Café Coton, en liquidation, attend son Général de Gaulle. 20 millions de chemises vendues

“J'ai appelé ma marque Café Coton parce que je ne voulais pas verser dans le néo-british, comme c'était courant à l'époque. Je souhaitais un nom qui corresponde à des valeurs masculines, brutes et indémodables, c'est donc assez naturellement que j'ai opté pour Café Coton”
Créée il y a plus de trente-trois ans par Charles-Augustin Jeuffrain, apparemment associé à l'époque avec la styliste Alix de Riberolles, Café Coton traverse une nouvelle mauvaise passe : elle est en liquidation judiciaire, avec poursuite d'activité. A 99 euros les 4 chemises en coton, ses produits ne sont pourtant pas inaccessibles. La liquette pour homme, un marché complexe ? Les équipes de l'entreprise, 100 salariés, fidèles et motivés, attendent leur .. Général De Gaulle : dans les années 60, celui-ci se démena pour éviter qu'un chemisier français, célèbre et qu'il appréciait, ne soit racheté par un américain.

Plus de 20 millions de chemises* vendues. Au bon prix ?
Café Coton est un phénix: l'entreprise a traversé de nombreuses passes difficiles et a déjà connu une période de sauvegarde. Elle a au cours de son histoire accueilli des associés experts dans leur métier. Mais le design un peu vieillot (?) de ses produits, un réseau de boutiques trop dense et des ventes omnicanales mal maitrisées n’ont pas aidé. Nodus a connu les mêmes affres. Figaret résiste, avec l'aide d'un fonds d'investissement expérimenté mais a également connu des années en perte.
Avec ses 1,2 millions de chemises vendues chaque année en France, la marque Café Coton s'est affirmée depuis sa création, en 1990, comme un acteur majeur du prêt-à-porter masculin. «Il y a une trentaine d'années, je ne pensais pas que j'allais créer une marque qui jouirait d'une telle notoriété, quand on sait que dans ce métier il faut un an pour faire un nom et dix ans de plus pour faire une marque», commente Charles Augustin Jeuffrain, fondateur de Café Coton. Il a retracé cette histoire familiale dans un article des Echos (Charlotte Merlet). Nous en reprenons quelques extraits qui racontent le projet et l'histoire de la marque.

Pouvez-vous retracer la genèse de Café Coton ?
Je ne me destinais pas particulièrement au textile, bien que je sois originaire d'une famille d'industriels implantés dans ce secteur. En 1815, ils créent les établissements Jeuffrain à Louviers, en Normandie, où ils développent une usine de tissage qui exportait essentiellement au Japon et en Allemagne. Mon père, issu de la troisième génération, a été obligé de fermer à la fin des années 1960. Lorsque j'ai monté mon affaire en 1990, après être passé par la case école de commerce, c'était par souci d'indépendance mais surtout du fait de ma sensibilité pour la chemise pour homme. À l'époque, je produisais à l'île Maurice, où mes parents étaient installés, et c'est mon père qui s'occupait sur place du contrôle qualité. Aujourd'hui, deux de mes quatre enfants travaillent avec moi. C'est une véritable affaire de famille.
Pour le design de des produits, Café Coton a travaillé avec le styliste Guillaume Tryoen, qui a notamment participé au lancement de Vilebrequin et de Napapijri. Depuis 2004, selon son PDG, elle utilise du coton produit en Egypte, la variété Giza, un coton longue fibre qui assure une régularité et une bonne absorption des colorants. Pour le tissage, elle travaille avec le groupe italien Monti, tandis que la confection se fait en Turquie.
Au Palais des Congrès et en omnicanal
Au Palais des Congrès, où le groupe exploite encore une boutique, on reconnait que l’affluence en magasin est très corrélée à la fréquentation générée par les congrès. “En dehors de ces pics, on ne voit pas grand monde indique une responsable de magasin. Mais on espère une poursuite de l'activité. L’entreprise est familiale et de très nombreux salariés y sont depuis le début ou presque de leur carrière ou de l’entreprise.”
Une marque omnicanale, encore désirable ?
45% du CA serait réalisé à distance. Pour avoir testé le service client de l'entreprise, force est de constater que la fiabilité du système de vente à distance et de ce qui doit l'accompagner (gestion des réclamations, remboursements etc..) n'est pas toujours au rendez-vous. Est-ce la conséquence des difficultés actuelles ?
Concilier un modèle promotionnel avec celui d'une marque désirable, voilà la question que doivent affronter de nombreux entrepreneurs du secteur. Café Coton n'a pas omis de s'y confronter:
“Comment se réinventer sans se renier ? Et comment, en ces temps de question autour du pouvoir d’achat, cumuler l’attractivité d’un modèle promotionnel avec celle d’une marque désirable ? (..)Nous avons mené avec la marque une réflexion de fond sur la manière de se repositionner, afin de s’approprier les nouveaux codes de modernité du “Néo-Worker” (..) En conservant l’exigence de qualité, les prix raisonnables et l’esprit familial, Café Coton propose aujourd’hui un “Easy Shirting”, ni distanciant, ni disruptif, juste zéro défaut, zéro faute de goût et fait pour durer (..)” . Après la crise Covid, Café Coton a repensé sa communication, son positionnement, notamment avec l'aide de Mane-Lux, une agence spécialisée dirigée par Marion Lavaine et dont l'intervention pour son client est résumée ci-dessus (extraits du site web de Mane-Lux.com).
La concurrence : Figaret, Bexley, Charvet, Nodus, Bourrienne Paris X
Elle est vive, chacune des marques se battant avec ses armes, sur tous les segments de marché. Certaines enseignes, bien que “backées” par des fonds d'investissement ou associés prestigieux, n'explosent pas. L'un de ses concurrents, situé sur un segment premium, Figaret, accueille à son capital deux fonds d'investissement EPI et ECP, Experienced Capital Partners. Malgré leur soutien, l'entreprise n'a pas “craqué” la recette de la croissance folle, pas plus que ne l'a réalisé Le Slip Français dans un métier proche. Le textile et le métier du retail sont définitivement compliqués et très concurrentiels : Bexley s'est lancé dans la chemise, Charles Tyrwhitt achète des liens sponsorisés et, de temps à autre, Veepee ou d'autres assurent une vente évènementielle. A Rome, depuis quelques années, une boutique Brooks Brothers a ouvert.
Alix de Riberolles, Eric Gaftarnik, Emmanuel de La Baume
Au cours de son histoire, débutée rue Singer dans le 16ème arrondissement, Charlot et Alix (Alix de Riberolles), la société d'exploitation de Café Coton, aura été rebaptisée, aura bénéficié des conseils et apports financiers de nombreux professionnels qui y ont été associés : l'avocat Eric Gaftarnik, Emmanuel de La Baume et Eric Vochel, les ex-Danone qui ont fait fortune en reprenant et développant Naturalia notamment. Presque trente-trois ans après sa création, après de nombreux déménagements, rue de Turenne, rue Charlot, dans le 19ème, dans le 93, retour avenue Victor Hugo, dans le 16ème. Mais désormais, la clientèle masculine de l'arrondissement précisément et les néo workers évoqués ci-dessus achètent un peu partout et sont, eux aussi, devenus addicts aux promos, aux sites de ventes évènementielles. Ils se piquent, quand ils ont fait fortune, d'acquérir des signes d'appartenance. Cap sur la place Vendôme alors, chez Charvet par exemple ou chez Dior etc.
Ci-après le spot de publicité imaginé et diffusé en 2019.
Café Coton recherche son Général de Gaulle ou son Charles Begbeider
Fondé en 1838 par Jean-Christophe Charvet, le spécialiste de la chemise pour homme est devenu, au fil des ans, fournisseur des princes, des rois (la maison a reçu le brevet royal de "Chemisier à Paris" en 1869), des aristocrates, des philosophes en vue (BHL), des poètes, des présidents ( Baudelaire, JFK etc..)

