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Les souffrances du jeune client

Publié le 11 janvier 2012 à 08:54 par Magazine En-Contact
Les souffrances du jeune client

Par Louis Jacobée

Il est des moments où le grand public réalise brutalement l’importance des métiers de la relation client ; le mois de septembre en est un, au moins pour tous les étudiants. Outre l’inscription à l’université, aventure parsemée d’obstacles, de secrétaires mal lunées et autres détours, cette jeunesse supposément insouciante doit en fait apprendre – et souvent à ses dépens – ce que c’est que d’être un client. Initiation chaotique, face à laquelle les réactions s’échelonnent de la revendication à la résignation – majoritaire. Apprécions dans cette première chronique l’éducation peu sentimentale du jeune client, qui découvre à la fois les plaisirs et les peines du service au client, mais surtout ses subtilités.

Jusqu’ici tout allait bien. La sécurité sociale, la mutuelle, l’assurance, tout cela était administré dans  les plus lointaines sphères parentales. Désormais, il faut choisir : LMDE ? SMEREP ? MGEN ? Autant de sigles abscons auxquels on ne peut échapper et pour lesquels il faut constituer des dossiers gargantuesques mais toujours incomplets. L’exercice périlleux consiste ensuite à intercepter et renvoyer non pas une balle, mais une pléiade de courriers pour que le dossier soit enregistré ; et le jeu ne fait que commencer. Les forums regorgent de plaintes à l’égard des mutuelles étudiantes, vastes organisations impersonnelles sans réelle hiérarchie pour assumer les bourdes et négligences. En somme, une fois le dossier validé, mieux vaut ne jamais avoir à le rouvrir. On imagine d’ici les bureaux de la LMDE comme celui qu’André Franquin avait imaginé pour son anti-héros Gaston Lagaffe. Mais cette image amusante exprime mal la colère que suscite réellement une mutuelle comme la LMDE, couramment désignée sur la toile comme une ‘énorme escroquerie’. L’accusation porte principalement sur le contraste entre l’efficacité de l’encaissement des chèques et l’incompétence pour honorer les engagements en matière de remboursement, qui frôlerait la malhonnêteté. Pourtant, si certaines hésitent entre « porter plainte, faire une demande d’assignation de justice pour non paiement ou contacter une puissante association de consommateurs », la majorité se résigne.

L’installation indépendante offre d’autres surprises aux « apprentis clients ». L’ouverture d’un compte EDF par exemple, pour laquelle il faut appeler un numéro surtaxé et déclarer les appareils détenus pour une estimation des besoins en électricité. Estimation qui est toujours une surestimation : « un ballon d’eau chaude de 30 litres, une radio et un micro-onde, votre chambre de bonne devrait consommer en moyenne 50 euros par mois en électricité »…  Révélation étonnante, mais face à laquelle on raisonne ainsi : l’important est d’avoir rapidement du courant et puis ils remboursent la différence en cas de surévaluation. Et puis que veux-tu que je fasse ? On imagine les bienfaits financiers d’une telle microdécision, pour un groupe d’envergure nationale. Faut-il en conclure que la première ‘vie’ du client, celle de l’étudiant, est un apprentissage de l’amère impuissance ? Une justification courante à la résignation est que les entreprises ne prennent pas leur jeune clientèle « au sérieux » et qu’il est donc très difficile de donner de la voix sans un peu de barbe.

Pourtant, la sensibilité des étudiants à la qualité du service client n’a pas échappé à tous les secteurs ; les prestations des auto-écoles, assurances, banques et compagnies de téléphone sont soumises à une évaluation sévère et très personnelle de ces individus qui seront longtemps engagés par leurs choix… Gros enjeu, donc, pour les entreprises concernées. Sur le perron des écoles les plus sélectives, la « magie sociale » analysée par Pierre Bourdieu joue à plein ; les heureux élus, désignés comme appartenant à l’élite, passent soudain de la case « clients boulets » à la case « vrais amis » du PowerPoint de marketing qu’il découvriront bientôt, case sous laquelle on peut lire cette formule explicite : « potentiel de profit maximal » (sic.). Observez les campus des écoles de commerce, d’ingénieurs ou des Écoles normales supérieures lors de la rentrée des classes ; vous y trouverez force stands BNP Paribas, Caisse d’épargne, HSBC et autres établissements bancaires en quête de liquidités. Du CIC qui offre la somme de 160€ aux bacheliers qui obtiennent la mention TB au LCL qui offre la carte Gold à ceux qui intègrent certaines grandes écoles, tout est fait pour séduire de nouveaux clients d’autant plus sensibles aux services qui leur sont gratuitement offerts qu’ils sont habitués au service minimum. Certains se retrouvent d’ailleurs avec quatre, cinq ou six cartes bancaires à la fin du mois de septembre ! Le « manant » de la fac, lui, n’en sera pas pour autant épargné par les AJO…

Toujours est-il que si ces dispositifs perdurent, c’est qu’ils fonctionnent et donc que malgré les apparences, les clients dont nous parlons sont sensibles à la transparence du discours, au volontarisme commercial et à la qualité de la relation client en général. Fait dont Apple a pris acte lors de la création des ‘Apple stores’ ; dans ces boutiques au design reconnaissable, les jeunes vendeurs sont aussi nombreux que les clients aux heures de pointes et il suffit d’un clic sur l’iPad ou l’iPhone en exposition pour que l’un d’entre eux apporte le renseignement voulu. En revanche si, comme tous ses congénères, sortant de l’Apple Store, l’étudiant cherche un câble ‘éthernet’ pour accéder à Internet dans sa chambre d’étudiant, il faudra attendre le mois d’octobre : oui, chaque année les stocks de la Fnac, Planète Saturn et autres Darty sont épuisés en trois jours… Étonnant non ?

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