Connaissez-vous Armelle Balenceu ?
La question n’est pas un canular ; c’est celle qui subsiste encore sur le web et qui rappelle que la femme que nous interrogeons ce jour a exercé un métier dangereux, chez Neuf Télécom, où elle fut Directeur de la Relation Client, avant de prendre pratiquement la même fonction chez un opérateur alternatif d’électricité (Direct Energie) : elle est directeur marketing, communication et ventes directes, également en charge du service client. De sa formation d’ingénieur, elle a conservé l’esprit rigoureux et analytique, et la capacité, comme elle le dit, à appréhender les problématiques complexes, les sujets techniques IT et télécoms, propres à l’univers des centres d’appels et de la relation client. De son passage à l’INSEAD, elle a développé sa capacité à travailler avec des consultants, ou comme eux : en maniant les concepts, la gestion de projets, les quick wins, etc… Mais elle a aussi appris la force du réseau des anciens de ce type d’écoles et la vision internationale. Dans des sociétés jeunes, à forte croissance et positionnées comme des challengers, elle a appris du métier ce qu’on n’apprend pas à l’école, même dans les plus grandes : comment naissent de telles sociétés, comment mutent-elles, comment survivent-elles,ou pas, pourquoi on est un jour acheteur et un jour acheté ? La nécessité vitale d’être rapide à redéfinir une stratégie, à l’exécuter avec des équipes qu’il faut mobiliser, sans laisser trop de place au doute.
Il faut connaître Armelle Balenceu ou du moins essayer.
Interview de Armelle Balenceu,
Directrice marketing, de la communication, des ventes directes et du service client de Direct Energie
En Contact : Votre formation initiale d’ingénieur est-elle un atout dans la fonction que vous exercez aujourd’hui ?
Armelle Balenceau : Oui, c’est un atout et un confort. Elle m’a apporté la rigueur, la capacité d’analyse, l’agilité et la rapidité à appréhender les sujets techniques IT et télécoms qui sont nombreux dans l’univers de la relation clients. Je me sens décomplexée par rapport aux enjeux technologiques et sur des projets compliqués, je n’ai pas de complexe à poser une question qui peut paraître bête, jusqu’à être certaine d’avoir compris. C’est un confort dans un métier où sont nombreux les techniciens qui vous embrouillent, ainsi que les opérationnels issus du terrain qui disposent de très bonnes capacités d’organisation et de gestion de la production, mais pas toujours du recul ou de la capacité d’analyse pour faire évoluer les choses. Pour autant, ça ne suffit pas car nos métiers nécessitent une bonne alchimie entre l’organisation et la méthode, la maîtrise des chiffres, mais aussi la capacité à gérer des hommes et des femmes et le goût de l’opérationnel.
Mais ça, ça n’a rien de spécifique à la formation d’ingénieur ?
C’est vrai. Le pragmatisme, la capacité à entraîner les équipes, ce goût de l’action et de la « matière chaude » sont au moins aussi nécessaires dans mon métier : il faut prendre des décisions rapides, parfois gérer des crises, car on est en première ligne avec le client. En définitive, je crois que ce qui me caractérise, c’est cette combinaison entre le souci du détail, la rigueur et le goût pour les relations humaines et cette passion du client.
Y a-t-il une façon féminine de travailler dans cet univers ?
Pas que je sache : j’ai vu et rencontré des hommes et des femmes très différents, et à la fin, ce qui compte, c’est qui l’on est, plus que le genre féminin ou masculin.
Après avoir travaillé chez France Télécom, notamment à l’international, vous exercez depuis plus de 10 ans plutôt chez des « francs-tireurs », sur des marchés qui s’ouvrent à la concurrence. Qu’apprend-t-on dans ce type d’environnement ?
La rapidité d’exécution, vitale, tout comme la capacité à reconsidérer tout quasiment chaque jour. J’ai connu à la fois le fait d’être rachetée, de racheter, ou de fusionner.
La rigueur budgétaire, car celui qui gagne n’est pas toujours celui qui dispose des beaux indicateurs de qualité, des process et outils bien huilés, mais bien celui qui est encore vivant, parce qu’il a su notamment maîtriser ses coûts de gestion.
Et à titre personnel, la conviction qu’une situation donnée n’est jamais acquise, tant pour l’entreprise que pour un cadre dans son projet professionnel. Je me souviens du message d’accueil d’un directeur haut en couleurs, placé par l’actionnaire italien au début de Neuf Télécom : « Tou as toute ma confiance jusqu’à ce que je te la retire ». J’ai bien entendu le message.
Et enfin, apprendre à tout âge, car c’est une nécessité et je la trouve passionnante.
Voilà 10 ans que vous dirigez la relation client dans des environnements concurrentiels et contraints comme vous les décrivez. Qu’enseigneriez-vous à l’INSEAD si une chaire de relation client y était créée ?
Précisément, deux choses : la première, c’est que la relation client nécessite d’avoir une bonne vision globale de l’entreprise, ainsi qu’une expérience des métiers fonctionnels et opérationnels ; aujourd’hui, je dirige chez Direct Energie le marketing et la communication, les ventes directes et le service client. C’est une vraie chance par rapport à de nombreuses organisations où ces différents services sont cloisonnés car cela permet ainsi une coopération et une synchronisation plus vertueuse entre les équipes, et au final, une grande fluidité et agilité dans l’exécution.
La seconde, c’est que quel que soit le prestataire de centre de contacts (j’en ai pratiqué plus d’une dizaine parmi les plus grands et une vingtaine de sites), ce qui compte à l’arrivée, c’est la qualité du chef de plateau et des superviseurs, et la relation de confiance qu’on a créée avec eux.
Des frustrations, néanmoins ?
Oui, quelques-unes en effet. Le temps qui manque en permanence pour réaliser tout ce que l’on voudrait faire, l’entropie des grandes organisations qui deviennent de plus en plus complexes au fur et à mesure qu’elles grandissent, le recours désormais obligatoire à l’informatique, sans laquelle on ne peut plus rien faire et, sur notre marché, la difficulté à devenir rapidement un acteur significatif : un an et demi après son ouverture, seuls 35% des consommateurs ont compris qu’ils pouvaient changer de fournisseur, et parmi ceux-ci, très peu en maîtrisent réellement les modalités qui ne sont pas si effrayantes que celles que l’on a voulu agiter.
La réversibilité existe, réellement (la possibilité pour les particuliers de revenir à l’offre d’EDF au tarif règlementé au bout de 6 mois). L’électricité est la même puisque c’est le même réseau, il n’existe pas de pénalités de frais de résiliation.
Sur un plan personnel, les enfants qui grandissent vite, et dont l’existence devient aussi plus complexe, l’appartement qui rapetisse au fur et à mesure qu’il se remplit.
Quelles sont vos priorités métiers pour l’année 2009 ?
Maîtriser ou réduire les coûts grâce au développement du canal web et à un bon mix entre l’inshore et l’offshore pour la sous-traitance du service ou de l’acquisition clients ; développer la mesure de la qualité de façon régulière ; développer notre facturation moyenne auprès de chaque client (le fameux « ARPU»), et tout ça dans une environnement de forte croissance, comme d’hab.
Nous avons 350 000 clients, et nous sommes en route pour le million.
Propos recueillis par Manuel Jacquinet