En 1960, c'est le général de Gaulle lui-même qui trouve un repreneur pour “sauver” la maison Charvet, en l'occurrence pour éviter qu'elle ne soit acquise par un américain. (nb: Charvet était le fabricant des chemises du Général). Denis Colban, principal fournisseur de Charvet à l'époque, la reprit. Aujourd'hui, ses enfants (Anne-Marie et Jean-Claude) perpétuent la tradition de cette maison d'exception à la réputation internationale. Installée au 28 place Vendôme depuis 1982 dans l'hôtel de la Bouëxière, cette boutique est la plus ancienne de la place.
Plus récemment, une autre marque de chemise a bénéficié, elle aussi, du soutien d'une personnalité connue : Charles Begbeider a prêté le nom d'un joli lieu qu'il possède et a rénové, l'hôtel Bourrienne, pour y lancer une nouvelle marque, Bourrienne Paris X. La chemise blanche en popeline y est vendue environ 360 euros. L'expérience client proposée dans la boutique serait extraordinaire.
Survival of the fittest, la survie du plus fort
En 1994, j'ai rencontré Charlot (le surnom que ses collaborateurs utiliseraient) dans son antre, à l'époque située dans le Marais. Son enthousiasme et sa passion pour le produit, les matières, m'avaient marqué. Parfois, malheureusement, ça ne suffit pas. Dans la Drôme récemment, après bien des remous, les marques Clergerie, Stéphane Kélian, Charles Jourdan et d'autres ont passé l'arme à gauche.
Quoi qu'il en soit, si l'aventure Café Coton devait cesser, son fondateur et son équipe se consoleront peut-être avec ce rappel: cinq marques françaises réputées de chemises existaient et prospéraient au XXème siècle: Bouvin, Charvet, Poirier, Seelio, et Seymous. Il n'en reste plus qu'une : Charvet, Place Vendôme. Mais il faut débourser de 500 à 700 euros pour acquérir un modèle de la marque qui sera confectionné sur mesure, dans un atelier situé à Saint Gaultier, dans l'Indre.
Jointe par nos soins, la direction de Café Coton n’a pas désiré commenter.
Manuel Jacquinet.
*estimation du nombre de chemises Café Coton vendues depuis sa création.
RECHERCHE DE REPRENEUR
SOCIETE EN LIQUIDATION JUDICIAIRE AVEC POURSUITE D’ACTIVITE
SAS CAFE COTON / SAS CHARLOT Holding. Annonce postée le Vendredi 25 Avril 2025 Dépôt des dossiers avant le Mardi 6 Mai 2025 à 16h
(extrait de l'annonce sur le site d'annonces légales). L'entreprise dispose d'un réseau de 60 boutiques dont 27 détenues en propre et le reste en franchise. Elle réalise, selon les années un peu plus de 30 millions de CA. Les offres de reprise des deux sociétés, la société d'exploitation et la holding sont à remettre avant le 6 mai au mandataire AJRS.
