Miraval renait mais Hérouville n'est jamais mort
La France a vu naitre des studios de légende, dans le Sud, tel celui de Miraval mais dans le Val d'Oise, il s'est également passé des choses magiques. Hérouville, le château, Honky Château, ça vous parle ?
Le livre Studios de légende : secrets et histoires de nos Abbey Road français, épuisé rapidement, ressort en version enrichie. Entretien de Manuel Jacquinet, son auteur et éditeur, avec Franck Ernould.
Manuel Jacquinet : La France a eu, tout comme l'Angleterre ou les États-Unis, des studios mythiques, de légende comme l'indique le livre auquel vous avez collaboré pour sa 2ème édition. Selon vous, mis à part le Château d'Hérouville, votre studio de presque "thèse", quels studios français sont légendaires ?
Franck Ernould : Certains des grands disparus : Europa-Sonor, Pathé, Barclay, Davout, Plus XXX, La Grande-Armée, Miraval… À la fois pour leur palmarès d’artistes, leur ambition, leur équipement technique à l’époque, les ingénieurs du son (souvent salariés) qui y ont travaillé. Chacun à sa façon : Europa-Sonor pour le parcours incroyable, du studio aménagé dans un immeuble à un complexe de quatre studios importants où beaucoup d’artistes sont passés ; Pathé en tant que seul (quadruple) studio conçu dès le départ dans ce but, avec des artistes et des ingénieurs du son marquants (dont les Beatles et les Rolling Stones, grâce à EMI) ; Davout en tant que structure polyvalente, ouverte sur la musique de films avec un plateau d’enregistrement sans concurrence à Paris ; Plus XXX pour la vision de son propriétaire Claude Sahakian et son ouverture à l’international ; La Grande Armée pour l’évolution de l’endroit, depuis les deux petits studios jusqu’aux quatre puis trois au sous-sol du Palais des Congrès, et une résurrection possible via le projet MurMure de la ville de Paris.
CBE reste marquant en tant que « petite » structure dont le son et la réputation ont été faits par un seul homme, avec du matériel artisanal un peu bricolé et un lieu d’où, à en croire une certaine logique, n’aurait jamais dû sortir un seul disque qui « sonne ».
Ferber, Marcadet, Acousti (Saint-Germain aujourd’hui) et Gang méritent eux aussi le qualificatif de « légendaire », ne serait-ce que par leur longévité et leur CV. La Frette accueille toujours l’ancienne console du studio Barclay et pas mal d’artistes dans un cadre inhabituel. Guillaume Tell reste, sous la houlette de son créateur Roland Guillotel, un endroit exceptionnel, dans un ancien cinéma de Suresnes, et vient de s’équiper d’une cabine de mixage Dolby Atmos… Le dernier représentant survivant du Top 5 des années 90 (Plus XXX, Mega, Davout, Grande-Armée) !
Clin d’œil du destin, le nom de studio le plus connu du grand public aujourd’hui est sans doute Miraval, effet « Brad Pitt/Evangelina Jolie » oblige… Un superbe endroit, qui doit beaucoup au concept résidentiel façon Hérouville d’ailleurs, mais transposé au beau milieu d’un domaine viticole en Provence, avec un étang non loin : une combinaison imparable, un lieu très bien équipé techniquement, qui a eu la chance d’accueillir Pink Floyd pour une partie de l’album The Wall (la pochette mentionne d’ailleurs « Miravel »). La renommée internationale a suivi, avec une série d’artistes de haut profil, qui ne se servaient pas toujours de l’immense studio, mais plutôt de la très grande cabine, sans oublier la piscine évidemment. Aujourd’hui, Miraval est surtout devenu le nom d’un domaine viticole de luxe. Les fondateurs, Jacques Loussier et Patrice Quef, sont morts tous les deux. Un projet de relance du studio est en cours…
Le patron, le fondateur est-il essentiel à la légende d'un studio, tout autant que son acoustique, la ou les consoles qui y ont demeuré ?
C’est le patron qui crée le studio, qui connaît d’un côté les clients, de l’autre les financeurs. Il a sa vision, connaît le marché et ses concurrents : il est enfin maître à bord, choisit le matériel selon ses critères, bref pilote la voiture qu’on le laissait simplement conduire quand il était salarié ou free-lance. C’est grisant, surtout dans les années 70, où le « leasing magique », allié à l’essor technologique, permet à beaucoup de se lancer. Mais sans gestionnaire, c’est très difficile de tenir.
