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Cat-Khe, slumdog millionnaire à l’Office de Tourisme de Paris

Publié le 04 avril 2025 à 06:00 par Magazine En-Contact
Cat-Khe, slumdog millionnaire à l’Office de Tourisme de Paris

Depuis 1991, la conseillère en séjour a répondu et mémorisé les réponses qu’elle a données à plus d'un million de touristes. Elle a une conviction : « à Paris, les touristes et visiteurs ne doivent pas nous chercher. »

Cat-Khe ne partira pas en vacances avec Corinne Menegaux comme aurait pu le dire le regretté Thierry Roland. Tandis que la seconde, DG de Paris Je t’aime, a fermé, en catimini, le dernier point d’accueil physique des touristes, la première nous raconte son parcours en tant que conseillère en séjour et ce qu’elle pense être le cœur du métier d’un agent d’accueil, amoureux de la ville qui l’emploie

Cat-Khe Elfmon © Edouard Jacquinet

Quel a été votre parcours avant d’intégrer l’Office de Tourisme de Paris ?
Je suis née en Allemagne et mes deux parents sont vietnamiens. Après mon bac allemand, l’Abitur, je suis partie en France pour étudier le chinois à l’INALCO, les Langues’ O, comme on dit et j’y suis restée depuis ; cela fait presque quarante ans. J’adore la France. Vous avez tout ici. J’ai beaucoup voyagé, visité les capitales en Europe, Asie ou aux États-Unis ; pour moi, Paris est et reste la plus belle ville au monde. 

Depuis quand y travaillez-vous et quelles sont selon vous les grandes étapes de la vie des bureaux d’accueil de Paris Je t’aime ? 
Avant de parler de tout ceci, je voudrais partager avec vos lecteurs et lectrices une chose qui est importante pour moi. Je ne dirais jamais «C’était mieux avant !» mais ! «C’était différent !».  Je suis très heureuse d’avoir eu la chance de connaître les deux extrêmes. Au début de ma carrière à l’OT de Paris en 1991, nous étions 38 agents d’accueil et des renseignements en «contrat à durée indéterminée» (la première expression administrative française importante que j’ai apprise). Pendant la «haute saison d’avril à fin septembre» (modèle complètement révolu à présent avec les voyages à la dernière minute, le RTT, le télétravail ...) nous recrutions jusqu’à 24 saisonniers pour nous venir en aide.

À part la gare Saint Lazare, nous avons eu un bureau dans chaque gare (Nord, Est, Lyon, Austerlitz et Montparnasse), un kiosque en bas de la Tour Eiffel et à Montmartre. En été ça grouillait de monde derrière et devant le comptoir. Jusqu’à 1600 visiteurs par jour. Nous donnions également des informations et des conseils concernant tout le territoire français. Il n’y avait pas d’internet, mais le télex, le téléphone, le minitel, les papiers infos et une mémoire humaine formidable et entrainée. 

Comme j’étais trop paresseuse pour rechercher à chaque fois les informations ou les numéros de téléphone des prestataires (nous faisions presque toutes les réservations par téléphone), je me suis entrainée et suis parvenue à me souvenir des réponses données. Pour chacune des questions qu’on m’a posées, au moins une fois ! C’est peut-être la raison pour laquelle on me réplique souvent «Tu as réponse à tout, toi !» Eh oui, quand on a répondu à plus d’un million de personnes, on dispose d’un sacré répertoire de réponses. Un des anciens directeurs de l’Office m’appelait Slumdog millionnaire, en lien avec l’histoire de ce jeune indien qui avait une réponse juste à toutes les questions qu’on lui posait dans ce jeu télévisé populaire à laquelle il participait « Qui veut gagner des Millions ». C’est l’école de la vie qui nous permet de bien répondre. Pour notre bureau central, nous avons disposé de localisations prestigieuses : Champs Élysées, Pyramides, à l’Hôtel de Ville.

Cat-Khe Elfmon © Edouard Jacquinet

Nous voilà en 2025, ne disposant de plus rien. Plus de bureaux d’accueil physique, même pas un, mais à la place un QR code, des feuilles en cinq langues avec le QR code, un site internet et des kiosquiers à journaux, payés à 100€ par mois pour nous remplacer. Un partenariat a été noué avec la Poste, mais beaucoup de postiers n’en sont même pas informés. Et puis, quel touriste se rend dans un bureau de poste ? J’ai demandé autour de moi : «A quelle occasion vous rendez-vous à la Poste ? Quand on y est obligé, parce qu’on n’était pas à la maison lorsque le colis est arrivé !» On a l’impression qu’on veut nous faire comprendre qu’avec ou sans accueil physique, Paris aura toujours des touristes. 

