« Erin, seule contre tous »
(Le tableau qui prouve la grande foutaise des prédictions sur la Job Destruction. And that convinced me to throw myself into the movie industry)
Gardiens de musée, caissières, interprètes, chauffeurs de poids lourds, agents d’accueil, prolétaires de l’accueil et du contact client, téléconseillers, vous qui tremblez tous d’être remplacés par des machines, le Big Data et les robots, trucidés même par un peloton d’exécution qui rassemblerait ces 3 snipers…dormez tranquille, et surtout, lisez l’histoire suivante, incroyable, celle de Téléfonator, ancien nobody (salesman qui fit fortune dans le cinéma après avoir rongé son frein sur le floor).
Dormez tranquille, avec 1 seul tableau, Erin Winick (rédactrice adjointe au MIT Technology Review) fait pacifiquement à ces prédictions de mauvais augure, ce fatum (en latin, le destin) qu’on vous promet, le même sort qu’Erin Brockovitch aux bandits de la PG&E (la Pacific Gas and Electrical Company) dans le film de Soderbergh, Erin, seule contre tous : elle les hache menu, avec la même dextérité que Jiro Ono, maître sushi.
Que dit ce tableau savant, qui compile les chiffres, issus de très nombreuses études, sur les destructions et créations prévisibles d’emploi (ces fameux chiffres sur lesquels les décideurs, les chief digital officers, les apôtres de la disruption fondent leurs plans de transformation) ?
QUE TOUS LES CHIFFRES DES EXPERTS DIVERGENT, QUE TOUT CA EST UN GIGANTESQUE BRAQUAGE DE BANQUE !
Exemple : McKinsey envoie au cimetière 400 millions de travailleurs, à l’horizon 2030, tandis que Thomas Frey en condamne putativement 2 billions. Erin Winick, merci ! Vous venez de faire économiser à la sécurité sociale française des millions de boites de Xanax, vous êtes devenue la best friend forever d’Agnès Buzyn et Nicolas Revel, patron de la CNAM. Vous m’avez convaincu de ne pas donner suite finalement à mon projet de création pour une énième boite de Big Data contextualisé disponible sur tous les displays et devices qui embarquait un algorithme de rich media connecté en temps réel à ContentSquare, Salesforce et Zendesk. Non, bad idea, je me lance dans la production de séries.
Par ici, le lien vers le tableau ci-contre, dont on parle tant. Les colonnes indiquent, de gauche à droite : Pour Quand ? – Où ? – Nombre de postes supprimés – Nombre de postes créés – Qui l’a prédit ?
Et ça marche déjà très fort : au moment où je vous parle, il y a Netflix qui m’appelle sur une ligne, Jeff Bezos, le patron d’Amazon studio sur la deuxième. En triple appel, j’ai même l’agent d’Isabelle Huppert qui veut absolument lire le script. Purée c’est ouf le cinéma ! Avec 3-4 bons numéros de téléphone (que des 06) et un bon script, tu closes à peu près 3 ventes à l’heure avec acompte. Le fichier des mecs à estourbir c’est un ancien stagiaire de chez Peopleforcinema qui me l’a filé sur une clé USB (faut vous dire qu’il en avait ras-le-bol au bout des 18 mois de stage, malgré son diplôme d’HEC et son passage à Normale Sup’. Il s’est payé sur la bête, comme à peu près tout le monde aujourd’hui).
Et donc, à ces smartguys, je leur ai vendu* un concept de série, torché ce matin en 12 minutes tandis que j’attendais le RER C comme d’hab (il parait qu’on en prend pour 8 ans de souffrance avec la SNCF autant trouver de quoi s’occuper pendant qu’on attend la rame).
Dans le premier épisode de ma série, la terre a été décimée à cause de barquettes de lasagnes que tout le monde a mangées…Cindy, une blonde trentenaire, un peu rousse comme Jessica Chastain, qui a eu un enfant en Palestine avec un travailleur Ousbek, médecin de son état, accepte de tester un nouveau protocole médicamenteux pour éradiquer le virus de la vache folle lié aux lasagnes. Stop, fin du premier épisode.
Dans le deuxième, les secouristes et le docteur du CDC (National Centre for Disease Control), empressés d’aller secourir Cindy, sont empêchés dans leur mission de sauvetage de Cindy. Le 4X4 tout terrain diesel dans lequel ils sont embarqués émet des gaz toxiques. Pourtant la brochure disait que tout était clean (toute ressemblance avec des entités existantes ou ayant existé est purement fortuite).
