Le télémarketing mène à tout, le graphisme aussi (ex-Armatis, Convergys…)
Est-ce lié à sa formation d’origine ? En tout état de cause, Gérard Delcuze semble avoir plus qu’une passion pour le vert : il est passé des numéros verts… aux légumes verts. Et de Paris à Ribecourt, petite bourgade du Nord de la France dans laquelle il cultive des légumes bio qu’il livre à ses clients. Mais le vert le poursuit.
Petit flash back, fin des années 90, Gérard habite la région parisienne et alors qu’il vient d’achever des études de graphisme, aucune entreprise ne semble intéressée par son profil, aucune agence de pub pour ouvrir ses portes à ce jeune diplômé : c’est la crise et comme tant d’autres, Gérard doit revoir ses plans : il prend, comme d’autres avant lui, un job dans une société de phoning. Là au moins, on lui ouvre les portes.
Comment avez-vous abordé cette embauche dans un centre d’appels ?
J’étais déçu, le milieu de la publicité dans lequel j’espérais entrer et faire mon trou s’avérait bouché ; comme il fallait manger, me voilà au téléphone à faire des études par téléphone ou à prendre des appels. C’était la préhistoire, rien à voir avec les organisations de maintenant, on avait des gros téléphones gris, en bakélite et on prenait les appels suite à des campagnes ou des spots tv de marque alimentaires ou autres ; c’était assez folklorique, car il y avait des pics terribles et de grands moments sans rien et puis tout d’un coup, plein de téléphones se mettaient à sonner partout dans la pièce et on courait pour essayer de décrocher sur le téléphone qui sonnait car il n’y avait pas encore d’ACD. Je suis passé de Convercall à Convergys ou Matrixx, en fait la même boite qui changeait de nom au fur et à mesure de ses rachats successifs ; c’était dans le douzième, il y avait du téléachat, des demandes de catalogue et j’ai mené ma petite carrière en évoluant petit à petit. On rigolait bien à l’époque car il y avait un coté artisanal et puis beaucoup d’artistes et d’intermittents du spectacle qui travaillaient dans ces sociétés ou les temps partiels étaient fréquents et qui correspondaient bien à nos besoins de concilier débuts de carrières artistiques et contingences alimentaires. Dans la salle de pause, certains présentaient des morceaux de spectacles, leurs sketches, s’entrainaient.
Et vous avez comme tant d’autres évolué ?
Eh oui. Au bout de trois mois, je suis passé superviseur, j’ai encadré des équipes et puis je suis ensuite passé au service du personnel puis à la coordination de la planification, tout ceci en changeant de société et le petit job qui devait me permettre de démarrer a duré presque dix huit ans finalement.
Pourquoi reste-t-on en fait dix huit ans dans un métier ou l’on est entré presque par hasard ?
J’y ai rencontré tellement de gens, et puis j’y ai fait tant de métiers que je n’ai as vu le temps passer. J’ai par exemple longtemps travaillé chez Armatis, ou j’ai fini ma carrière dans les centres d’appels et chaque matin, j’étais heureux d’aller au travail, de retrouver mes collègues et l’ambiance de l’entreprise. Et puis c’était un vrai défi pour moi d’aborder de nouvelles missions, de devoir m’y confronter, toutes ces statistiques, moi qui venais du graphisme ; et tant de choses rigolotes qui arrivaient car, il faut le répéter, ça n’était pas le métier organisé comme aujourd’hui.
Vous vous souvenez de trucs rigolos ?
Oui, dans l’une des sociétés ou j’ai travaillé et dont les locaux étaient situés dans le douzième, près du zoo de Vincennes, on s’est retrouvé un jour en face d’un gros iguane… Et puis, comme on avait encore le droit de fumer, je peux vous dire que de temps à autre, il y avait des nuages, pire que du brouillard tellement la fumée avait tout envahi.
Et l’on passe comment aux légumes verts, eux aussi, comme les numéros et les iguanes ?
Avec le Fongecif… vive le Fongecif ! En 2004, j’ai eu envie de changer de vie et mon employeur a accepté que je parte pendant deux ans pour suivre les cours de l’école nationale supérieure du paysage ; me voilà à Versailles, dans les potagers du Roi. J’avais 39 ans, l’envie de changer de vie et puis j’ai eu de la chance, je le répète, que mon employeur accepte ce désir de changer changement à 180 degrés.
Et ça c’est fait… comme ça, si simplement ?
En fait, les choses se sont assez vite bien emboitées mais c’est surtout parce que j’avais déjà une petite maison dans le Nord, dans une petite commune dénommée Ribecourt et avec du terrain autour ; j’ai eu l’idée et l’envie de cultiver des légumes, de profiter de parcelles qui n’étaient pas loin de la maison. Après les études de paysagiste qui sont assez théoriques – on est toujours dans une salle – j’ai été obligé de passer aux choses concrètes et en vérité, il faut du temps : un jardin, ça ne se met pas en place comme ça, il faut un peu plus que deux semaines. Je suis passé de la page blanche à un projet très concret : planter, cultiver, attendre que ça pousse et trouver les premiers clients… qui sont principalement à Paris où je livre régulièrement mes paniers, comme dans les systèmes d’Amap.
Votre expérience d’ancien spécialiste de la relation client vous a servi ?
Eh oui. Je me suis créé un fichier de prospects, puis de clients, que j’informe régulièrement par mail et j’essaye d’apporter un bon service, des produits de qualité et parfois aussi d’expliquer aux clients que des légumes bio… il y a encore de la terre autour…
Vraiment ?
Oui, oui certains se plaignent parce que ça salit leur cuisine, comme ils disent, mais j’essaie de leur expliquer.
On peut être heureux à quarante ans de cultiver son jardin, près de Cambrai et l’avoir été pendant dix huit ans, dans des phone room comme vous dites… alors qu’on avait fait les Beaux-Arts ?
Oui, oui je ne renie pas du tout ces années passées dans les centres d’appels et tout ce que j’y ai fait. Ça a d’ailleurs beaucoup étonné la journaliste d’Arte qui est venue faire le reportage qu’ils m’ont consacré : je lui ai raconté tout ça, ces souvenirs heureux et ces choses que j’avais apprise dans le métier… mais au montage, elle a tout supprimé, ce qu’elle voulait entendre, c’était que ça avait été dur et la misère. C’est bizarre.
Si vous passez Cité des fleurs à Paris, vous rencontrerez peut-être au printemps Gérard, ex-spécialiste des numéros…verts, ancien spécialiste du décroché… à l’arraché d’un vieux téléphone gris dans une phone room. Il est resté dans le vert et dans le service : POT est le nom de la World Company qu’il dirige : potager, originalité, tradition. Demandez lui alors de vous inscrire dans sa mailing list, les bons légumes, c’est aussi bien dans la salle de pause… que la soupe du distributeur automatique, non ?
Par Manuel Jacquinet
Photo tirée du film Opération 118 318, Sévices clients