Une image permet de bien visualiser et comprendre très vite ce qui s’est passé à Paris : une pyramide. Avant et c’est logique, un grand nombre d’employés et de conseillers en séjour coexistait avec peu de directeurs. La pyramide s’est inversée désormais : il y a de nombreux directeurs et peu de gens en face des touristes.

Le PAT, dernier point d’accueil physique a fermé, pour manque de ressources et de recettes. Qu’en pensez-vous ?
Pour rappel et c’est important à mes yeux, Paris je t’aime - Office de Tourisme n’est pas une start-up, ni une boîte de publicité, ni une boîte de communication, ni une agence de web, ni une agence de presse, ni un organisateur de salon ou une marketplace, style Amazon ou eBay. Le désirer est utopiste. Nous ne sommes pas cotés en bourse et ne figurons pas au CAC 40. Nous n’en avons pas les moyens financiers et ce n’est pas notre métier ; la phrase, souvent entendue « Il faut chercher de l’argent ou des subventions » est fatigante et insupportable. 

Avec votre recul et expertise, comment une ville, une capitale telle que Paris devrait-elle organiser son accueil physique et téléphonique et digital ? 
Il faut être pratique et logique. Ce qui distingue un touriste d’aujourd’hui de celui d’hier, c’est que beaucoup ont déjà réservé le socle de leur séjour : leurs hôtels, leurs entrées (certaines étant obligatoires) pour la Tour Eiffel ou au Louvre par exemple. La réservation anticipée est le nouveau mode de fonctionnement, incontournable depuis la Covid et va le rester. Mais il reste toujours quantité d’autres personnes qui ont du mal avec l’internet, encore plus avec le digital ou qui veulent juste se déconnecter le temps de leurs vacances. Ceux-là, on ne les décompte malheureusement jamais. 

Tout le monde attend la même chose lorsqu’il voyage : découvrir des endroits intéressants, visiter les lieux qu’on n’a pas chez soi, se reposer et se poser, aussi. Des vacances compliquées et dures, personne n’en veut, car c’est déjà ce qu’on vit au quotidien, lorsqu’on travaille. Les vacances ne doivent pas ressembler ou rappeler le boulot. Profiter un maximum du temps, accompagné ou pas, sans trop attendre et si possible, le top du top, bénéficier d’un rapport-qualité-prix imbattable. Je ne parle pas du tourisme de luxe ici mais de Monsieur et Madame «Tout le Monde» qui constitue la clientèle majoritaire d’un Office de Tourisme. Ceci est sans compter tous les imprévus qu’un voyage peut occasionner. ( lire à ce sujet les histoires vraies ci-contre)

Pour répondre à toutes ces attentes, en premier lieu, il ne faut pas que les touristes nous «cherchent». Car notre travail c’est de les accueillir, d’être présents, là où ils arrivent. À l’arrivée dans les aéroports. Cette mission est déjà remplie par l’agence Choose Paris Region, experte dans la promotion de la «Région Île-de-France à l’échelle nationale, régionale et mondiale» dans nos deux aéroports à Charles de Gaulle et à Orly.

Cat-Khe Elfmon © Edouard Jacquinet

Ma seconde conviction est que le rôle primordial d’un office de tourisme est d’être une, la plaque tournante, au milieu des prestataires (théâtres, cabarets, concerts, expos ...) des hôteliers, des restaurateurs, des monuments historiques. L’offre est tellement vaste que les touristes ont encore besoin de conseils. Combien de fois j’ai entendu dire «On veut tout faire !» à ma question : «Vous avez envie de faire quoi ? Si Paris je t’aime - Office de Tourisme, est situé aux bons endroits, nos bureaux seront toujours inondés de visiteurs. Il faut ensuite rebâtir un partenariat stable, fort et de qualité avec la SNCF. Être à nouveau présent dans toutes les gares et le communiquer officiellement sur tous les réseaux. Un bureau central devrait compléter ceci idéalement sur le parvis de Notre Dame, à hauteur de l’estrade qui fait face à la Cathédrale. Avec le monde fou qui s’y rend et attend, pour sûr, on ne chômerait pas une seule seconde. 

Qu’en est-il de l’accueil téléphonique ? 
De très nombreuses personnes regrettent depuis longtemps qu’on ne puisse pas nous joindre par téléphone. Un accueil téléphonique ne s’invente pas. Une ligne stable, capable de supporter plusieurs appels en même temps, avec du personnel associé pour répondre rapidement et non pas taper 1, taper 2, taper 3. Je pense la même chose des bornes digitales. Elles fonctionnent bien pour la restauration rapide ou pour la billetterie. Pour accueillir et renseigner, c’est inadapté. Très souvent, le but est de faire «moderne» ou d’économiser du personnel mais dans la majorité des cas, ça ne fonctionne pas bien ou ça s’abîme vite, il faut faire des mises à jour tout le temps et à Paris l’offre est trop grande. Autant dire, ne voyagez plus, mettez les casques de réalité virtuelle, cherchez les images sur Google et voyagez comme ça. Notre métier de conseiller consiste à comprendre, en peu de temps le souhait et les désirs de nos touristes pour ensuite leur donner le conseil qui le correspond au mieux. A nous adapter, à personnaliser nos réponses. Un touriste bien accueilli, renseigné, vit une expérience mémorable et en parle.

