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Monsieur Njamfa

Publié le 19 février 2020 à 10:30 par Magazine En-Contact
Monsieur Njamfa

Après dix-neuf ans d’intense travail, il a réussi son coup : développer et vendre, à un grand acteur canadien des logiciels (Enghouse Systems) l’entreprise qu’il a créée et promue, portée comme un enfant. Compte-rendu de l’audition d’Olivier Njamfa, après une descente de la Befti (encore un éditeur qui passe sous pavillon étranger, voilà qui inquiète et provoque des enquêtes.).

Eptica, le spécialiste de l’e-mail, rachetée voici quelques mois, avait considérablement élargi ses activités mais cette exit, comme disent les anglo-saxons, frappe surtout par sa pertinence et le sens tactique du fondateur qui l’a provoquée. Quel peut-être l’avenir d’un éditeur français, certes installé dans plusieurs pays, certes assez efficace et utile pour s’être largement infiltré dans des secteurs aussi bagarrés que la banque et le secteur public, rentré dans le Magic Quadrant, mais de taille modeste en face des Salesforce, Twilio, Zendesk, Genesys, qui atomisent le marché avec leur marketing intense et les niveaux de salaires parfois indécents proposés à leurs équipes de Sales ?
J’ai croisé souvent ONJA depuis vingt ans, l’ai toujours vu concilier précision et politesse, urbanité, sens du détail et fine compréhension des enjeux. J’ai douté parfois qu’il réussisse ce hold-up légal qui fait rêver les entrepreneurs du monde du Software. Maintenant que je l’attrapais la main dans le sac, il était temps.

Olivier Njamfa – © Edouard Jacquinet

Manuel Jacquinet : Njamfa, c’est pas français, ça ?
Olivier Njamfa : Je suis né au Cameroun, il y a cinquante-cinq ans.

Tous ceux que nous avons interrogés nous ont dit que vous aviez du flair. Vous pouvez développer ?
Je crois que c’est vrai. Quand j’ai fait mes études à Sup de CO Rouen, j’avais créé une association pour faire du commerce international et bien que ce ne fût pas à l’époque très connu encore, ça nous a permis de partir à Hong Kong pour y faire une étude de marché. Le voyage avait été difficile à organiser mais on y est parvenus. Deux de mes cothurnes sont d’ailleurs restés là-bas, ou en Chine où ils ont bien réussi.

Ils font quoi, ils trafiquent de l’opium ?
Non, je ne crois pas, l’un du fait du trading, il trouve et vend ce qui est demandé, des trottinettes.

Revenons à l’école de commerce, Neoma (Sup de Co Rouen) ? C’est un vrai repaire de brigands de la relation client, cette école non ? David Bitton, Etienne Turion, vous, il y en a un sacré paquet qui ont bien réussi dans les centres de contacts ou l’expérience client, vous avez eu des cours de CRM avant l’heure ou quoi ?
Je ne sais pas. C’est vrai qu’Etienne Turion fait une belle carrière chez Webhelp, que David Bitton a créé COM 6 même s’il fait plutôt du théâtre et de la formation désormais, mais pour ma part, j’ai plutôt débuté dans un tout autre secteur.

Ah, on va enfin savoir parce que là on est un peu perdus…
A la sortie de l’école, alors que tous mes copains rêvaient d’aller faire de l’audit, du conseil ou du marketing en grande conso je suis parti vendre des logiciels de comptabilité, dans une société qui a été assez connue : Saari ; ça ne fait pas rêver, mais je peux vous dire qu’on en a vendu ! Saari, Computerland ont été de sacrées références. J’ai gagné beaucoup d’argent. Et déjà, j’entendais que les plus avisés de nos clients, après qu’ils se sont équipés en logiciels de compta, ont commencé à comprendre l’importance du CRM. Pour tout vous dire, je crois que je suis un peu pionnier, je vois et je sens assez bien les évolutions. J’ai été un des premiers par exemple à faire un MBA à l’ESCP, à une époque où ce n’était pas très répandu. J’ai fait partie de la 2ème promotion. Dès que j’ai eu gagné de l’argent, j’ai eu envie d’investir dans des jeunes entreprises, de partager. Avec Seed4soft, le club que j’ai co-fondé, on a investi par exemple dans Content Square, qui est une vraie réussite. J’ai également été au début de l’aventure de l’Afdel, devenue TechinFrance. Quand il a fallu qu’Eptica prenne une dimension internationale, je suis parti vivre à Londres, pendant longtemps. Et dès 2013, en écoutant Nigel Farage, j’ai pressenti que germait un sentiment de leave vis-à-vis de l’Europe. J’ai alors demandé et obtenu le passeport britannique.

