annoncé la semaine passée par Teleperformance France, leader mondial des centres d’appels avec à la clef plus de 800 licenciements, est certainement la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, dans cette période de crise économique qui génère chaque jour son annonce de plans sociaux. Teleperformance est une entreprise rentable au niveau mondial, qui diminue ses capacités de production dans les centres d’appels français alors qu’elle continue de recruter dans ses vastes centres en Tunisie et au Maroc, où elle projette d’ouvrir un nouveau site. Le gouvernement, qui ne dispose d’aucune capacité légale d’empêcher ce type de plan social parfaitement légal, se devait de montrer sa désapprobation…
En second lieu, le projet évoqué s’apparente à un avertissement adressé à la profession, fortement créatrice d’emplois… En offshore. Depuis de nombreuses années, les centres d’appels constituent un secteur largement subventionné – de nombreux centres français ont été installés en secteur rural ou dans des régions sinistrées, avec à l’appui des aides qui peuvent atteindre 8000€ par emploi créé. Les donneurs d’ordres, (des sociétés telles qu’Orange, Canal +, SFR, AXA ou EDF) profitent indirectement de ces subventions : elles peuvent ainsi acheter leurs prestations de service client ou de télémarketing à moindre coût mais ne s’engagent pas pour autant à favoriser la création d’emplois pérennes. Après avoir projeté des décrets contraignants, (celui de Nicolas Sarkozy lorsqu’il était à Bercy en 2004 puis de Patrick Devedjian) le plan Borloo de dynamisation de la filière centre d’appels en France – fin 2004 – essayait une voie plus constructive, notamment grâce à la création du label de responsabilité social et à un projet ambitieux de formation de téléconseillers. Mais ce plan n’a pas produit les effets escomptés au-delà d’effets d’annonce.
Plus récemment, en juillet 2009, la création de la mission nationale de la relation client (MNRC), parrainée par Laurent Wauquiez, n’a accouché un an après que d’une souris. 20 millions d’euros sont budgétés par la MNRC sur trois ans avec un apport de 7 millions d’euros par l’État pour, là encore, favoriser le développement de la filière. Un an après sa création, les projets concrets, créateurs d’emplois, ne s’accumulent pas sur le bureau du ministre. Au contraire, on a multiplié – comme souvent en France – les comités de pilotage, les réunions en province et à Paris, les structures locales de déclinaison d’accords…
2 – Les mesures annoncées et imaginées dans le plan sont-elles pertinentes ?
Parmi les quatre scenarii actuellement à l’étude, deux semblent complètement irréalistes et les deux autres pourraient être mis en œuvre en légiférant.
Il est techniquement – ou juridiquement – impossible d’identifier l’ensemble des appels reçus ou émis par des centres d’appels en offshore, tout comme il est proscrit de favoriser financièrement les entreprises qui achèteraient des prestations de service client franco-françaises. D’où le flou des termes choisis par le secrétaire d’État dans son annonce de ce matin sur RMC : il entend imposer la « transparence » sur les lieux d’implantation des centres et récompenser les implantations françaises par des « primes symboliques ».
A contrario, inciter ou contraindre les donneurs d’ordres à acheter des prestations d’outsourcing uniquement produites en France nécessite un recours à la loi avec des sanctions pour les contrevenants. La « do not call list »* aux Etats-Unis a montré que seule la voie législative pouvait contraindre les entreprises à modifier leurs pratiques commerciales dans un tel secteur. Le gouvernement ira-t-il jusque-là ? Ce sont pourtant les consommateurs que Wauquiez invite à « mettre la pression » aux centres d’appels…
3 – Le gouvernement a-t-il les moyens et la volonté réelle d’agir sur cette filière afin de l’inciter à créer des emplois en France ?
Les secteurs de l’économie française créateurs d’emplois – notamment dans le tertiaire – ne sont pas légion et l’industrie des centres d’appels est l’une des rares à connaître un solde positif de création d’emplois (+ 40 000 depuis quatre ans). Le problème est précisément que ces créations ont été faites majoritairement dans des pays francophones étrangers. L’État a donc intérêt, d’un point de vue politique et médiatique, à interférer dans ce secteur pour témoigner de sa volonté de changer réellement le cours des choses.
De nombreux hauts fonctionnaires de la DCIS (Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services, service qui dépend de Bercy) ont multiplié ces derniers mois les consultations auprès de la profession et il y a maintenant un an, la création de la MNRC semblait donner le top départ d’un véritable plan structuré et financièrement doté pour la filière. Autant de manifestations d’une volonté sincère d’agir concrètement pour le secteur : l’engagement financier de l’État dans la MNRC évoquait le chiffre de 7 millions d’euros… Mais le hic c’est la méthode, car depuis six ans, la montagne des projets – pourtant portés par des ministres volontaires – a accouché d’une souris.
Les pistes concrètes ne manquent pourtant pas : former des téléconseillers et des hotliners (le secteur souffre structurellement d’une pénurie de salariés bien formés), aider financièrement les PME à créer des services client internalisés ou les inciter à les confier à d’autres PME spécialisées, développer le homeshoring, etc…
4 – Laurent Wauquiez est-il le bon ministre pour porter le projet ?
L’homme connaît désormais bien le secteur puisque dans son département, il a lui-même eu à gérer l’installation de centres d’appels (sociétés Satel ou Paje Emploi au Puy-en-Velay, Yakamoz à Tence) ou le mécontentement de services clients qui ne fonctionnent pas lorsqu’ils sont débordés : pensons au 39 49 de Pôle Emploi, administration dont le héraut de la droite sociale a la tutelle. Normalien, major de l’agrégation d’histoire et ex-coopérant en Égypte, le secrétaire d’État a les moyens, l’expérience et la culture nécessaires pour s’emparer d’un sujet bien dans son périmètre – l’économie qui crée de l’emploi.
Mais l’ex-benjamin du gouvernement devra peut-être revoir sa copie et méditer un brin l’épisode de la ligne Maginot… Vaste chef d’œuvre militaire, le plus beau des coups d’épée dans l’eau du XXème siècle, même s’il a eu l’avantage de faire croire un moment aux Français que l’État était puissant.
* La « do not call list » est une sorte de liste rouge sur laquelle un abonné au téléphone peut s’inscrire. Elle interdit à un prestataire en télémarketing ou à une entreprise de le solliciter par téléphone, sauf si celui-ci est déjà en relation commerciale avec l’entreprise.