Avez-vous le souvenir d’un OT visité que vous avez trouvé efficace ? 
Le plus bel office de Tourisme que j’aie jamais vu est celui de Bilbao. Époustouflant ! L’effet «Wow» avait été indiscutable, grâce à une équipe adorable, compétente et efficace. Et c’est tellement normal : lorsqu’on vous considère à votre juste valeur, vous voilà boostés et vous vous surpassez.

Cat Khe parle neuf langues : allemand, anglais, espagnol, italien, portugais, hébreu, chinois, vietnamien et le français, bien sûr !

Touristes perdus à Paris : les anecdotes de Cat-Khe

Sur les Champs-Élysées : 10 minutes à peine avant la fermeture du bureau, deux touristes vietnamiens, en plein détresse, perdus. En visionnant une dizaine de fois leur vidéo qu’ils ont tourné avec leur caméra dans le taxi ... on a retrouvé leur hôtel qui se trouvait à Bondy !

À la Gare du Nord : Helmut (un touriste allemand) arrive, en sueur et complètement en panique. Il a perdu son groupe à Montmartre.
Moi : «Bitte beruhigen Sie sich. Wo ist denn Ihre Unterkunft ?» - «Calmez-vous, s’il vous plaît. Où est votre hébergement ?»
Lui : «Keine Ahnung!»  «Aucune idée!»
Moi : «Was sehen Sie denn in der Nähe, um das Hotel ?» - «Que voyez-vous près, autour de votre hôtel ?»
Lui : «Eine Fontaine» - «Une fontaine»
Bon, là on n’ira pas loin. Il y en a des centaines à Paris.
Moi : «An was erinnern Sie sich denn? Mit was sind Sie denn gekommen ? Mit der Metro ?» - «À quoi vous vous rappelez ? Vous êtes venu comment ? Avec le métro ?»
Lui : «Mit unserem Reisebus !» - «Avec notre autocar !»
Son visage s’éclaircit d’un coup ! Il se rappelle, incroyable, de la plaque d’immatriculation de son autocar !
J’appelle l’ambassade d’Allemagne, qui trouve en un quart de tour à quelle agence de voyage l’autocar appartient. J’appelle l’agence en Allemagne, on me donne l’adresse de son hôtel. Je lui écris tout sur un papier et lui dit d’y retourner afin d’y retrouver son groupe.

Bureau des Pyramides : Quatre touristes brésiliens souhaitent absolument visiter Lisieux. Il ne leur reste qu’un jour ! Impossible à trouver un train, un bus .... J’ai appelé un taxi pour eux. On ne sait jamais ? Je dis toujours il faut demander, maximum on vous dit «non», mais si on ne demande pas c’est sûr que c’est «non». Et là encore, c’était un «oui» . Le chauffeur de taxi a fait sa journée et gagner quatre amis charmants et reconnaissants ! Ils m’ont retrouvée au bureau des Pyramides, le lendemain après Lisieux pour me remercier et me prendre dans leur bras! J’adore !

À Spot24, notre dernier «lieu» d’accueil : On me remet un passeport britannique. Quelqu’un l’a trouvé dans la rue. Je l’inspecte, vois à qui il appartient. Trouve la fille sur LinkedIn. Vois où elle travaille. Appelle son travail qui perplexe me demande «Comment avez-vous trouvé ?» On me donne son numéro de portable que j’appelle. Ça répond ! La fille devra rentrer à Londres mais faute de passeport a dû réserver plusieurs nuits de plus pour refaire un passeport ... son Eurostar partait le soir. Moi : «Vous êtes où là ?» Elle me donne l’adresse de son hôtel. Oh, mais c’est tout près. Eh bien, je lui ai apporté son passeport et mademoiselle a pu prendre son train le jour même !

L'Office de Tourisme de Paris depuis 1971
L’Office de tourisme de Paris, créé en 1971, est présidé par Pierre Rabadan qui a pris la suite de Jean-François Rial, qui avait lui-même succédé à Pierre Schapira. Paul Roll, Nicolas Lefebvre l’ont dirigé successivement, avant la nomination de Corinne Menegaux. La structure a dépensé jusqu'à un million d'euros en loyer pour son siège social et point d'accueil, lorsque celui-ci était situé rue des Pyramides. Il salarie actuellement 59,7 ETP (équivalent temps plein) dont 10 directeurs plus la directrice générale. Est outillé avec Salesforce. 

Propos recueillis par Manuel Jacquinet. 

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