N’essayez pas de nous perdre, vous êtes né au Cameroun, mais vous partez un moment assez long vivre et travailler à Londres ?
Mon père est camerounais mais ma belle-mère américaine et donc la langue anglaise, les cookies, je connais. Mais avant tout ça, vous avez zappé le Lycée Jacques Decours :  j’y suis resté de la 6ème à la classe prépa.

Olivier Njamfa – © DR

Ok, Ok, revenons à COM 6 ; ce truc, ce software comme vous dites, c’était déjà du logiciel pour la relation client, non ? Pourquoi ça n’a pas marché alors que j’ai lu que la société a été introduite en Bourse ?
J’ai été recruté comme patron des opérations par David Bitton, qui était aussi à Neoma, deux promos avant mois. Mais, ce qu’on vendait à l’époque, c’était des PCBX : le produit n’était pas trop stable. J’ai ouvert des filiales en Hollande, en Italie, en Angleterre mais l’explosion n’a pas eu lieu. Alors, ensuite, lorsque j’ai créé Eptica, sur la base d’une idée à laquelle je n’avais pas réussi à rallier mes patrons de l’époque. Et nous avons toujours consacré ensuite de vraies sommes à la RD et au produit.

On a compris, on n’est pas des abrutis. Vous vendez un outil qui améliore la relation et l’expérience client. Mais Magic Johnson, c’est qui, c’est quoi ? Il y a un moment où dans la doc commerciale, chez Eptica, vous n’arrêtez pas de raconter que vous êtes et vous dinez avec Magic Johnson Gartner. Ce gars, son nom, c’est Johnson ou Gartner ?
Monsieur Borniche, sauf le respect que je vous dois, le Magic Quadrant, c’est un guide qui référence les meilleurs logiciels. Être classé dans ce guide, édité par le Gartner Group, est une forme de caution, de reconnaissance. C’est un peu comme la Légion d’honneur, mais dans le logiciel.

Ça s’achète combien ?
Ça ne se s’achète pas. Ils vous classent ou pas, après avoir étudié le produit, le positionnement.

Faut s’abonner donc, au Grattner ou je ne sais pas quoi, en mode Saas, comme vous l’écrivez partout dans vos docs commerciaux, dans le logiciel ?
Non, ça ne s’achète pas, je vous l’assure.

Bon, maintenant, va falloir nous dire ce que vous faites souvent à Toronto et avec Enghouse Systems ?
Uniquement des choses sérieuses et honnêtes. L’entreprise est basée là-bas, elle propose tout ce qui peut améliorer le fonctionnement des centres d’appels ou l’expérience client. Elle a racheté quantité de sociétés, toutes bien positionnées sur un marché ou un pays et d’ailleurs son cours de Bourse…

Olivier Njamfa – © DR

Arrêtez avec votre cours de Bourse, nous le Nasdaq on sait ce que c’est, on en entend parler sur BFM comme tout le monde, c’est tout. On voudrait savoir la vérité. Mais on va devoir s’arrêter là ; on va se revoir pour un deuxième interrogatoire mais là, on a encore deux questions et faut pas essayer de nous la faire à la Camerounaise, même les Nigérians, on les démasque. C’est la Befti ici, Monsieur Njamfa.
Je vous écoute.

Quel rapport entretenez-vous avec Roger ?
Rodger ?

Non Roger Milla, votre collègue. Vous lui ressemblez beaucoup : résistant, encore vivace alors que votre carrière a débuté voici longtemps. Grosse carrière internationale, des buts incroyables. T’es aussi coléreux que lui ?
(A ce stade de l’audition, le collègue de Roger Borniche cesse de taper le compte-rendu et emmène en dehors du bureau son jeune collègue qui vient de prendre la parole. Nos enregistreurs Assmann Telecom ont permis de saisir les bribes du court entretien « Philippe, ici, t’es plus à la BRI. Ces gars-là, on ne les tutoie pas. Ok. Merci d’avoir apporté ta collection de figurines Panini mais on ne parle pas comme ça aux personnes interrogées. Son avocat, Bénichou, il va nous mettre un vice de procédure, sinon. Ok ? Allez, je te laisse finir les questions, le juge a appelé déjà trois fois pour que lui soient transmis les PV d’audition… »)
Je ne crois pas qu’on m’appelle le vieux Lion.

Vous avez fait la couverture de Forbes Afrique. Ça s’achète combien ?
Ça ne s’achète pas. Un jour vous êtes en couverture ou pas.

Ça vous a fait quoi, c’est comme avoir une figurine Panini à son effigie, non ?
(On sent que le collègue de R. Borniche est un sacré footeux…)
Rien, mon profil est rentré dans les profils des 5 % les plus consultés dans le monde. Et c’est tout. Je n’ai fait aucune affaire avec ou grâce à cette couverture.

