Toubib or not toubib ?
Les toubibs de stars ont été remplacés par les médecins stars. Qui sont les nouveaux mandarins du show-biz ? Qui vend le plus de livres ? Qu’en dit la toile ?
« Le docteur Abitbol vend-il plus de livres que Frédéric Saldman ? », me demande mon bien-aimé rédacteur en chef. « Le docteur qui ? », ai-je répondu. C’était déjà un élément de réponse. Moi qui en suis resté au Dr. Justice, à l’époque où je lisais Pif Gadget, jamais je n’avais entendu parler de ce Duchmol, « phoniatre » soi-disant célèbre… Pho-quoi, au fait ? Décidément, ce reportage sur les médecins de stars partait sur de mauvaises bases : « Le docteur Abitbol est le médecin du show-biz », me dit-on. Ah bon… Mais pas plus que le docteur Zucarelli, alors : aucun médecin ne peut se vanter de connaître plus de stars que ce dernier qui les a, depuis quarante ans, vu quasiment toutes défiler dans son cabinet du XVe arrondissement de Paris. Jadis, il auscultait Jean Gabin, Lino Ventura ou Charles Trenet. Aujourd’hui, ce sont Dany Boon, Jean Dujardin ou Marion Cotillard qui sonnent à sa porte. Il est vrai qu’ils n’ont pas vraiment le choix : François Zuccarelli est le seul médecin accrédité auprès des compagnies d’assurances pour signer les certificats d’aptitude aux tournages et aux tournées. A raison de 25 à 30 consultations express par jour (« de cinq à quinze minutes chacune », précise notre homme), réglées 45 euros par les assureurs, il n’a, certes, pas de problèmes de fin de mois. Mais, en comparaison de la plupart des docteurs de stars, il reste un gagne-petit.
Un business lucratif
Car la médecine est devenue un business lucratif pour les petits malins, quand ils ne sont pas carrément des margoulins (voir plus loin). Le très médiatique, Patrick Pelloux, qui s’était fait connaitre en poussant un coup de gueule en 2003, lors de l’hécatombe due à la canicule, a très vite été dépassé en termes de notoriété. Il a beau avoir échappé à l’attentat de Charlie Hebdo, Pelloux a vu son aura assombrie par Michel Cymes qui est à la médecine ce que Stéphane Plaza est à l’immobilier. C’est bien simple, avec Frédéric Saldmann (spécialiste de l’hygiène) et Giulia Enders (spécialiste du rôle des intestins), il complète le trio qui est en tête des ventes de livre santé depuis cinq ans. Aujourd’hui Michel Cymes est sans conteste le médecin le plus célèbre de France. Une notoriété télévisuelle qui rapporte gros si l’on en croit le salaire annuel perçu par le néo-comédien/éditeur de presse, devenu l’animateur télé préféré des Français. Selon les estimations du magazine Capital, le doc chouchou des ménagères toucherait environ 290 000 euros par an, pour ses seuls exercices télévisuels.
Alors, combien les auteurs-stars gagnent-ils avec leurs best-sellers ? Le secret est bien gardé. Un contrat d’auteur « à potentiel » prévoit au minimum 12 % des droits pour l’auteur, soit, pour un livre à 17 € écoulé à 1,2 million d’exemplaires, une manne de 2,4 M€ ! Ou pour un ouvrage à 20 € qui serait vendu à 500 000 exemplaires, une somme qui reviendrait à l’auteur de 1,2 M€. La diffusion des Pouvoirs extraordinaires du corps humain, sur France 2, rapporterait au Dr Cymes 15 000 euros, celle de Tout le monde joue (qu’il a animé cinq fois avec Nagui en 2015), 10 000 euros et Allô docteurs et Le magazine de la santé : 15 000 euros par mois également. Ajoutons à cela les Aventures de médecine et Enquête de santé, qui gonflent le chiffre à la rondelette somme de 290 000 euros. En parallèle, Michel Cymes récolte également 14 % de droits d’auteur lorsque ses livres se vendent au-delà de 20 000 exemplaires (ce qui est évidemment bien largement le cas), et 72 euros par matinée passée à l’hôpital européen Georges Pompidou. Car oui, même s’il est une star du petit écran, l’animateur enfile sa blouse blanche les mardis et mercredis matin pour assurer des consultations. Ça, c’est pour l’image… encore l’image. On se demande s’il dort jamais ou s’il a un frère jumeau… Attention au coup de pompe, doc ! Les jaloux disent qu’il en fait trop. Les bons amis louent son engagement pour la santé publique : « Il est un des seuls à avoir publiquement recadré le professeur Joyeux » (ce n’est pas une blague… il s’appelle Henri) qui s’opposait au vaccin contre la rougeole.