Le président, qui arrive dans l’épisode 3, annonce alors que tout va mieux marcher, grâce à une nouvelle carte de fidélité qui permet de personnaliser les achats, et de savoir ce qui est bon pour chacun. Cette carte s’appelle Meantime et a été développé dans le laboratoire Palantir. La data issue de ces programmes de fidélisation est traitée par Palantir, une start-up growth-hackée chez Encubator, un super endroit de coworking où l’on va tourner une partie des scènes. Le rapport avec Cindy, y en a pas, mais le secouriste de l’épisode 2 a été viré du film car il a touché les fesses de Cindy et du coup il a fallu tout retourner et donc on n’a plus beaucoup d’argent.
A ce stade normalement, vous vous demandez comment Téléfonator et sa superbe assistante Claudia ont levé les 3 millions d’Euros pour lancer la prod’ exécutive et inviter tous les soirs au Silencio le gratin du cinéma. Sans tout vous révéler, j’ai eu l’idée de malade. Après chaque épisode de la série, dans la salle ou devant l’écran, le spectateur est sondé avec un questionnaire de feedback management qui permet à tous les partenaires du film de mesurer l’engagement client, de récolter de la data tridimensionnelle et de rentrer dans le cortex de Chantal et Thomas. Tout est analysé et certains même reçoivent en échange de ces avis et données du popcorn en intraveineuse et pour d’autres, du cannabis. Le tout sur abonnement, conclu avec une appli dont l’UX design a été conçu par Sapient. (Publicis) La mesure de l’expérience spectateur étant dealée, elle, avec Medallia, pour la bagatelle de 2 millions de dollars pour la première année.
Episode 4, un bug dans la machine qui édite les étiquettes et les cartes de fidélité émet des mauvais bons de réduction, c’est l’apocalypse au rayon pots Mustella et couches Papercées : la boucherie. Et du coup, les mecs se tuent dans les rayons à coup de battes de baseball (on a déjà la marque qui est ok pour le placement de produit sur la batte de baseball). Malgré l’implication et l’engagement client du service de sécurité dirigé par Jason Statham et les Expendables, la scène est indescriptible… (on n’est pas encore sûr d’avoir Jason, parce que la CAA (Creative Artists Agency), son agent, pinaille sur les placements de produits).
J’en étais là, quand le RER est arrivé.
Chers gardiens, hôtesses de caisse, poinçonneurs, mes futurs spectateurs, j’ai besoin de vous. Car j’hésite encore pour le titre : “La vérité si je mens opus 345”, ça sonne bien, non ? Ça rappelle des trucs connus et qui ont bien fonctionné sur le marché français, mais j’ai lu dans Simplissinéma, un livre qui dit comment gagner beaucoup d’argent dans le cinéma, qu’il faut viser mondial, prévoir tout de suite la marque de popcorns, faire court et straight.
Du coup, j’hésite, c’est cornélien, entre “I always tell the truth even when I lie” ou “Fuck fuck you”. Ce qui est sûr, c’est que je veux JCVD, Jean-Claude Van Damme, c’est le seul qui ne me déçoit jamais.
Source : Erin Winick, « Every study we could find on what automation will do to jobs, in one chart », MIT Technology Review [en ligne], Janvier 2018.
To be continued… Un billet d’humeur de Manuel Jacquinet
Dans le prochain numéro d’En-Contact, un dossier sur ce sujet et le 14 février, une matinée sérieuse sur le parcours client et la connaissance client, avec un gars qui ne dit que des choses vraies et pertinentes : Emmanuel Bacry.
*12 années de télémarketing intensif dans une boiler room à fourguer n’importe quoi par téléphone, en demandant le numéro de carte de crédit, ça développe les skills : option binaire, certificat d’énergie, réduction sur la facture, j’ai tout vendu, claqué en 2 minutes 30 avec un taux d’annulation post-appel proche de limite zéro. On m’appelait Téléfonator.
Photo en une : “Alors, écoute-moi bien Rocco, Voilà ce que je te propose : tu m’attends à Salem et on discute. On se fout sur la gueule ou on se met d’accord, mais dans les deux cas on économise du temps et de la fatigue.”, Cent mille dollars au soleil, Henri Verneuil, 1969 (© Bridgeman)