Pourquoi n’y a-t-il pas d’acteurs roumains dans Star Wars? Kontinental 25

« Parce que, même dans le futur, les roumains ne veulent pas travailler ». Kontinental 25, un film de Radu Jude, mérite le détour. Mêlant la fiction et des plans qui rappellent le cinéma documentaire, il aborde avec humour et réalisme des questionnements qui surgissent tôt ou tard, quand on se questionne sur l’efficacité des bonnes intentions. Sur les villes qui, comme Cluj dans le film, se développent avec anarchie et des dinosaures qui y trainent.
Le pitch : Orsolya, huissier de justice, a des remords.
Le sans-abri qu’elle a expulsé s’est suicidé. A Cluj, dans le sous-sol d’un immeuble du centre-ville qui va être transformé en hôtel de luxe, un sexagénaire, ancien sportif de haut niveau, devenu alcoolique, s’est pendu à un radiateur. Orsolya, la commissaire de justice qui a géré l’affaire et l’expulsion, revisite son existence et laisse sa famille partir en Grèce, pour les vacances prévues de longue date.

Le projet et la fabrication du film, par son auteur.
De la limite des actes individuels isolés dans l’économie globale.
Orsolya se sent coupable et tente d’apaiser sa conscience à travers de petites actions, telles que la lecture d’intellectuels de gauche ou en faisant des dons aux ONG. Or ce sont des réactions qui ne résolvent en rien les problèmes systémiques dont elle est complice. Son sentiment de culpabilité reflète-t-il la limite des actes individuels isolés dans un modèle économique plus large ?
Radu Jude : Je ne suis pas convaincu par cette idée, non pas parce qu’elle serait fausse, mais parce que c’est aux critiques et aux théoriciens de dégager le particulier et de le relier au général et à l’universel. De mon côté, j’en ai une vision plus personnelle, à plus petite échelle : c’est l’histoire de quelqu’un animé de bonnes intentions, quelqu’un de bon et de consciencieux, mais néanmoins coincé dans le système. Il nous arrive à tous d’être témoins de scènes d’injustice – face à une personne sans abri, par exemple – d’en être affectés, et de poursuivre notre vie comme avant. Il se peut que nous fassions un don à une organisation pour soulager notre conscience, tout en sachant que ça ne changera rien, dans le fond. Ce sentiment est particulièrement fort en Roumanie, à cause de l’histoire du pays. Après la dictature de Ceausescu, le pays ne s’est pas transformé en démocratie sociale mais en démocratie néolibérale, offrant peu de protection sociale. La culpabilité d’Orsolya reflète les manquements du système mais le film s’intéresse à son expérience individuelle plus qu’il ne cherche à faire de grandes déclarations idéologiques. J’ai aussi pensé à Carlo Ginzburg, un historien qui compte beaucoup pour moi. Il explique que le cas est plus intéressant que la règle. J’essaie donc de me concentrer sur le particulier, sur les détails de ce cas.
Quel a été l’impact de sa transformation en « ville connectée » et destination prisée des touristes sur l’histoire et le développement des personnages ?
RJ : Cluj est un cas particulier. D’un côté, c’est une « success story » : l’industrie de l’informatique y est florissante, la population augmente et c’est un exemple de ville moderne et civilisée, contrairement à d’autres villes du pays. Mais cette réussite a un coût, celui de la gentrification et d’un développement urbain chaotique, surtout à l’extérieur de la ville. Cluj est entourée de collines. L’expansion de la ville a donc débordé sur les villages alentour, comme celui où habite Orsolya. Ces villages se sont développés très rapidement, souvent sans infrastructures dignes de ce nom, sans écoles, sans hôpitaux. Je voulais opposer la « success story » de Cluj aux histoires de ceux qui sont laissés pour compte – les perdants de la croissance économique. Il s’agit de contrebalancer l’histoire triomphaliste du développement économique.

Il y a des plans très frappants de statues de dinosaures dans le film. Qu’est-ce qui explique ce choix ?
RJ : Il s’agit en fait d’une coïncidence ! Nous tournions à côté d’un complexe hôtelier qui s’appelle Wonderland, et qui nous a généreusement hébergés. Derrière l’hôtel, il y avait un parc de dinosaures, et je me suis dit que ce serait parfait pour le film. Dans le scénario, nous avions prévu une scène dans les bois, mais je l’ai remplacée par les dinosaures. D’un point de vue symbolique, ça peut signifier un monde dans lequel les êtres 10 11 humains n’existent plus, une espèce d’avenir post-humain. Mais ce sont aussi de faux dinosaures qui servent d’attraction touristique, et qui, dans ce sens, illustrent la commercialisation à outrance, même de la préhistoire. C’est une image à interpréter, sur laquelle on pourrait écrire tout un essai.
Pourquoi avoir tourné simultanément et pourquoi avoir utilisé un iPhone ?
RJ : Le tournage simultané nous a permis d’être plus rentable puisque l’équipe et les moyens techniques étaient déjà sur place. Pour ce qui est de tourner avec l’iPhone, c’était choisir la simplicité. C’est désormais un outil abordable. Je voulais donc montrer qu’on peut faire un film avec des moyens limités. C’est un peu comme revenir aux bases du cinéma, aux Frères Lumière. Nous avons tourné en 10 ou 11 jours, sans lumière ni machinerie, avec pour seuls supports, les dialogues et les décors naturels. C’était libérateur. Ça s’inscrit aussi dans une idée rossellinienne du cinéma, qui consiste à travailler dans « une pauvreté de moyens ». Un grand nombre de films qui parlent de pauvreté ou de violence sociale sont réalisés avec des budgets de plusieurs millions de dollars, ce qui crée parfois des contradictions. Je voulais aller à l’encontre de cela.
Extraits du dossier de presse du film.