Et pour Saldman, le médecin hygiéniste sorti de nulle part ? Albin Michel, son éditeur, annonce 1,2 million d’exemplaires vendus et, en rajoutant les éditions en poche, 1,8 million. Son plus gros coup, Le meilleur médicament, c’est vous, c’est vendu à plus de 500 000 exemplaires. Pourquoi un tel carton ? Frédéric Saldmann a trouvé un ton juste pour parler de la prévention. Il enfonce des portes ouvertes, avec ses conseils de grand-mère, prononcés avec son sourire ultra-bright, télévisuel, et ça marche. Son nouveau livre, au titre accrocheur Vital votre Bible santé (A. Michel) cartonne. Chez Actes-Sud, Giulia Enders concurrence le polar Millenium, de Stig Lärsonn. Quel flair ! En rachetant les droits pour la France du livre d’une étudiante, sorti d’abord en Allemagne, Le charme discret de l’intestin, la maison d’Arles a explosé ses compteurs : 1,5 million d’exemplaires ! Elle a été repérée par un agent littéraire alors qu’elle faisait sa thèse sur l’intestin… en slam, devant les étudiants. Avec sa sœur, qui dessine et la conseille, les deux ont imaginé un ouvrage très novateur. La jeune allemande de 30 ans aujourd’hui est devenue gastro-entérologue et le succès ne semble pas lui est être monté à la tête.
Succès, abus et dérapages
Au contraire de certains auteurs de best-sellers médicaux, lesquels, abusant de leur succès, ont dérapé et se sont crus autorisés à transgresser les règles. Rappelons que le code de santé publique interdit au médecin de « faire de la publicité et du commerce, en dehors de l’information du public ». Comme ce fut le cas de Pierre Dukan, radié par l’ordre des médecins en 2014, parce qu’il usait de son titre de docteur pour vendre à l’infini son régime et son site « regimedukan.com », et la « croisière Dukan » pour maigrir en mer… Le nutritionniste Jean-Michel Cohen, connu pour ses best-sellers dans le domaine de l’alimentation – et très présent à la télé lui aussi -, a lui également été interdit d’exercer la médecine pendant un an, de 2016 à 2017, par l’Ordre, au motif qu’il « avait méconnu l’interdiction de pratiquer la médecine comme un commerce et l’obligation de s’abstenir de tout procédé publicitaire », en étant très présent sur le site « Savoir maigrir ».