Du temps des studios de maisons de disques ou indépendants pionniers, c’était l’ingénieur du son « en chef » qui assumait ce rôle de représentant officiel : citons Claude Wagner chez Pathé, Gerhard Lehner chez Barclay, Roger Roche chez Europa-Sonor, Jean-Pierre Janiaud à Gang, Pierre Fatosme puis Jean Bonzon aux Dames/Philips…
Certains sont de grands communicants, d’autres de grands producteurs ; certains passent l’essentiel de leur temps en représentation, d’autres sont enchaînés à la console. Dans tous les cas, un studio est un projet d’une vie, un peu comme un restaurant pour un grand cuisinier : le patron est le premier arrivé, le dernier parti, il gère les affaires de tous les jours, l’administratif, le fiscal, en plus de son métier. Bref, il consacre sa vie au studio, au point d’habiter parfois au-dessus ou à côté ! Ferber ne serait pas ce qu’il est sans René Ameline, Plus XXX sans Claude Sahakian, Guillaume Tell sans Roland Guillotel, Mega sans Thierry Rogen… Et même s’il n’est pas ingénieur du son, Jean-Claude Dubois a fortement modelé le destin du studio de la Grande-Armée, tout comme Zach Hanoun, qui lui a succédé au début des années 2000. Quant à Renaud Letang, successeur d’Ameline à la tête de Ferber, on ne peut pas dire qu’il ait démérité.
Les grands patrons de studio français sont-ils des grands caractériels ?
Comme tous les patrons, non ? ;-) Pas mal de dirigeants de studios sont effectivement connus pour un caractère bien trempé, ne citons pas de noms. Un côté un peu « bourru » peut dissuader, en séance, de sollicitations ou questions incongrues, ou décourager un ingénieur du son free-lance de venir se plaindre. L’astuce a aussi servi à pas mal d’ingénieurs de maintenance… Ceci étant, le studio est un endroit où le côté psychologique est très important, les relations avec les clients et les maisons de disques essentielles : un bon dirigeant sait forcément jusqu’où ne pas aller trop loin. Et même s’il pousse parfois une gueulante, il est là quand il faut amortir un coup dur ou trouver en urgence tel ou tel matériel, tel ou tel musicien ou instrument, bouleverser le planning pour une séance supplémentaire impromptue…
Notre patrimoine dans ce domaine mériterait-il d'être mieux connu, conservé ?
C’est évident… Les studios français n’ont rien à envier, techniquement à ceux du reste du monde, et ont contribué à écrire l’histoire de la musique populaire de notre pays – même si son rayonnement culturel reste limité, le plus souvent, à la francophonie.
En Angleterre, lorsque le studio Abbey Road a été visé par une promotion immobilière, un front s’est immédiatement levé contre cette menace. Le studio à domicile du producteur Joe Meek, Holloway Road, est honoré par une plaque commémorative. Aux États-Unis, le patrimoine musical est davantage mis en valeur (même si certains studios mythiques ont, là aussi, fini en appartements de luxe). En France, il ne reste aucun signe des studios Pathé, des Dames, de Decca, de Barclay, de Davout, c’est dommage… J’avais d’ailleurs commencé à travailler à une époque sur une « visite historique des lieux d’enregistrement parisiens ». Mais aux prix actuels de l’immobilier, qui va « figer » une grande structure comme Davout ? Après tout, même Radio France a abandonné son Musée de la Radio, pourtant unique au monde. Chez nous, l’écrit, la peinture, l’image ont de l’importance, le son, pas beaucoup.
Petit quizz, même si ça fait très grand public :) Pathé Marconi, Hérouville, Davout, Ferber, Miraval, CBE, Gang, votre petit hit-parade à vous ?
Hérouville, Miraval, Davout, Ferber, Gang, Pathé, CBE.
Par Manuel Jacquinet
Photo de Une : Jean Taxis et Thierry Garacino au Château d'Hérouville - © Edouard Jacquinet
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Edité par Malpaso-Radio Caroline Média.