On va vous lire les témoignages recueillis sur vous par des personnes que nous avons sollicitées. Et vous nous direz si vous confirmez les points relatés.
(Voir encadré ci-dessous)

Une dernière question. C’est quoi cette passion pour la piscine de Puteaux ?
Chaque dimanche, j’y fais deux cents allers retours du bassin. Mais je suis également un grand fan de snowboard.

L’enquête, qui a été déclassifiée depuis et permet que nous la diffusions dans une large partie, fût classée sans suite. Le Juge comprit que l’obstination, le sens commercial aiguisé et la vie très saine du Roger Milla du software français expliquaient seuls sa réussite.
Alors que le doute le saisissait, au terme de deux ans d’instruction, un entretien avec. Mr Njamfa avait achevé de le convaincre. Au cours de celui-ci, ce dernier lui avait expliqué comment il était parvenu à gagner son premier client de référence dans le monde bancaire, un secteur qu’il désirait à tout prix infiltrer. « J’avais identifié une directrice de la relation client clé, une figure du secteur qui avait une longueur d’avance sur tout le monde à l’époque. Après l’avoir pistée, je me suis débrouillé pour la rencontrer à Chicago où elle se rendait. Dans l’avion du retour, j’en étais encore à lui faire ma déballe sur notre outil de gestion des e -mails. Nous étions un peu des nains à l’époque mais tout ce que je lui demandais, c’était d’être consulté dans l’appel d’offre suivant. Un jour, plusieurs mois après, mon téléphone sonne : elle m’annonce que nous allons être introduit dans l’appel d’offres. On l’a gagné et depuis, une grande partie des banques sont nos clients, dont le Crédit du Nord. »

Laurence Chami a collaboré un peu plus de 8 années avec Olivier dont 4 ans au poste de Directrice Générale :

C’est une expérience qui m’a marquée et m’a beaucoup apporté. Olivier met du temps à vous accorder sa confiance, mais lorsque c’est fait, il vous laisse travailler en toute autonomie, tout en étant disponible et attentif. Il reste toujours très calme même dans les moments de crise, ce qui favorise une ambiance de travail sereine et permet de ne pas agir dans la précipitation. Eptica a été une très belle aventure !

Avez-vous en mémoire des anecdotes qui reflètent quel personnage, entrepreneur, manager il est ou a été ?
La toute première anecdote concerne mon recrutement : en shortlist avec un autre candidat, il m’a choisie grâce à un verre d’eau. Il était arrivé avec beaucoup de retard à notre entretien et je lui ai simplement proposé un verre d’eau lorsqu’il est arrivé. Cela m’a paru évident : il avait couru, il était contrarié d’être en retard. L’humain fait partie de ses valeurs et il est très sensible aux détails. Il aime conserver une certaine distance ; il est discret : lors des soirées que nous organisions pour Noël, pour fêter une signature, il avait tendance à s’éclipser ou filer à l’anglaise. Olivier est quelqu’un d’extrêmement tenace et il a une forte capacité à communiquer sa vision. Pendant plusieurs années, nous avons été le seul éditeur de logiciel français inclus dans le Magic Quadrant du Gartner alors que nous ne remplissions a priori pas tous les critères de sélection.

Etienne Turion, DG de Webhelp Enterprise a été étudiant dans la même école qu’Olivier.

« Olivier n’a perdu, depuis ses vingt-deux ans, ni son appétit pour la vie, ni son énergie. A chaque fois que nous nous revoyons, je constate qu’il est resté vrai et direct dans les rapports humains. A Neoma, déjà, c’était un bon communiquant, un garçon très ouvert sur le monde, ce qui a dû l’aider dans le développement d’Eptica. Enfin, last but not least, c’est indiscutablement quelqu’un de fidèle en amitié. »

Anne-Claire Bellec

« Olivier a une force de caractère et une capacité à faire partager sa vision impressionnantes. Et il se relève de toutes les mauvaises nouvelles, déconvenues commerciales ou autres, très vite. Je l’ai vu se focaliser sur les analystes du Gartner dans lequel il désirait absolument être classé comme un mort vivant (sourires). C’est tout lui. Il a toujours douze plans en tête et si le plan 1 et 2 ne marchent pas, il met en œuvre le 3 ou le 4. Travailler avec un entrepreneur comme lui, toujours positif, qui va très vite, a été une chance. »

Par Manuel Jacquinet,
alias R. Borniche*

*Roger Borniche fût un célèbre inspecteur de police.
*Assmann Telecom est une entreprise qui fabrique et commercialise des enregistreurs de communication.

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