En 2012, un livre d’Odile Plichon (Le livre noir des médecins stars, Stock) lâchait une bombe sur certaines pratiques de ces carabins qui se croient intouchables. Tandis que la majorité des collègues des hôpitaux ne cesse de consentir à des efforts (budgets resserrés, régimes de retraite rabotés), il arrive à certains d’utiliser le service public de santé au profit de leurs seuls intérêts privés. En s’appuyant sur des faits, des chiffres et des témoignages détonants, ce livre dévoilait des aspects cachés – et parfois scandaleux – de la médecine française. Elle revenait notamment sur le cas de plusieurs sommités dont la réputation est « surévaluée », soit au regard de leur compétence réelle, soit parce qu’elles abusent du vedettariat. Le cas de l’urologue Bernard Debré est emblématique du système. Le député UMP de Paris, réélu en 2007, dirigeait depuis plus de vingt ans le service d’urologie de l’hôpital Cochin. Nommé Professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH) en 1980, ce chirurgien est par ailleurs membre du comité consultatif national d’éthique ainsi que de l’Académie des sciences d’Outre-mer. Ajoutez à cela une volumineuse activité libérale à l’hôpital : en 2008, les patients privés de Bernard Debré lui ont rapporté jusqu’à 280 000 euros ! Enfin, depuis 2004, ce proche de Jacques Chirac, qui semble avoir un extraordinaire don d’ubiquité, est chef de service honoraire de… l’East Hospital de Shanghaï (Chine) !? Ce n’est pas fini : en septembre 1992, le Président de la République, François Mitterrand, qui vient de subir une intervention à la prostate, descend les marches de l’hôpital Cochin avec à ses côtés, son chirurgien, le Pr Adolphe Steg, l’urologue qui le suit depuis une bonne décennie. Mais juste derrière, bien visible des caméras, un autre professeur s’affiche : Bernard Debré, alors que ce n’est pas lui qui l’a opéré. Il était juste le « chef du service » où se déroulait l’intervention.
Un autre urologue, moins connu du grand public mais respecté par ses pairs, le docteur Clément Abbou, n’oublie pas le service après-opération (il serait un des meilleurs pour les prostatectomies totales assistées par robot). « Récemment un patient s’est plaint, sur Google, de ne pas s’être débarrassé d’une MST par ma faute… Alors qu’il avait fait n’importe quoi ! ». Lui n’écrit pas de livres mais une liste d’attente existe pour ceux qui désirent être opérés par ses soins.
Et en chirurgie esthétique ?
Odile Plichon retrace également le parcours trouble du neurochirurgien Stéphane Delajoux (ex-petit ami d’Isabelle Adjani) de l’opération de la dernière chance sur Marie Trintignant, un « bluff » selon l’auteur, jusqu’au litige qui l’opposa, en 2009, à Johnny Hallyday, pour une opération d’une hernie suivie de complications qui obligea le chanteur à une intervention en urgence quelques jours après. L’auteur détaille les salaires annuels – allant jusqu’à près de 600 000 euros – d’une quinzaine de ténors de salles d’opérations qui exercent pourtant dans des hôpitaux publics. Ce genre de mésaventure ne risque pas d’arriver à Sydney Ohana (le roi de la chirurgie esthétique) qui, pour rien au monde, ne dévoilera le nom des célébrités qui défilent dans sa clinique luxueuse du quartier du Trocadéro. Catherine Deneuve, Isabelle Adjani, Clémentine Célarié ou bien encore Roger Hanin ont tous fréquenté les lieux mais chhhuutt… A 6 000 euros le lifting cervico-facial, 5 000 euros la liposuccion, 4 000 euros le traitement des paupières, Sydney Ohana est loin d’être le plus cher des chirurgiens esthétiques dans le monde.
Mais ce génie du marketing médical, qui a ouvert un site web sobrement baptisé Ohana TV, se rattrape sur le volume. Pour faire venir à lui les nouveaux riches du bout du monde, il a même eu l’idée de faire traduire ses livres en arabe et en russe ! Mais, et le docteur Abitbol dans tout ça ? Son dernier livre, Voix de femmes (Odile Jacob) est largement distancé, en termes de ventes par Saldman et compagnie et même dépassé, et de loin, par un coach de gym, Thibault Geoffrey (Mes recettes Healthy, Marabout).
Par Jérôme Beauregard
Photo de Une : Docteur House – © DR
A savoir :
La 7ème édition d’Expérience Client/The French Forum consacrera deux conférences et master class aux questions de l’expérience patient.
Rendez-vous sur : experienceclient-thefrenchforum.org