Allo Lulu bobo
Dans ce numéro, JJ enquête sur les services et le concept de « Lulu dans ma rue », une initiative mettant à disposition des habitants du quartier toutes les bonnes volontés dont ils peuvent avoir besoin pour résoudre leurs petits problèmes du quotidien – et qui, avec des implantations physiques se fondant totalement dans la vie de quartier, se défend de participer à l’ « Uberisation » de l’économie.
Tu viens bricoler à la maison ce soir ?
Au coin de la rue des Rosiers et de la rue des Ecouffes, Jean-Jacques, un architecte à la retraite qui a passé douze ans au Brésil, cuisine la feijoada comme personne. Un peu plus loin, derrière le BHV, Juliette et Thomas ne savent plus où donner de la tête depuis que Noé marche ; de l’autre côté de la Seine sur le quai d’Anjou, Chantale ne sait que faire de tout ce nouveau temps libre. Quant à Sébastien, si confortablement avachi dans son canapé, il aimerait tellement que quelqu’un lui monte son dîner jusqu’au huitième étage sans ascenseur de son studio à Rambuteau. Depuis deux mois, Juliette et Thomas peuvent compter sur Chantale, tandis que Sébastien fait les louanges de Jean-Jacques à tous ses amis. Merci qui ? Merci Lulu dans ma rue, un service parisien de conciergerie de proximité implanté au cœur du Marais et conçu pour remédier aux petits tracas du quotidien citadin.
Un esprit coup de main qui fait du bien
Derrière ce nom « qui sonnait bien » se cache une tête bien faite : celle de Charles-Edouard Vincent, fondateur d’Emmaüs Défi, une entreprise de lutte contre l’exclusion par l’activité économique. Principale leçon qu’aura tirée l’entrepreneur de cette première expérience auprès des sans-abris : après des mois, voire des années au chômage, la remobilisation professionnelle, en dépit de contrats d’insertion souples, n’est pas toujours chose aisée. Pour cet ingénieur multi-diplômé (Polytechnique, Ponts et chaussées, Stanford), l’équation est vite posée : d’un côté, une demande quotidienne pour des petits services qui nous épargnent temps et énergie, de l’autre, un vivier de retraités, d’étudiants ou d’anciens chômeurs disposés à joindre l’utile à l’agréable ; pour faire le lien, une multitude de petits métiers qui ne demandent qu’à être revalorisés.
Economie de proximité, économie interstitielle, économie solidaire : appelez ça comme vous vous voudrez, au-delà du concept, la magie opère : en l’espace de deux mois, cette « conciergerie de quartier » a recueilli pas moins de 650 demandes.
Un sourire pour vous servir
Lulu cuisinier, Lulu bricoleur, Lulu baby-sitter ; pas moins de 30 bonnes volontés s’affairent aujourd’hui à simplifier le quotidien des habitants du quartier. « C’est aussi simple que le black (ndlr : travail au noir) mais c’est légal » résume Louis-Xavier Leca, le chef de projet du clan et accessoirement, l’un des trois concierges actuellement à l’ouvrage. Chaque Lulu bénéficie au titre de micro-entrepreneur de formations et d’un accompagnement adapté à son profil qui lui permettent ainsi de se professionnaliser et de pérenniser son activité.
Des plus classiques aux plus farfelues, toutes les demandes sont traitées et assignées aux « pools » de compétence entre lesquels les quelques 30 Lulus sont répartis. Lorsque la prestation attendue sort de leurs domaines d’expertise, c’est avec l’honnêteté et la transparence qui sous-tendent « HYPERLINK “http://www.luludansmarue.org/charte-lulus.html”la charte des Lulus » que cette belle équipe réoriente les clients malheureux vers des structures ou fédérations d’artisans partenaires. Pas de cannibalisation donc, juste la volonté d’améliorer la qualité de vie des citadins à l’heure où l’anonymat et l’exclusion régentent les grandes villes.
La note
A rebours du règne des apps, du diktat de l’online, Lulu dans ma rue dénote : il ne s’agit pas en effet d’une énième plateforme d’intermédiation en ligne, ce qui nous autorise d’emblée à en saluer l’originalité, à l’heure où les Task rabbit et autres Youpi Job* se chamaillent sur le Web. C’est d’ailleurs l’une des spécificités que Charles-Edouard Vincent aime mettre en avant : oui, en 2015, on peut créer un concept qui marche sans en dématérialiser intégralement le process, proposer un service sans überiser** son voisin. Une recette «made with love », comme ils disent, qui assied son succès sur l’authenticité de ses ingrédients et l’application de ses chefs aux fourneaux : l’implantation d’une infrastructure physique rassure, le contact humain convainc. L’essentiel des commandes passées le sont du reste à l’issue d’une visite au kiosque, après que le concierge a pris le temps et le soin de répondre aux interrogations persistantes. A noter enfin que la tolérance et la bienveillance vont de pair avec la promesse donnée : le client s’attend avant tout à être dépanné, pas à être traité comme Beyoncé.
Le kiosque place Saint Paul devrait faire des émules : si ce projet pilote, lancé à titre expérimental, souffre pour l’instant de l’absence d’un véritable modèle économique, en dépit des subventions accordées au titre de lauréat de HYPERLINK “http://lafrancesengage.fr/”« La France s’engage », un appel à projets lancé directement par la présidence de la République, l’objectif est d’essaimer sur tout le territoire parisien en implantant cinq kiosques par arrondissement d’ici 2017. Pour ce faire, plusieurs business models – commission, abonnement – sont à l’étude, des enquêtes mystères sont régulièrement réalisées auprès d’amis volontaires, et un questionnaire de satisfaction est systématiquement soumis au client dans la semaine suivant la prestation. La gestion « artisanale » sert pour l’instant l’attractivité du concept, mais on espère néanmoins que celle-ci survivra aux éventuels problèmes logistiques – traitement des demandes, mutualisation des compétences, référencement – qu’une expansion à plus grande échelle pourrait faire émerger.
Joséphine Jacquinet
Antisèche
Lulu dans ma rue
http://www.luludansmarue.org/
Siège : 13-15 rue de la Verrerie, 75004 Paris
Kiosque : Place Saint Paul, 75004 Paris
01 73 74 89 52
* deux plateformes Internet de mise en relation de particuliers pour s’échanger du travail à la tâche
** expression inventée par Maurice Lévy, patron de Publicis, pour désigner les pratiques de certaines compagnies qui viennent se substituer à un marché déjà existant tout en s’affranchissant de ses règles de fonctionnement.
uru
L'auteure
Ex-khâgneuse reconvertie dans le digital, JJ (Joséphine Jacquinet) a conservé de ses années studieuses de classe préparatoire une mauvaise habitude : celle de tout mettre en fiches, de “stabilobosser”, d’apprendre jusqu’aux petites lignes du livre de référence. Heureusement, elle a aussi gardé (le feu éteint ne l’est jamais vraiment) le goût du shopping, de la veille mondiale sur les nouvelles tendances vestimentaires, alimentaires ou culturelles, et des balades dans les villes européennes, où l’histoire se fait et s’écrit. On peut aimer lire Elle et la NRF (Nouvelle Revue Française) !
Aussi, quand l’éditeur s’est confronté à une interrogation essentielle (à qui confier l’énorme responsabilité de rédiger six fois par an, le décryptage, sous forme de chronique, des dernières et meilleures expériences shopping, cinématographiques, ou culturelles), un nom s’est imposé : Joséphine.